UQAM

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Waouh, voilà donc le fameux campus. J’ai profité du vol au-dessus de l’Atlantique pour glaner des données complémentaires sur l'université qui m’ouvrira ses portes dans deux jours. Je ne voulais pas débarquer en terre inconnue. J’ai arpenté ses allées au travers de témoignages d'étudiants. J’ai fouillé dans tout un tas de documents. Les images postées m’ont permis d'entrevoir un lieu surprenant avant même d’y avoir posé les pieds. Avec malice, mon meilleur ami m’a filé les adresses des incontournables, les lieux les plus croustillants, les coins branchés et ceux à éviter. Il m’a vanté les charmes de cette ville qui vit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, été comme hiver.

Pour lui, ce coin sera idéal pour me ressourcer, dépaysement assuré. Je suis comme némo, le poisson vivant dans son anémone de mer avec son père. Trop curieux, j’ai suivi les courants marins pour connaître le grand frisson. J’espère que ma course ne se terminera pas dans l’aquarium d’un dentiste. Je souris à cette pensée. Le poisson clown, enfermé entre quatre parois, a trouvé comme issue de secours les toilettes, je me souhaite un meilleur avenir. Comme lui, je réalise que mon objectif est de franchir un cap, devenir un adulte. Face à moi, un multitude de couloirs se déploient, telle une araignée tissant sa toile. Cette fois, je suis Thomas, le héros du film Labyrinthe, trimbalé dans une boîte, projeté dans un univers sans nom et qui à son tour ne songe qu’à affronter le dédale d’allées pour retrouver un semblant d’humanité. J’espère que les monstres de mes cauchemars resteront éloignés.

Et si Jérémie avait raison, si je devais changer d’air pour m’ouvrir au monde, entrevoir de nouvelles perspectives et croiser des personnes différentes. Dans leur voyage Ulysse, Tintin, le Petit Prince ou tous les autres héros de mon imaginaire ne sont jamais seuls. Ils se nourrissent de chacune de leurs rencontres pour devenir des hommes bien ou même un poisson. Finalement, la perspicacité de mon meilleur ami n’est pas légendaire. Mon premier contact avec ce nouveau monde s’appelle Alexis, le jeune homme est comme tombé du ciel. Depuis qu’il a ouvert son parachute et posé les pieds sur terre, il est ancré dans son milieu et fraie avec assurance et détermination. La seconde est un bonbon au doux nom de Rose, une pile rechargeable, à l’énergie communicative, un vrai rayon de soleil. Encadré par leur présence, j’avance sereinement dans ce lieu impressionnant.

Ici, tout est incroyable. Après être montés dans le métro à deux pas de chez eux, celui-ci nous a posé à l’intérieur du complexe universitaire par un accès direct. Nous sommes descendus à la station Berri-de-Montigny-UQAM. Depuis, j’en prends plein les yeux. Tout est différent. L’université est une ville à part entière au cœur de la mégapole. Cinq écoles ont fusionné lors de sa création en mille-neuf-cent-soixante-neuf. Le campus s’étale sur cinq kilomètres. Les chiffres annoncés sur le dépliant donnent le tournis ; six facultés, quatre centres régionaux, six instituts, cent quatre-vingt-douze salles de cours institutionnelles, cinquante-neuf laboratoires et pour finir quarante salles de séminaires. Je suis scotché, sans voix, un peu stupide de manquer de répartie pour un mec qui entre en école de journalisme dans deux jours. La phrase qui résume le mieux ma première impression est celle que je découvre dans le prospectus de présentation : « L’Université du Québec à Montréal : ne pas détruire pour construire ». L'église de Saint-Jacques, son clocher et la place Pasteur en sont un symbole vivant. Emporté par son élan, Alexis en rajoute une couche :

— L’emplacement a demandé un long processus de réflexion, plus de cinq années de concertations ont été nécessaires. Le défi fut de favoriser l’accessibilité aux cours par qui que ce soit, de l’étudiant des milieux défavorisés au travailleur cherchant à se perfectionner. Aujourd’hui, le réseau de transport urbain multimodal assure la desserte avec facilité. Les autobus, le métro et les pistes cyclables créent le maillage entre les rues Saint-Denis, Sainte Catherine, le parc Saint Louis au nord et le square Viger au sud.

— Alexis, c’est bon tu peux refermer l'encyclopédie. Si tu continues tu vas le faire fuir, interrompt Rose qui s’impatiente et ajoute : Rassure-toi Zach, tu apprendras rapidement à te repérer dans l’espace. Tu n’es pas plus bête qu’un autre.

— Non mais franchement c’est top et j’apprécie que vous me fassiez une visite en avant première.

— Tout est noté pour que tu trouves ton chemin, tout est paramétré avec des signalétiques en fonction des études que tu as choisies. Puis, nous ne serons pas loin, le pavillon des sciences et du journalisme ne sont qu’à un pâté de maisons, me précise Alexis.

Je ne peux contenir un fou rire, lui si désemparé dans l’avion, enfile un tout autre costume, après guide touristique le voilà en commercial. L’université pourrait l’embaucher sans soucis pour vendre les mérites de ce vaste ensemble. Je suis étonné de ne pas l’avoir vu dans les vidéos de présentation que j’ai parcourues. Pas le temps de réfléchir plus, nous rentrons dans le vif du sujet.

À nouveau, je prends une gifle. Le hall d'accueil est somptueux. La verrière en forme de clé de voûte est composée de trois rangées de vitres. Je n’y connais pas grand-chose en architecture, mais le design offre un lieu baigné de lumière. J’imagine sans mal que l'ambiance doit changer en fonction des conditions météorologiques, des saisons ou du moment de la journée. Pour l’heure, le ciel toujours couvert ne semble pas vouloir enflammer l'espace de mille couleurs. J’aurai tout le temps de le découvrir au cours de cette année. J’attrape tout de même mon téléphone pour capturer l’instant. Le cliché accompagnera avec élégance les futurs messages que j’enverrai aux êtres chers laissés en France et qui me manquent.

— Allo, me dit un mec posté devant moi.

Pourquoi allo ? Mon portable sonne et il me signale que je dois répondre. Voilà qu’une fois de plus je plane, perdu dans mes pensées et ma douce mélancolie.

— Allo, Alexis, ton pote est muet ou mal élevé ? insiste le gaillard d’un mètre quatre-vingt dix, taillé dans un roc.

— Correct, lui répond Alexis, je pense surtout qu’il ne t’a pas compris.

— Quoi ? Il débarque d’une autre planète ? Tu l’as pêché où ?

Mais qu’est-ce qu’il raconte, je ne suis ni sourd, ni muet, ni mal poli et surtout je suis là au cas où il ne m’aurait pas vu. Le seul truc, je ne pige pas ce « allo » venu de nulle part.

— Mon Zach, il va falloir te faire un petit lexique des expressions bien de chez nous, me précise Rose en s’accrochant à mon bras.

— Bon alors, allo quoi ? demandé-je en observant le gars qui prend Alexis dans ses bras.

— Ça veut juste dire : salut le p’tit frenchy, me répond-il avec un grand sourire.

— Zach, permets-moi de te présenter mon pote Noah.

— Chu ravi de te rencontrer, me dit-il en me tendant la main. Pardon, je suis content de faire ta connaissance, ajoute-t-il un brin moqueur.

— Ok je comprends mieux, dis-je l’air con. Il va me falloir un peu de temps pour m’adapter. Votre accent est sympa et agrémenté de mots fleuris. Juste le temps de m’y faire et je devrais pouvoir être au diapason.

— Parfait. Et pour la parté ?

— Tu dois partir Alexis ? Tu aurais dû me prévenir.

— Ah mais non, au contraire tu viendras avec nous.

— Les gars translate please, demandé-je le regard perdu.

— Parté, quoi c’est une fiesta, la soirée entre potes avant la rentrée.

Avant que je n’aie le temps de me ridiculiser plus, Rose me devance et demande :

— Je pourrai venir aussi alors ?

— Ben oui, maintenant, t’es assez grande, lui répond Noah avec un regard coquin.

— T’es trop benêt Noah, dégage, dit-elle en le poussant.

La montagne de muscles ne bouge pas d’un millimètre et Rose insiste en martelant son torse avec ses poings.

— Allez boude pas Pink Lady, tu sais bien que tu es comme ma petite sœur.

— J’ai déjà deux grands frères, ça me suffit, lui répond-elle en tournant les talons pour m'attraper le bras.

Je ne sais pas trop ce qu’il y a entre ces deux-là mais pas sûr qu’il n’y ait pas baleine sous gravillon. Noah ne la quitte pas du regard. Je profite de l’arrivée d’un nouveau gars et d’une fille pour m’écarter. Je ne veux pas me retrouver au milieu d'embrouilles. Je suis un grand spécialiste, si pour le coup ça pouvait attendre un peu.

— Allo Noah.

— Allo Léo et Maëva.

Un blond aux yeux verts nous a rejoints, un grand sourire se dessine sur ses lèvres dès qu’il croise le regard d’Alexis.

— Tu nous as fait une belle frayeur. Tu devrais envisager la nage pour ta prochaine virée en Angleterre ou une croisière. T’en penses quoi Maëva ? dit-il en se retournant.

Une charmante brune, dans une robe bleu océan, se jette au cou d’Alexis avant même qu’il n’ait le temps de répondre et l’embrasse. À son tour, il l'attrape par la taille et lui rend son baiser avec la même passion. J'aperçois des larmes couler sur les joues rosies de Maëva, je suppose soulagée de le retrouver en un seul morceau. Pour le coup, je ne pense pas me tromper, ces deux-là attendaient leurs retrouvailles, avec impatience. Léo, en retrait, discute avec Noah et Rose quand la sonnerie de mon portable retentit. Je fais un signe en direction du groupe pour leur signaler que je dois répondre.

Une fois à l’écart, je décroche :

— Coucou, mon choupinou, me dit une voix chaleureuse qui m’enveloppe de douceur.

— Allo Grandma, dis-je en rigolant.

— Oui allo, tu m’entends ?

— Oui même très bien, rassure-toi. C’est juste que par ici il disent allo pour se saluer.

— Ah, je comprends mieux. Je suis rassurée de savoir que tu as déjà pris tes marques. Le voyage s'est bien passé ? enchaîne-t-elle.

— À part quelques frayeurs à l'atterrissage, tout va bien.

— Tu as déjà posé tes valises chez l’ami de Jérémie ? me demande-t-elle aussitôt.

— Demain.

— Ah oui, je me souviens, tu m’avais dit que tu dormirais à l’hôtel pour ta première nuit.

— Mes plans ont changé. J’ai rencontré un gars dans l’avion et il m’a proposé de dormir chez ses parents.

— Très bien, ce sera plus agréable pour toi, et me rassurera de ne pas te savoir tout seul là-bas…

Elle marque une pause, j’ai conscience qu’elle s’inquiète pour moi comme je peux me faire du soucis pour elle. Je sais que Camille et sa grand-mère garderont un œil bienveillant sur Grandma. Dans quelque jours, Étienne rentrera de sa virée en Irlande et se tiendra à ses côtés. Le temps de se trouver un pied à terre, il continue à squatter la chambre d'amis. Ainsi, il lui tiendra compagnie et inversement. Pour finir, mon cousin Pierre doit emménager à Mézange, un soutien de plus dans son quotidien. Je suis parti le cœur plus léger de la savoir aussi bien entourée.

— Zach, tu es toujours là ?

— Oui.

— Tu étais encore dans tes rêves ?

— Pardon Grandma, je réfléchissais.

— Tu as eu des nouvelles de Manu ?

— Non, pas pour l’instant.

— Tu sais, il tient à toi. Laisse lui le temps de se poser et qui sait.

— Pierrette, dis-je pour couper court.

— Je n’aime pas ce ton solennel mon choupinou.

— Pardon…

— Arrête de passer ton temps à t’excuser, tu n’es pas responsable de tous les malheurs du monde. Bon allez, je ne t’embête pas plus longtemps. Je sais que tu as mieux à faire. Si tu y penses, de temps en temps envoie-moi un petit message. Je t’aime mon choupinou.

— Moi aussi.

Eh merde pourquoi « je t’aime » est resté coincé dans ma gorge au moment de raccrocher ? Comme si le dire à voix haute devenait à nouveau douloureux.

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