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Elle entra dans sa chambre, se déshabilla, éteignit, s’allongea, releva sa couette pour s’en recouvrir. Elle songea encore une fois à changer ce lit. Cela faisait trop longtemps qu’il était devenu trop grand. Depuis qu’il n’était plus là. Son homme. Son amour. Ce soir, il lui manquait plus que jamais.

Le silence, toujours. Un silence aussi dur, aussi implacable, aussi usant qu’un vacarme assourdissant. Son silence. C’est tout ce qui l’unissait à son fils, désormais. Ce fils qui était le fruit de son amour. Une fois de plus, communiquer s’était révélé impossible. Encore. Encore et toujours. La douceur, les câlins, les menaces, le chantage, les supplications, la corruption… Elle avait tout essayé. Encore ce soir, au cours du repas. Impassible, il avait continué à attraper sa nourriture avec sa fourchette, mâcher, avaler, sans broncher d’un cil, aussi statique devant sa propre mère que devant une mauvaise série. Désabusée, ne supportant plus son regard glacial, elle l’avait laissé seul, lui abandonnant le reste de la maison.

Cela n’empêcha pas son sommeil de venir. Au contraire, elle s’y réfugia, besoin de paix.

Tu m’appartiens.

Sa conscience la retrouva le cœur serré par l’angoisse, alourdi par un effroi d’une origine aussi inconnue que cette voix.

Tu m’appartiens. Tu m’appartiens. Tu m’appartiens.

Tu m’appartiens !

Son corps eut un mouvement brusque, comme si elle craignait la chute. Elle connaissait la raison de cette réaction. En réalité, c’est un réflexe, son organisme qui vérifie si elle n’était pas morte. Et pourtant, l’angoisse ne la quittait pas. Elle haletait, seule dans l’obscurité.

Sensation étrange, malaise. Comme une présence. Une pression différente de l’air ambiant, le silence se répercutant inégalement dans la pièce.

Non, elle n’était pas seule. Elle ne l’était plus. Des mouvements imperceptibles, feutrés. Une oscillation dans l’air, rapide, tout proche. Une autre. Et une autre encore. Puis quelque chose atterrit sur le lit et fila, la frôlant au passage.

Elle bondit, cria de frayeur.

La lumière s’alluma. Son fils était là, la main encore sur l’interrupteur. Il la regardait. Toutes ces paires d’yeux la regardaient.

La peur céda la place à la colère.

— Qu’est-ce que tu fais là ? Sors d’ici ! vociféra-t-elle.

La crise d’adolescence, je veux bien, mais là, c’est trop ! Le psy, qu’il le veuille ou non, il y aura droit !

Il ignora sa fureur. Il ignora son exigence. Il s’approcha du lit, tous ces êtres à quatre pattes dans le même mouvement, comme un même corps.

— Qu’est-ce que tu veux ? J’ai dit dehors ! Et tes bestiaux avec !

L’angoisse revenait. Méprisant, il attrapa la couette à deux mains.

— Mais arrête !

Trop tard. Il tira d’un coup sec, fit valser l’unique protection de sa mère au pied du lit, dévoilant son corps nu. Il ne cligna pas d’un cil, imperturbable, recula simplement, alors qu’elle avait lâché un cri de surprise et s’était redressée, essayant de cacher ses parties intimes, ne parvenant pas à croire à ce qu’il se passait.

Un gamin. Mon fils n’est qu’un gamin. Il ne peut pas faire ça, c’est mon fils !

Sa terreur, alors que les lèvres de son fils s’étiraient en un sourire cynique, la privait de cet espoir.

Un chat sauta sur le lit. Le noir aux pupilles dorées.

Cette fois, elle recula nettement, affolée, buta sur la tête de lit, acculée, alors que d’autres félins sautaient à leur tour sur le lit.

La bête avançait pas à pas, de sa démarche féline, prédateur vers sa proie. Ses yeux, ces pupilles, un regard glaçant, pénétrant, étrangement hypnotique. Cette fois, elle ne put quitter ces prunelles.

En parallèle, des ronronnements allant crescendo. Un concert, une multitude amplifiée par le nombre, résonna dans la pièce, s’approcha dangereusement.

— Enlève-le, s’entendit-elle dire à son fils.

Elle trouvait sa propre voix bien faible, bien peu convaincante. Tétanisée, figée, clouée sur place, elle restait pourtant fascinée par l’éclat doré de ses pupilles fendues. Elle crut s’y perdre. Elle essaya de bouger, n’y parvint pas. Son corps lui pesait, s’alourdissait, l’entraînait vers le matelas. Des petits corps chauds, velus, vibraient contre sa chair, dans ses oreilles. Des vibrations entêtantes, envahissantes, vrillant son cerveau, l’empêchant de penser, lui coupant toute volonté.

Tu m’appartiens.

Perdue, désorientée, après ces mots, sans qu’elle puisse dire à quel moment, elle partit loin dans le néant.

— Bonne nuit, mère.

Le jeune garçon attrapa la poignée de la porte de la chambre de sa mère. Il éteignit la lumière, sortit, seul, et referma derrière lui.

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