Chapitre 1 - Hugo
L'année scolaire est terminée, enfin, je vais pouvoir faire ce que je veux : dormir, jouer à mes jeux vidéos, lire, regarder des séries, voir un ou deux potes. En septembre, je tournerai le dos au lycée, j'en ai tellement marre. Ces derniers mois, je me suis assez cassé la tête pour trouver la filière qui me plaît et passer mon bac, on verra tout ça après les vacances. J'ai bien le temps d'y penser.
M'man a réservé à la mer comme chaque mois de juillet. Dans la même ville, depuis des années, depuis toujours. Mais cet endroit me convient, il est sympa, même si c'est un coin dont personne ne parle ; c'est peut-être pour ça que je l'aime bien d'ailleurs. L'appartement où on va d'habitude n'était pas dispo mais celui qu'elle a réservé n'est pas très loin. Je devrais retrouver les mêmes garçons que depuis que je suis tout petit. Au moins, j'espère que Maxime sera là, on discute bien tous les deux. Il est cool, ce gars. Les autres trouvent toujours des conneries à faire ou à dire, ça me soûle.
Ce matin, Hugo a rangé ses affaires de classe, les plaçant hors de sa vue pour la durée des congés. Les années de collège ont été longues, toutes ces notions qu'il fallait acquérir, dans des domaines dont il n'avait que faire. L'histoire, la géographie, il se moquait de tout ça et peinait à mémoriser les leçons qu'il considérait comme inutiles. Les années de lycée l'ont un peu aidé à se projeter dans son avenir, les recherches se sont révélées ardues pour déterminer sa voie, puis dénicher la formation qui le conduira à son métier sans durer trop longtemps. Avec courage, il maintient un bulletin correct, avec plus de motivation cependant, maintenant qu'il perçoit mieux l'importance de l'enseignement et qu'il entrevoit l'issue de cette scolarité pesante et l'approche du moment où il se prendra en charge.
Sa difficulté à intégrer des connaissances ne constituait pas le seul point noir de cette période. Les relations avec les autres, qui n'avaient jamais été faciles depuis le début, s'étaient alors révélées sources de souffrance. Dès la deuxième année de collège, un petit groupe s'était ligué pour s'acharner contre lui, le harceler et lui rendre la vie impossible. Outre le fait qu'ils raillaient ses lunettes, ces gamins pointaient l'absence de son père, présentant cette situation comme une infirmité, le rendant, soi-disant, plus vulnérable qu'un autre. Ils ne rataient aucune occasion pour lui lancer des remarques humiliantes, d'une perversité inimaginable. Hugo avait serré les dents sans attendre aucune aide des adultes, il ne parvenait pas à leur faire confiance. Son changement d'établissement, à l'entrée en seconde, l'avait libéré de ces tourments dont il n'avait pas parlé à sa mère, elle avait assez de souci comme ça.
Avant leur départ, dans trois jours, Hugo a prévu de quoi occuper ses journées. Dès le lendemain, il a rendez-vous avec un copain pour voir un film. Le jour suivant, c'est l'anniversaire de Jules, son meilleur ami ; il faut qu'il trouve un cadeau mais il a une idée assez précise de ce qui lui fera plaisir. Le temps passera vite.
— Hugo, tu as préparé ta valise ? répète sa mère pour la énième fois en traversant le couloir.
Devant son insistance, il pose son sac de voyage sur le lit et ouvre les portes de son placard, entrebâille les tiroirs de sa commode.
Qu'est-ce que je prends ? J'ai pas besoin de grand-chose pour aller de l'appartement à la plage et rigoler avec les copains.
Chaque été, depuis qu'elle lui confie le soin de préparer ses affaires, c'est le même problème. S'il s'écoutait, il ne prendrait que trois bricoles, sa mère est obligée de l'encourager à prendre un peu plus de tee-shirts, des pantalons autres que des jeans, un ou deux pulls pour les soirées fraîches, des tennis récentes pour sortir.
Les pas de sa mère se rapprochent et il n'a encore rien choisi. Il se dépêche de décrocher un pantalon et de plonger sa main sur l'étagère pour déterminer les hauts dont les couleurs s'harmoniseront.
— Tiens, tu as rangé tes affaires ? Je vais faire une croix sur le calendrier !
— Oh, ça va !
Fanny fond sur son fils et l'entoure de ses bras.
— Si je peux plus rigoler !
Un maillot de bains, non, deux, une serviette de plage, un jean et la chemise assortie.
— Prends des shorts et des bermudas pour jouer au foot ou te balader.
— Tu sais bien que j'aime pas les bermudas.
— Il va faire chaud, tu seras mieux qu'en pantalon.
— T'as vu mes jambes ? Elles sont moches, j'ai qu'une envie, c'est les planquer.
— Elles sont très bien tes jambes.
— Elles sont poilues comme celles d'un singe, ça ressemble à rien.
— Mon petit garçon devient un homme, rétorque-t-elle en souriant. Pense à prendre ton joli blouson pour aller au restaurant.
— Sérieux, M'man, c'est pas raisonnable.
— Bon, on verra. Tu seras content de l'avoir si tu veux sortir avec des copains, et peut-être une copine, il met en valeur tes yeux ambre, tes cheveux châtain et ta silhouette élancée.
— T'es relou, je préfère passer du temps avec les potes. Ça s'est trop mal passé avec les filles cette année, j'ai plus envie de me faire avoir.
— Je comprends, mais ne reste pas bloqué sur de mauvaises expériences. Tu pourras en discuter avec Maxime, c'est un gentil garçon, il a peut-être des idées à partager à ce sujet. Moi, je te conseillerais d'être naturel, sincère, c'est ce qu'il y a de mieux.
— J'en suis pas persuadé, ya beaucoup de gens, plus t'es naturel, plus ils te prennent pour un con.
Une grimace lui répond.
— Tu n'as pas tort. Allez, finis de réunir tes affaires. On ne va pas tarder à passer à table.
Hugo baisse la tête. Ce genre de discussion le gêne, autant avec sa mère qu'avec ses camarades. Tout ça est tellement confus, incompréhensible. Comment s'y prendre ? Quelle attitude adopter ? Quels mots choisir ? Quand une fille lui plait, il s'arrête sur son sourire, ses yeux, s'intéresse à ses lectures, ses goûts. Il apprécie une certaine finesse et trouve qu'un grand nombre de celles qu'il croise se maquillent trop, parlent trop fort et d'une façon parfois grossière pour paraître libres.
Quand ses copains paradent, racontant leurs expériences plus ou moins vraies, plus ou moins glorieuses, il se tait et serre les dents. Ces vantardises l'écœurent, elles sont trop souvent graveleuses, humiliantes. Bien sûr, il regarde leurs formes mais il s'efforce de ne pas trop laisser peser son regard. Son expérience à lui se résume facilement, deux ou trois flirts sans suite. Lorsqu'il a abordé Louise, il s'est trouvé maladroit, fanfaron, aussi fanfaron que les autres et déplore de ne pas avoir trouvé d'alternative. Ses hésitations ne sont pas passées inaperçues et la jeune fille en a profité, jouant à un jeu qui l'a blessé. Elle lui souriait, l'attirait en minaudant, lui faisait espérer des moments tendres et, au dernier moment, tournait la tête, se défilait. Ils avaient fini par échanger quelques baisers mais l'attitude fuyante et brusque de Louise l'avait déstabilisé. Non, ce n'était pas ce qu'il voulait.
Un gouffre le sépare des autres gamins de son âge, il se sent en complet décalage.
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