Chapitre 8 

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C’est ainsi, passablement épuisée, que Marie arrive jusqu’à ses congés de Noël, quatre petits jours pour se délester de toute la fatigue accumulée.

En cette période de fête, elle passait le plus clair de son temps dans la ferme de ses parents, les petits pouvaient jouer avec leurs cousins et elle se reposer enfin un peu. Même si la fête ne revêtait aucune dimension religieuse pour elle, Marie avait toujours adoré cette période de l’année, la bâtisse familiale s’emplissait d’odeurs des délicieux mets de sa mère, elle passait toujours les jours précédant l’évènement à choisir et à emballer avec soin chaque présents pour ses frères et soeurs et ses parents et le 24 au soir les rires résonnaient autour de la table massive, réchauffant les coeurs.

Mais cette année le réveillon semblait lui aussi teinté par la guerre, les pénuries avaient eu raison du repas traditionnellement dantesque, les présents étaient emballés dans du papier journal, exit les beaux rubans aux couleurs chatoyantes. Et surtout, les places vides autour de la grande table semblaient aspirer tous les rires. Marie réussi tout de même à se réjouir de la mine émerveillée des enfants devant les jouets en bois confectionnés par leur grand père et les poupées de chiffon cousues par leurs tantes.

Chaque année, la famille Durant comme toutes les autres familles du village assistaient à la messe de minuit, ils se mettaient tous en route sur les coups de 22 heures, bien emmitouflés, certains enfants dans les bras de leurs parents et lorsqu’ils rentraient au chaud, les petits trouvaient, ravis les paquets sous le sapin. Cette année, la famille amputée de la plupart de ses hommes parti assister à la messe mais dans l’église un bien triste spectacle s’offrait à eux : les bancs étaient pour moitié vide, désertes par les frères, époux et fils partis combattre.

La population restante de Saint-Martin redoubla de vigueur lors des chants liturgiques, tous les esprits étaient tournés vers les absents qui devaient se trouver bien seuls en Allemagne ou sur le champ de bataille. A travers la foule disparate assise sur les bancs Marie réussit à apercevoir Suzanne assise entre sa fille et son mari, ce soir là Marie la trouva belle dans son manteau bleu ciel qui faisait ressortir sa chevelure de feu, son regard était entièrement tourné vers l’autel, elle ne réussit pas à attirer son attention.

A la sortie de la messe avant de rejoindre la ferme Suzanne passa devant elle et lui adressa un discret sourire, Marie remarqua la large main de Charles qui lui tenait l’épaule, surprise de voir autant d’autorité s’exercer sur son amie, elle qui paraissait si libre.

Pendant plusieurs jours ensuite cette distance manifeste marquée par son amie à son égard la tarauda. Marie avait beau remonter le fil de leurs dernières conversations elles n’y trouva aucun malentendus, vexations ou quelconque évènement négatif. Elle s’interrogea aussi sur une raison sociale de cet éloignement, après tout Suzanne était institutrice, son mari médecin, deux professions prestigieuses et respectées, elle, en sa condition d’employée des PTT, bien que détentrice du fameux sésame que constituait le baccalauréat, elle était bien éloignée de cette sphère.

A force de se torturer l’esprit Marie en arriva à la conclusion suivante, elle avait dû fortement contrarier Charles avec sa visite nocturne pour Nicole, l’homme qu’elle savait ombrageux avait peut-être tenu Suzanne pour responsable. Oui, c’était sûrement cela, elle était surement à l’origine d’une dispute du couple et de peur que cela se reproduise son amie avait pris ses distances.

Désormais, Marie avait hâte que sa fille reprenne le chemin de l’école pour pouvoir retrouver Suzanne et lui assurer que ce genre d’intrusions ne se reproduiraient plus. Cette date tant attendue ne tarda pas à arriver dans la frénésie des congés de Noël et à nouveau Marie tenu la main de la fillette sur le chemin gelé de l’école. En arrivant devant le portail, elle prit soin d’attendre que la mère précédente soit suffisamment éloignée pour s’approcher de de Suzanne. Après les traditionnels voeux de bonne année Marie se lança :

- Tu sais, j’ai bien vu que depuis la nuit où Nicole avait été malade tu m’évite. Je me doute bien que je t’ai causé du tort ce soir là, je sais que Charles n’est pas commode mais je voulais t’assurer que tu peux être tranquille, ça ne se reproduira plus. C’est juste que ce soir là j’avais vraiment peur et…A mesure qu’elle s’expliquait Marie sentait que son discours était de moins en moins clair, elle rougit, embarrassée.

- Oh, non ne t’inquiètes pas, c’est pas ça. Tu as bien fais de venir, c'est juste que…Suzanne marqua une pause, jeta un regard autour d’elle et baissa la voix avant de poursuivre : Charles ne doit vraiment pas savoir qu’on se voit, je ne peux pas t’expliquer pourquoi ici, mais promis je te le dirais. Samedi il part en visite toute la journée, retrouvons nous chez toi si tu veux, j’ai un livre passionnant à te prêter en plus. Marie, bien que circonspecte, accepta.

Le samedi suivant elle se leva plus tôt qu’à l’ordinaire, pris soin de se coiffer d’un élégant chignon, briqua l’appartement jusqu’à ce qu’il brille, confectionna des biscuits avec le reste de sucre qu’elle avait économisé et attendit patiemment son amie. Marie voulait que tout soit parfait pour leurs retrouvailles, cela faisait maintenant longtemps qu’elles n’avaient pas pu partager un café toutes les deux, leurs longues conversations passionnées lui avait beaucoup manqué.

Sur les coups de 15 heures, alors que les deux petits dormaient profondément à la sieste elle entendit trois coups discrets sur la porte. Marie sentit ses mains devenir moites, c’était leur signal. Elle ouvrit la porte et laissa entrer Suzanne, toujours aussi distinguée, de cette élégance dont seules celles qui avaient vécu à la ville savaient faire preuve. A côté, Marie se trouva engoncée, presque vulgaire dans sa robe noire et avec son chignon sur la tête. Leur entrevue débuta comme toutes les autres, elles commencèrent à se donner des nouvelles de leurs enfants, elles commentèrent l’actualité du village et leurs récentes lectures.

Une demie heure était déjà bien passée et Marie brûlait d’interrompre son invitée à chaque phrase pour l’interroger sur sa distance prise récemment. Quand enfin un blanc se fit Suzanne planta son regard dans celui de Marie, inspira profondément et se lança :

- Je te dois une explication… mais jure moi que ce que je vais te dire ne changera en rien notre relation…

- Mais oui bien sûr, nous sommes amies maintenant, tu peux tout me dire. Lui assura Marie.

- Bon…alors en fait, il se trouve que je ne suis pas arrivée à Saint-Martin par hasard…Avant je travaillais à Marseille, Charles aussi et c’est là que nous avons eu Jeanne. Mais…là bas je travaillais avec une collègue et on s’est tout de suite très bien entendues. Peut-être trop bien. A ces mots Suzanne baissa la tête et rougit. Nous avons eu une liaison. Charles l’a découvert. Il a posé ses conditions : soit on partait à la fin de l’année tous les trois très loin d’elle soit il alertait la brigade des moeurs et c’était l’assurance de ne plus voir ma fille. Entre mon amie et ma fille j’ai fais mon choix même si ça m’a déchiré le coeur. Et on est partis. Charles est devenu très méfiant depuis mon aventure, je sais qu’il m’épie, qu’il me surveille. J’ai peur qu’il découvre nos entrevues et les interprètes mal même si il ne s’agit pas de ça entre nous. Après notre départ il a dénoncé mon amie et elle a été radiée de l’instruction publique. Sa vie est foutue. J’ai tellement honte.

Suzanne releva les yeux mais ce fut à Marie de les baisser. Elle était abasourdie, jamais elle n’aurait imaginé que son amie puisse renfermer un tel secret. Bien sûr elle avait déjà entendu parler de ces amitiés un peu trop poussées, ces amies un peu trop tactiles. Il y en avait déjà eu à Saint-Martin mais dès lors qu’elles étaient découvertes des mesures étaient prises : éloignement, mariage précipité, envoi tout un été d’une des deux parties comme main d’oeuvre chez un oncle éloigné du village…A travers ses lectures Marie avait eu un autre regard sur ces drôles de relations, toujours caché mais plus poétique. Elle même n’en pensait pas forcément de mal, son absence de foi ne lui dictait pas dégoût ou rejet mais ne pas considérer ça contre nature c’est une chose, savoir que sa nouvelle amie est concernée en est une autre.

Ne sachant vraiment pas quoi dire Marie choisit de garder le silence, fixant les miettes sur la table. Heureusement, les pleurs de Jacques qui s’éveillait dans sa chambre lui permis de se lever et donc de lui redonner contenance.

Quand elle revint, son fils dans ses bras, Suzanne était partie.

Marie considéra longuement les chaises vides et le roman oublié par son amie et prit une décision.

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