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— J’ai compris, dit le garçon lorsqu’elle rentra.

Elle laissa tomber son manteau par terre et alla se recroqueviller sur le canapé. Il la laissa un moment, elle ignora combien de temps. Il réapparut plus tard. Il lui tendait une assiette.

— Mange.

Elle obéit, picora un peu, terrassée par une lassitude implacable, hébétée. Puis elle écouta alors qu’il avait pris une carte bancaire dans son sac.

— Va retirer de l’argent. Il faudra bien vivre les prochains mois.

Il lui indiqua combien. À son retour, elle lui donna la liasse de billets avant de finir de nouveau sur le canapé, reprenant la même position.

Les jours suivants ne furent plus que cela. Des impératifs qu’il lui assenait calmement mais fermement. Manger, dormir, se laver, alors même qu’elle était incapable de dire qui elle était, ou elle était, ce qu’elle faisait là. Elle n’était plus maîtresse d’elle-même, ne contrôlait plus son corps ni ses pensées, capable de rester immobile durant des heures, complètement éteinte. Le garçon la surpris un jour et la ramena méchamment à la réalité.

— Mère, tu baves !

Il lui assena cela tout en lui tendant un mouchoir, un mauvais sourire en coin, aux anges de la voir dans cet état.

Tout ce qu’elle savait, c’est que chaque nuit, chaque fois qu’elle se réveillait, cette créature se tenait au-dessus d’elle, lui assenant la même phrase.

Tu m’appartiens.

Chaque fois, elle tremblait, envahie par la peur, devenant pur effroi. Et chaque fois, ces boules de poils se blottissaient contre elle, apportant chaleur et réconfort, mais la fréquence de leurs ronronnements se diffusant dans sa chair engourdissait son cerveau. De ces animaux, de simples chats, après tout, elle finissait par ne plus en avoir peur. Juste de cette créature. Et du garçon.

Avec le temps, une autre chaleur obséda ses pensées. Une petite sphère chaude provenant d’une source inconnue, tapie au centre de ses entrailles. Elle ne touchait plus ce corps souillé, sali, répugnant, qu’elle ne reconnaissait plus, pas plus qu’elle-même. Mais lorsqu’elle s’allongeait en fœtus, les jambes relevées vers son ventre, elle distinguait cet épicentre diffus. Elle avait découvert ce phénomène peu de temps après avoir arrêté de saigner. Et depuis, elle ne s’en lassait pas.

Ce prétendu fils la sortait parfois. Il la prenait par la main et l’entraînait dans les rues les moins fréquentées, aux heures les plus calmes. Parfois ils allaient jusqu’au petit bosquet où elle pouvait errer au milieu des arbres. Imperturbablement hagarde, éteinte, s’ils avaient croisé des gens, elle n’y avait pas fait attention.

— C’est bon pour vous deux, disait-il pour l’encourager, même s’il avait toujours ce regard froid et cet air moqueur. Si tu te voyais…

Cela n’avait pas l’air d’être un compliment. Et ce garçon était son fils ? Vraiment ? Il avait plutôt l’air du parfait petit laquais de cet être terrorisant ses nuits.

Avec le temps, elle avait du mal à suivre. Les gestes lui étaient de plus en plus difficiles à accomplir, lui demandaient chaque fois plus d’effort. En parallèle, les visites de la créature semblèrent commencer à s’espacer. Même s’il ne l’avait plus agressée depuis, chaque fois, elle paniquait instinctivement, dans l’attente du pire.

— Sois tranquille, il a saisi, ce n’est pas bon pour vous deux, lui dit le jeune laquais un jour qu’il l’emmena lui-même dans son lit et qu’il la bordait. Faut le comprendre, aussi, il est si fier !

Elle l’avait entendue, bien qu’elle ne pensât qu’à une chose, pouvoir s’allonger et se blottir autour de cette douce pelote de chaleur dans son ventre, qui avait l’air de grandir de jour en jour. Ainsi, elle pouvait pleinement en profiter, tout en étant soulagée du poids de son corps, ce corps de plus en plus lourd, accablant, pénible, informe. Ce corps qu’elle ne regardait plus, qu’elle ne visualisait plus, qu’elle ne touchait plus, obligeant même le laquais à venir laver sa peau à sa place chaque fois qu’il l’envoyait dans la salle de bain. Elle ignorait alors ses grimaces de dégoût, préférant les subir que de toucher cette chose qui lui répugnait davantage.

Un jour, elle réalisa que cet être ne venait plus l’importuner. Pourtant, une paire de pupilles dorées se baladait toujours au milieu des chats vaquant à travers la maison.

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