Chapitre 6 

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Les semaines et puis bientôt les mois passèrent ainsi, rythmés par les trajets dans le froid jusqu’à l’école où Marie ne manquait jamais d’adresser quelques mots à l’institutrice de sa fille, le travail aux PTT, les travaux de couture le soir, les visites à ses parents le samedi ou le dimanche et puis surtout ces conversations avec Suzanne qu’elle attendait impatiemment, moments précieux au coeur d’un quotidien souvent rude. A mesure que le temps s'écoulait l’odeur, le souvenir de la peau et la voix de Jean s’estompèrent dans la mémoire de Marie. Elle demeurait toujours sans nouvelles de lui, régulièrement elle se réveillait en sueur dans ses draps, haletante après un cauchemar où celui-ci mourrait ou revenait blessé. Après ces terreurs nocturnes Marie peinait à se rendormir et à chasser ces idées glaçantes de son esprit car même si elle savait qu’il ne s’agissait que de cauchemars elle était consciente qu’ils pourraient un jour devenir réalité.

Un jour froid de décembre, enfin, elle reçu une lettre de Jean. Aussitôt elle monta les marches quatre à quatre et s’assis dans la cuisine pour prendre le temps de déchiffrer au mieux la missive tant attendue.

Sur le papier jauni la lettre était courte, elle était datée d’il y a quelques semaines déjà, la jeune femme devina le long trajet qu’il avait fallu à l’enveloppe pour parvenir jusqu’à elle. Elle y trouva des mots rassurant sur l’état de santé de son mari, des questions sur sa santé à elle et sur celle de ses enfants, une adresse où lui répondre et…c’était tout. Marie fut soulagée de ne pas voir ses pires craintes se confirmer mais au fond d’elle tellement déçue de ne pas trouver un mot doux, une marque d’affection qu’elle attendait depuis tant de temps. Elle savait Jean peu à l’aise avec les mots, d’autant plus à l’écrit mais tout de même. Elle relu la lettre plusieurs fois jusqu’à connaitre l’enchainement des phrases presque par coeur mais rien à faire, elle ne trouva pas la moindre parole amoureuse dans les mots de son mari.

Le lendemain la déception fut d’autant plus douloureuse qu’au lavoir elles étaient nombreuses à avoir reçu les missives un temps égarées :

- Ah il y a pas à dire mais ça fait vraiment chaud au coeur de sentir un petit morceau de son homme à travers une feuille de papier ! Commença Marthe en bout du lavoir

- Je te le fais pas dire, le mien a écrit en pattes de mouches tellement il en avait des choses à me dire ! Renchérit sa voisine

- Non ton mari a toujours écrit en pattes de mouches, j’étais en classe avec lui, il devait toujours refaire des lignes et des lignes ! Dit sa belle soeur en riant

- Ouais et bien il parait que certaines lettres sont très très privées si vous voyez ce que je veux dire…ajouta Odette qui n’était jamais avare de détails grivois.

- Moi je lui ai déjà répondu, j’attends lundi pour la poster, je veux qu’elle part à la première levée ! J’espère qu’elle arrivera à bon port, il a de quoi se réchauffer avec. Ricana Hortense, l’épicière du village.

Marie était la seule à être restée silencieuse durant ce déballage épistolaire. Elle se contentait de fixer le fond de l’eau en frottant ardemment la blouse qu’elle tentait de nettoyer. Mais bientôt comme elle l’avait redouté les regards se tournèrent vers elle :

- Et toi Marie ? Jean ne t’as pas écrit ? Tu nous raconte rien !

- Ah si si… c’est vrai ça fait du bien d’avoir de leurs nouvelles ! Répondit-elle sans grande conviction. Aussitôt elle sentit les regards devenir encore plus insistants sur elle, elle savait que sa réponse ne satisfaisait pas complètement ses congénères, voir même qu’elle attisait d’autant plus leur curiosité. Elle frotta d’autant plus fort la blouse en réfléchissant aussi vite que possible à une réponse qui pourrait les satisfaire quand son amie Denise vola à sa rescousse

- Eh les filles ça va les questions ? Quand j’aurais enfin trouvé chaussure à mon pied comptez pas sur moi pour vous raconter la rencontre par le menu ! Bande de mégères !

Immédiatement les rires fusèrent, le célibat de Denise prêtait matière à rire depuis longtemps autour du lavoir, celui-ci désespérait sa mère qui redoutait de ne pas voir sa fille mariée avant son décès. La principale concernée, elle, n’était pas très pressée, elle avait eu nombre de prétendants, partageant des moments d’intimité avec eux mais ne poursuivant jamais la relation au delà de quelques mois. En réalité Denise se plaisait dans cette solitude qui s’assortissait d’une indépendance certaine, alors elle repoussait l’échéance d’un mariage autant qu’elle le pouvait.

Sur le chemin qui reliait le lavoir au bourg Marie remercia son amie :

- Merci, tu m’a sauvé la mise devant le clan des ménagères. Denise haussa les épaules :

- Tu sais…moi j’ai l’habitude entre elles et mes parents…Mais, qu’est-ce qu’il y a ? Il ne t’as pas écrit ?

- Si, si mais bon sa lettre est…froide ? Impersonnelle ? Distante ? Enfin on est loin des amoureux transis des autres. Répondit Marie. Comme souvent lorsqu’il était question de Jean Denise ne su quoi répondre alors elle pris le bras de son amie et le serra fort comme elle le faisait quand elles étaient enfants et que les deux amies étaient effrayées par un passage un peur trop étroit ou une vipère sur le chemin. Marie lui fut reconnaissante de ne pas chercher de commentaires ou d’excuses inutiles, la simple présence de son amie suffit à lui mettre du baume au coeur. Elles rentrèrent ainsi, bras dessus bras dessous telles les deux fillettes qu’elles avaient autrefois été.

Le soir venu Marie s’installa à la table en chêne de la cuisine et entreprit de répondre à son époux. Elle avait toujours aimé écrire, raconter des histoires, manier les mots et les phrases mais ce soir là rien ne lui venait, elle ratura plusieurs fois et dû s’y reprendre à plusieurs fois avant de pouvoir terminer sa lettre.

Quand elle eut terminé elle se relu, dans les quelques lignes qu’elle avait écrite elle s’efforçait de rendre compte du mieux qu’elle le pouvait des progrès de Jacques, de l’enthousiasme de Nicole pour l’école, des récentes évolutions à Saint Martin et de son quotidien à elle. Elle prit soin de passer sous silence les nouvelles privations auxquelles elle devait faire face et son inquiétude grandissante face à la guerre qui semblait chaque jour s’intensifier.

Elle chercha longuement une dernière phrase sur laquelle finir sa lettre, une phrase qui exprimerait son désir de le retrouver, qui dirait le manque et sa déception de ne pas sentir son amour dans sa dernière lettre. Elle réfléchit une dernière fois et écrivit ces mots : « Le temps se fait long sans toi à mes côtés, j’espère chaque jour que tu me revienne vite, je brule de te retrouver ». Satisfaite de sa formule Marie cacheta l’enveloppe et parti se coucher.

Cette nuit là elle dormit à nouveau d’un sommeil peuplé de cauchemars, mais cette fois ci il n’était plus question que de la guerre mais aussi de Jean qui revenait vide de son amour pour elle. Le lendemain elle posta la lettre, pleine d’espoir d’une réponse à la hauteur de ses attentes.

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