Chapitre 12

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Cela faisait quelques semaines déjà que Jean était rentré, Marie avait été accaparée par les soins à son époux et ses efforts pour remettre son mariage à flots. En conséquence, elle n’avait plus eu l’occasion de revoir Suzanne si ce n’est quelques minutes le matin devant le portail de l’école. A vrai dire, cet emploi du temps rempli l’arrangeait bien, Suzanne lui manquait mais elle craignait de se retrouver à nouveau seule avec elle. Évidemment elle avait adoré leur escapade à Marseille, ces heures de liberté juste toutes les deux loin de tout mais elle ne savait pas quel comportement adopter si elles devaient se revoir seules à seules. Suzanne avait-elle l’habitude de se montrer aussi tactile avec ses amies ou sa relation avec elle était spéciale ? Elle-même lui avait-elle envoyé un message biaisé ? Marie avait retourné cette question à de nombreuses reprises dans sa tête sans parvenir à trouver de réponse. 

Ce jour-là, les mains dans la mousse de son évier, elle y réfléchissait encore en regardant par la fenêtre. C’était un paisible dimanche après-midi, l’appartement était calme, Nicole jouait avec sa poupée de chiffon assise dans un coin, Jacques dormait et Jean lisait le journal. Ils avaient tous les quatre partagé un délicieux poulet dominical, plongés dans un silence de plomb à peine troublé par le bruit des couverts. Jean s’était levé la mine sombre et depuis le matin c’est à peine s' il avait décroché un mot. Par la fenêtre, une tâche rousse mouvante attira l'œil de Marie, cette tâche elle l’identifia tout de suite : c’était Suzanne qui se dirigeait vers chez eux, un bouquet de mimosa à la main. Devinant son arrivée imminente, Marie s’empressa de s’essuyer les mains sur un torchon et ne put s’empêcher de se recoiffer à la hâte, observant, inquiète, son reflet dans le miroir sous l'œil interrogateur de Jean. Trois coups résonnèrent contre la porte, Marie sentit ses mains devenir moites : c’était leur signal. Elle fit signe à Jean qu’elle se chargeait d’aller ouvrir et se dirigea vers la porte. Derrière, comme prévu, se trouvait Suzanne :

  • Bonjour Marie, comment vas-tu ? Et Nicole ? Comment se porte-t-elle ? Le mimosa de la cour donne ses dernières fleurs, j’ai pensé que ça te ferait plaisir…

Suzanne s’exprimait d’un ton très courtois, poli, presque emprunté, très éloigné de la langue acérée dont elle usait quand elles étaient toutes les deux. Mais, Marie se trouvait très près d’elle, si près qu’elle aurait presque pu sentir son souffle sur son visage. Et d’où elle se trouvait elle pouvait très bien déceler la pointe de malice dans les yeux de son amie. La même qu’à Marseille, sur le rocher. 

Les deux femmes échangèrent quelques politesses sur le pas de la porte jusqu’à ce que l'intérêt de Jean pour la visiteuse ne retombe. Marie le voyant à nouveau plongé dans sa lecture prétexta amener Nicole se dégourdir les jambes et s’éclipsa avec son amie. 

Dehors, l’air était doux, on se trouvait à la période de l’année où le climat est le plus clément à Saint-Martin, entre le froid mordant de l’hiver et les grosses chaleurs de l’été. Marie adorait cette période de l’année. Le trio se mit en route et quitta rapidement le bourg. Nicole, ravie d’avoir sa mère et son institutrice pour elle seule galopait autour d’elles, leur ramenant divers bouquets et autres petits trésors dont la nature regorge. Les deux femmes, elles, restaient silencieuses, aucune des deux ne se décidait à crever l’abcès. Ce fut Suzanne qui se lança en premier :

  • On ne voit plus depuis que Jean est revenu…tu as lu le dernier livre que je t’ai prêté ? 

Marie s’attendait à cette remarque, ce qui ne l’empêcha pas de bafouiller comme une élève prise en faute :

  • C’est à dire que…j’ai eu beaucoup de choses à faire..et puis…Jean a besoin de moi à ses côtés…et puis..depuis qu’il est rentré je laisse moins les petits à mes parents aussi. Elle éluda volontairement la question du livre, trop honteuse de dire à son amie que celui-ci était demeuré intact depuis le retour de Jean, quelques semaines plus tôt. 
  • Pourquoi tu ne laisse plus les petits à tes parents ? Je croyais qu’ils adoraient ça. Demanda Suzanne
  • C’est juste que depuis que Jean est rentré je ne peux plus faire ce que je veux, s'agaça Marie, autant de la situation que de la question de son amie. Toi tu sais pas ce que c’est, tu n’en n’a qu’une et ton mari n’est jamais là mais moi Jean est tout le temps à la maison, il trouve que c’est mieux que ça soit moi qui les garde le plus possible et puis il a raison après tout, c’est moi leur mère. Alors j’ai plus de temps moi pour nos thés. Ni pour lire d’ailleurs. Moi je me bat pour mon mariage et pour mes enfants. Tu comprends ? 

Suzanne accusa le coup silencieusement, Marie était injuste de la faire bouc-émissaire de sa colère et elle le savait. Elle tenta encore une dernière explication :

  • Écoute, si c’est à cause de ce qui s’est passé à Marseille, je suis désolée, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, c’est venu comme ça, j’ai dû mal interpréter les signes je suis désolée…

Marie fit volte face :

  • Marseille c’était une erreur, c’est arrivé mais ça n’arrivera plus, maintenant ça n’a plus rien à voir. Jean est rentré, c’est ma famille, le reste ne compte plus. 

Aussitôt, elle s’en voulut terriblement de dire ça, mais trop tard le mal était fait, elle rappela Nicole et l’intima de rentrer, et vite, son frère allait se réveiller. La fillette rouspéta, elle ne voulait pas rentrer mais sa mère la prit fermement par la main et toutes les deux rebroussèrent chemin, laissant l’institutrice seule, plantée au milieu du chemin. Sur le trajet qui les ramenait à l’appartement, Marie sentit ses joues s’enflammer et ses yeux se remplir de larmes, elle regrettait déjà ses propos, Suzanne et les moments qu’elles passaient ensemble étaient si précieux…Jamais Marie ne s’était sentie aussi bien, aussi profondément en accord avec elle même que devant un thé avec son amie. Mais, il fallait qu’elle agisse ainsi, les liberté qu’elle avait pu prendre pendant l’absence de Jean étaient terminées, désormais elle savait qu’elle devait pleinement se consacrer à Jean et aux enfants, les moments avec Suzanne, les livres dévorés, Marseille…tout cela relevait d’une parenthèse dorée dont elle avait pu jouir, mais maintenant elle devait s’y résoudre, c’était terminé. Et puis, de toute façon, avec ce qu’elle venait de dire aujourd’hui, il n’y aurait aucun moyen de revenir en arrière. 

Plus tard dans l’après-midi, alors qu’elle rangeait frénétiquement l’appartement, Marie tomba sur le dernier roman prêté par Suzanne, elle n’avait pas encore eu le temps de le lire et après ce qu’elle lui avait dit elle n’oserait plus aller la voir pour le lui rendre. Elle le déposa donc soigneusement au fond du placard qui servait au linge de maison, là bas, derrière les draps il ne risquait pas de s’abîmer. Il était le symbole de ces heures d’infinie douceur passées avec Suzanne, la preuve qu’au milieu de sa vie avait existé cette parenthèse enchantée.

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