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Dimanche. J'ai envie d'appeler Nina, de lui demander pourquoi elle a teint ses cheveux en noir. À travers la vitre, sa crinière ressemblait à un délire vaudou.

J'ai la fièvre. De mon lit, je cherche sur le Web quelque chose sur la présence des corneilles en ville. On y parle des coyotes, les nouveaux hôtes de nos parcs, dont le citoyen écologique et ouvert sur la nature se demande s'il doit accueillir leur présence avec bienveillance, ou s'il s'agit d'une intrusion dangereuse. La ville mandate des agents de protection de la faune pour les déplacer vers des réserves. Des gens ont été mordus, un chihuahua enlevé sous les yeux de sa maîtresse. Des tueurs et des charognards. Rien sur elles. Et pourtant elles sont là, attirées elles aussi par la chair rouge, leurs mandibules prêts à tirer les minces lambeaux des cadavres que les canidés leur abandonnent, à se repaître de leurs tripes encore fumantes. Dans le ciel qui déroule depuis des jours une longue toile vierge, les corneilles y dessinent en noir le tableau de notre apocalypse. Les maîtresses du diable crient leur rage de sang.

Je délire. Je laisse tomber ma recherche, j'attends le sommeil.

La pénombre s'installe dans tous les coins de ma chambre, même quand les nuages se font moins denses et que le ciel s'éclaircit. J'ai laissé les rideaux ouverts, une lumière terne s'épuise à quelques mètres du mur du fond. Les bruits voyagent mieux qu'elle, ceux des pneus et des moteurs, et des voix des rares passants pressés de rentrer chez eux se mettre au chaud. Et, toujours, les croassements qui résonnent dans mon crâne. Je laisse la porte-fenêtre entrouverte même en hiver, je la bloque à deux centimètres, la neige poudroie parfois jusque dans mon lit. De l'air, à défaut de lumière. Nina détestait ça, elle collait ses pieds glacés contre mes mollets. J'attendais que mes molécules s'y déversent, mais les siennes étaient plus rapides, et je finissais par frissonner avec elle.

Ma voisine appelle ses chats, Yin et Yang, deux siamois qui volent le pain des pigeons sur le balcon de Léo, l'imbécile qui s'obstine à nourrir ces rats à plumes. Les deux funambules se glissent le long de la corniche ou des rambardes. Ils n'ont jamais posé la patte sur un trottoir, trop précieux pour que Simone leur permette de vivre leur vie de chats. Je sens de la colère dans la voix de ma voisine, l'inquiétude d'une mère Michel prête à vendre sa chair flasque à Lustucru pour qu'on les lui rende.

La porte-fenêtre s'ouvre en grand, frappe contre le mur, et voilà la folle qui surgit chez moi. Quoi ? Elle est passée par-dessus le garde-corps ? Je lève la tête de mon oreiller, lui jette un regard sciemment horrifié. Elle peut bien fouiller tout l'appartement si ça lui chante. Regarde dans les fentes du grille-pain, je lui crie de mon lit. Elle ne m'entend pas.

La revoici devant moi. La panique a laissé place à la gêne. Nous nous regardons. L'anxiété a creusé ses cernes, ses cheveux tombent sur ses épaules affaissées tels des crins ternes.

« Tu as mauvaise mine, Oscar.

- Toi aussi, Simone. »

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