Nous Ne Sommes Jamais Seul
La nuit s’était étirée, lente et silencieuse, comme une couverture pesante sur le monde endormi. Eléa n’avait pas dormi. Pas vraiment. Elle était restée là, blottie contre elle-même, devant les dernières braises rougeoyantes de l’âtre. À chaque craquement du bois, son esprit dérivait, repassant les souvenirs comme on feuillette un vieux livre aux pages fragiles.
Et puis, à l’aube, quelque chose changea. Pas un bruit. Pas un souffle. Mais une lumière. Une lumière différente. Pas l’aurore magique des nuits dansantes. Non. Une clarté douce, timide, dorée comme du miel. Celle d’un matin de Noël.
Eléa se leva sans y penser. Elle enfila son vieux manteau, toujours détrempé de la veille, et repoussa la porte grinçante de la maison. Le vent avait cessé. La neige, elle, avait tout recouvert, tout effacé. Le chemin, les traces, le passé. Mais pas son espoir.
Elle marcha lentement. Sans but. Sans direction précise. Juste un pas devant l’autre. Comme si ses pieds savaient mieux que sa tête. Elle arriva à la lisière de la forêt. Là où les sapins formaient une arche naturelle, couverts de givre, d’un blanc si pur qu’on aurait cru marcher dans un rêve. C’est alors qu’elle le vit.
Un sapin. Plus petit que les autres. Isolé. Mais orné. Pas de guirlandes. Pas de décorations clinquantes. Seulement des morceaux de tissus noués. Des rubans, délavés mais familiers. Des bouts de laine. Une plume. Une branche tressée. Elle s’approcha, le cœur battant. Et là, à la base du tronc, posé dans la neige… un petit paquet. Mal enveloppé, grossier. Mais réel.
Ses mains tremblaient lorsqu’elle le prit. Il n’y avait pas d’étiquette. Pas de nom. Mais elle savait. Elle le défit lentement. À l’intérieur, un objet. Simple. Un pendentif. En bois. Sculpté à la main. Une silhouette de femme qui danse, les bras levés, le visage tourné vers le ciel. Son cœur se serra.
Ce n’était pas un rêve, enfin, ce qu'on pense tous...Elle regarda autour d’elle, les yeux grands ouverts. Le monde semblait figé, suspendu. Et soudain, un frisson. Un souffle. Juste derrière elle.
Elle se retourna. Il n’y avait personne. Mais… il y avait des pas. Deux empreintes, côte à côte, dans la neige fraîche. L’une plus grande que l’autre. Elle ferma les yeux. Longtemps. Et quand elle les rouvrit, elle sourit. Il était venu. Et quelque part, il reviendrait encore.
Alors elle serra le pendentif contre son cœur. Et pour la première fois depuis longtemps, elle rentra chez elle sans se retourner. Ce soir, elle préparerait du thé. Allumerait des bougies. Et poserait une assiette de plus sur la table.
Pas pour un fantôme. Pour une promesse. Car certaines présences ne s’expliquent pas. Elles se vivent. Et elles dansent, entre les lignes du réel. Car dans la vie, la vraie, nous ne sommes jamais vraiment seul.
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