Une Silhouette Dans La Nuit
Dans les montagnes, les secrets ne meurent jamais vraiment.
Ils se murmurent dans le craquement des branches, se glissent entre deux souffles de vent, s’impriment sur les vitres givrées des maisons endormies. Et depuis quelques temps déjà, les villageois avaient recommencé à parler. À chuchoter autour des poêles, dans les petits commerces, au détour d’un sentier.
Il y avait une silhouette. Une ombre fluide, presque irréelle. Certains disaient qu’ils l’avaient vue danser.
Pas une fois. Plusieurs. Toujours au même endroit : sur la crête, entre la falaise et les grands pins. Une femme, seule. Les bras levés vers le ciel. Tournoyant dans la nuit comme si elle conjurait l’invisible.
Les anciens la regardaient depuis leurs fenêtres, sans mot dire, une tasse brûlante entre les mains. Les plus jeunes en parlaient comme d’une légende, mi-curieux, mi-inquiets.
Mais ce qu’ils ne disaient pas toujours… c’est que ceux qui l’avaient vraiment vue, de près, avaient senti leur gorge se nouer. Car elle ne dansait pas pour le plaisir. Ni même pour la beauté. Elle dansait avec le cœur en morceaux, les larmes plein les yeux, le souffle court. Comme si elle appelait quelqu’un. Comme si elle cherchait à survivre.
Et dans ces instants-là, même les plus sceptiques baissaient les yeux. Cette nuit-là, pourtant, il n’y eut pas d’aurore.
Le ciel resta noir, épais, sans une couleur. Pas un murmure. Pas un souffle. Juste le froid qui mord, la neige qui tombe en silence. Eléa dansa longtemps, malgré tout. Les jambes lourdes. Les bras tremblants. Elle tournait, encore, encore. Comme pour défier le vide.
Mais rien ne vint. Pas de lueur. Pas de trace. Et alors, lentement, elle s’arrêta. Son souffle formait de petites nuées blanches dans l’air glacé. Ses mains étaient engourdies. Son visage, figé par le givre. Pas une seule étoile ne veillait cette nuit.
Elle redescendit. Pas en courant. Pas même en marchant. Elle glissait plus qu’elle ne marchait, une silhouette vacillante entre les arbres. Les sapins, lourds de neige, se penchaient doucement à son passage, comme pour la saluer. Ou la consoler.
Arrivée en bas, elle poussa la vieille porte de sa maison.
Elle ne fit pas attention aux craquements du bois, ni à la neige qui fondait sur le sol, goutte à goutte. Elle déposa son manteau détrempé sur le dossier d’une chaise, sans même le regarder. Ses mains tremblaient trop pour défaire les lacets de ses bottes, alors elle s’agenouilla devant l’âtre, les doigts déjà noirs de froid, et alluma le feu.
Le bois prit lentement. Une flamme, deux, puis un crépitement. Elle resta là longtemps, à genoux, les yeux fixés sur la danse du feu. Une autre danse. Une plus chaude, plus tendre. Moins solitaire.
Il n’y avait pas de bruit, sinon celui du vent dehors, et du feu dedans.
Puis, soudainement, sans vraiment savoir pourquoi, elle leva les yeux vers le calendrier accroché au mur. Une habitude oubliée. Une mécanique du quotidien qu’elle n’avait plus. Mais ce soir-là, quelque chose l’avait poussée à regarder.
24 décembre. Elle cligna des yeux. Demain, c’était Noël. Un murmure passa entre ses lèvres. À peine un souffle.
Elle ne savait même plus depuis combien d’années elle ne fêtait plus Noël. Depuis sa disparition, sans doute. Elle sentit son cœur se serrer. Pas de tristesse. Pas encore. Juste un serrement. Un battement.
Demain. Demain, c’était Noël. Elle ne bougea pas.
Elle resta là, agenouillée devant le feu, les joues rougies par le froid et par l’émotion. Le bois crépitait doucement. La neige, dehors, tombait encore. Et dans le silence, une seule chose restait claire : elle ne serait pas seule cette nuit-là.
Même si personne ne venait. Même si personne ne frappait à la porte. Il y aurait quelque chose. Peut-être une trace. Peut-être un signe. Peut-être qu'il viendra, que il sera là.
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