Chapitre 7 

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A l’approche de Noël, le froid s’installa pour de bon à Saint-Martin, insidieux, il gelait les sols et s’immiscait dans toutes les maisons et même dans la salle de classe de l’école communale. C’est sans doute dans ces murs humides et froids que Nicole avait attrapé mal, quoi qu’il en soit cela faisait maintenant plusieurs jours que Marie la gardait au chaud, lui préparant grogs et soupes, épongeant son front quand la fièvre montait trop, la couvant comme lorsqu’elle n’était encore qu’un bébé.

Ce soir là Marie était épuisée, cela faisait plusieurs nuits maintenant qu’elle veillait sur sa fille tout en continuant à prendre soin de Jacques, encore si petit et si fragile lui aussi. Sur les coups de 22 heures elle fit un dernier tour dans la chambre de ses enfants pour s’assurer que tout allait bien et projeta d’aller se coucher elle aussi. Mais quand elle s’approcha du lit de Nicole elle trouva la petite trempée et brulante, la fièvre semblait avoir repris le dessus une fois encore. Elle entreprit alors de refroidir le petit front à l’aide d’un gant humide, elle berça longuement sa fille contre elle en lui chantonnant les mêmes berceuses que lorsqu’elle était encore un nourrisson mais au bout de presque une heure passée assise sur le petit lit elle dû bien se rendre à l’évidence, elle allait devoir avoir besoin d’un médecin.

Elle enveloppa alors Jacques dans la couverture la plus chaude qu’elle avait en tâchant de ne pas le réveiller, enfila son manteau en laine et couvrit Nicole de son plus long châle et elle parti ainsi, un enfant sur chaque hanche dans la nuit.

A mesure qu’elle s’enfonçait dans le noir elle sentait le froid saisir chaque partie de sa peau exposée, d’abord le bout de son nez et puis ses oreilles et enfin ses chevilles. Elle serra ses enfants aussi fort qu’elle en était capable contre elle, espérant ainsi leur transmettre le peu de chaleur humaine dont elle disposait encore. Heureusement elle connaissait le village par coeur pour avoir arpenté ses rues encore et encore, elle marchait à de rapides enjambées et atteignit bientôt son but : la petite maison derrière l’école. Elle savait que le mari de Suzanne était médecin, celle-ci l’avait mentionné à plusieurs reprises sans toutefois jamais s’étendre longuement sur le sujet. Elle savait aussi qu’il exerçait dans une des pièces exiguës du logement de fonction, c’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart de ses entrevues avec Suzanne avaient lieu chez elle, elle n’était même jamais retournée dans la petite cuisine depuis leur toute première conversation avant la classe. Au fil des discussions Marie en était même arrivée soupçonner Suzanne de fuir autant que possible ce mari qu’elle devinait très dur, souvent irascible, et si elle ne l’avait encore jamais rencontré, l’image donnée par son amie ne lui en donnait guère l’envie. Mais voilà cette nuit là elle était à nouveau devant la petite porte bleue et elle savait que cet homme craint était sa seule chance pour que sa fille ailles mieux.

Alors, elle inspira profondément, serra Nicole encore d’avantage contre elle et frappa un grand coup à la porte. Plusieurs minutes se passèrent où Marie, immobile dans le froid n’osa pas frapper à nouveau mais tout à coup elle entendit du bruit à l’intérieur de la petite maison et la porte s’ouvrit en trombe. Sur le pas de la porte, le mari de Suzanne, un grand homme svelte au regard bleu acier la dévisageais. Aussitôt elle se sentit rétrécir de quelques centimètres :

- Bonsoir, navrée de vous déranger mais je sais que vous êtes le seul médecin du village, ma fille va très mal, elle a beaucoup de fièvre. Le géant aux yeux de glace la fixa encore quelques secondes avant de baisser les yeux sur la fillette.

- Vous ne pouviez pas attendre demain matin ? Je n’exerce pas la nuit on ne vous l’a pas dit ? Marie sentit ses mains devenir moites malgré le froid mordant

- S’il vous plait, je suis vraiment inquiète.

Immédiatement elle s’en voulu d’avoir à l’implorer ainsi, ce n’était vraiment pas dans sa nature mais quel genre d’homme laisserais une femme et ses deux enfants ainsi dans le froid et la nuit ? Marie était prête à faire demi-tour quand elle entendit des pas plus légers arriver derrière le colosse, Suzanne, en chemise de nuit, un châle sur les épaules fit son apparition. Aussitôt le regard de Marie s’éclaira, tout espoir n’était pas perdu son amie était là.

- Charles, écoute, tu vois bien qu’elle n’a pas d’autres choix, regarde ses enfants, ils sont si petits. Marie sentit la gratitude face à son amie l’emplir bien qu’elle fut étonnée de la voir s’adresser à lui d’une voix si faible, elle d’ordinaire si assurée.

L’homme maugréa mais s’écarta de la porte et laissa Marie entrer. Elle le suivit à travers un étroit couloir qui menait au cabinet de consultations, l’éclairage était faible mais il faisait bon, elle se sentit rassurée, on allait s’occuper de sa fille. Elle observa le médecin installer un drap propre sur la table d’examen puis revenir vers elle et lui enlever sa fille des bras. Marie voulut le suivre mais il lui ferma la porte au nez :

- Je connais mon travail, je n’ai pas besoin de vous dans mes pattes, attendez dehors. Elle ravala alors son inquiétude et patienta dans l’étroit couloir. Heureusement, Suzanne arriva à ce moment là avec une tasse de tisane fumante pour elle et un verre de lait pour Jacques.

- Merci souffla Marie.

- C’est normal. Excuse Charles, il est tout le temps comme ça…par contre je dois te demander quelque chose. Répondit Suzanne

- Tout ce que tu veux, j’ai vraiment cru qu’il n’allait pas la soigner, je te dois une fière chandelle.

- Quand il ressort, continue à faire comme si nous ne nous connaissions pas, il ne doit pas apprendre qu’on se voit régulièrement. Marie regarda son amie, interloquée, mais elle n’eut pas le temps de l’interroger que déjà la porte du cabinet s’ouvrit.

La consultation n’avait duré que quelques minutes.

- Votre fille a une bronchite, gardez la au chaud, faites lui des inhalations d’eucalyptus et donnez lui une culière de ce médicament tous les soirs, elle sera vite sur pieds. Marie s’empressa de mémoriser toutes les recommandations du praticien et saisi le flacon qu’il lui tendait.

- Merci infiniment docteur, je ne sais pas comment j’aurais fais sans vous dit-elle en lui tendant des billets de 20 francs. Il les empocha prestement et fit demi tour vers l’escalier. Marie parti alors sans demander son reste, saluant Suzanne d’un mouvement de tête poli au passage.

Les jours suivants Marie appliqua scrupuleusement les conseils reçus dans l’étroit couloir. Conseils qui se révélèrent efficaces car Nicole se mit à respirer de mieux en mieux, la toux redescendit et elle se trouva vite complètement guérie.

Quand sa fille eu définitivement fini de tousser, les congés de Noël avaient déjà commencé, elle la laissa donc avec son frère chez ses parents et retourna travailler. A son retour à la poste, Marcel son supérieur la regarda d’un oeil sévère, cela faisait une semaine que Marie n’était pas venue travailler. De peur de perdre son poste elle se démena pour compenser son absence, arrivant plus tôt le matin, repartant plus tard le soir, se portant systématiquement volontaire pour remplacer ses collègues absents.

Ce rythme l’épuisait, elle s’endormait le soir sur ses travaux de couture, peinait à émerger le matin quand son réveil-matin sonnait, ses journées se succédaient à une vitesse affolante, cela faisait maintenant longtemps qu’elle n’avait pas passé du temps avec Denise, et elle n’avait pas revu Suzanne depuis la nuit où elle était arrivée chez elle affolée, son enfant brulante dans les bras.

Elle n’avait même pas eu le temps de répondre à la lettre de Jean récemment arrivée, elle l’avait parcourue un soir accoudée contre l’évier, il lui racontait le froid en Allemagne, la neige qu’elle même n’avait que rarement vue à Saint-Martin et puis surtout l’ennui. Jean avait la chance de ne pas se trouver dans un camp de travail, en temps que prisonnier de guerre il bénéficiait d’une certaine clémence, il passait donc toute sa journée dans sa cellule à ne rien faire d’autre qu’attendre. Pour lui, homme du grand air cet enfermement le rendait fou et équivalait à de la torture. Il lui disait aussi sa jambe qu’il avait déjà mauvaise avant la guerre qui maintenant devenait douloureuse. Marie était rassurée de le savoir encore vivant mais s’inquiétait de sa santé qui semblait plus fragile à mesure que le temps passait. Elle avait noté amèrement son absence de réponse à sa formule de tendresse

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