Just for you

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Mon cher Manu,

Par où commencer, j’aurai tant de choses à te raconter. J’ai posé mes valises depuis plus d’un mois et le temps s’est accéléré. J'ai quitté la France laissant derrière moi mon petit village de Mezange au bord de l'océan pour me retrouver dans une ville pour géant. Petit à petit, je prends mes marques. De ton côté, je suis persuadé que tu as dû passer par tout un tas de sentiments contradictoires depuis ton arrivée en Irlande. Nous sommes comme les corps que nous étudions en cours de physique chimie. Nous commençons par entrer en fusion, la nouveauté nous émoustille. Puis nous nous sommes liquéfiés en plongeant dans l’inconnu. Nous gagnons en assurance à chaque fois que nous consolidons nos expériences et nous finissons par nous sublimer. Ouais ok, la comparaison est sans doute un peu surannée, voilà ce qui arrive quand on croise la route d’étudiants en sciences. Je reviendrai t’en parler plus tard et te présenterai ceux qui côtoient ma vie depuis un mois.

Si je commençais par le début où tout au moins les prémices de mon expédition. Quand j’ai annoncé mon projet à Grandma de partir vivre au Canada pour faire mes études, aussitôt elle a tenu à m’accompagner jusqu'à Paris. Je pensais qu’elle plaisantait, mais elle était la plus sérieuse au monde. Inquiet qu’elle entreprenne ce voyage toute seule, j’ai émis des réserves. Je ne voulais pas non plus la vexer aussi j’ai proposé à Camille de se joindre à nous. Ravie, ma meilleure amie s’est empressée d’accepter, prétextant que ce serait l’occasion pour elle de faire l’école buissonnière. Elle m'a affirmé qu’elle affectionnait son quotidien mais qu’un peu de piment serait toujours agréable à prendre. Elle m’avoua pendant le voyage que pour rien au monde elle n’aurait voulu rater mon départ et m’a fait promettre de lui envoyer régulièrement des photos. Avec Étienne, nous avons souri à leur proposition et nous n’avons pas pu nous contraindre à leur dire que nous n’étions plus des enfants. Cette virée dans la capitale aux côtés de Pierrette m’a rappelé tant de souvenirs et plus particulièrement un week-end à l’occasion de mon anniversaire. À cette époque, en famille, nous avions arpenté les rues et terminé notre périple par la visite de la Tour Eiffel.

Assis en face de ma grand-mère, toutes les diapositives de ce week-end ont défilé à très grande vitesse sur la toile de fond. Depuis mes quinze ans, ma vie s'accélère sans que je ne puisse faire d'arrêt sur image. Avant de rejoindre l’aéroport, nous avons fait une escale dans un café dans les ruelles du faubourg Montmartre. Cette pause fut salutaire avant de débarquer à l’aéroport. Une fois dans le hall, les au-revoir furent brefs. Je ne me sentais pas capable de les faire s’éterniser, j'aurais fini par faire marche arrière. Tel un automate, j'ai suivi Étienne, je me suis retourné pour faire un petit geste de la main et un dernier sourire. La porte s’est fermée et j’ai libéré mes larmes.

Bon ça y est, comme d’habitude, je suis parti pour écrire un roman. Je m'étale. Pas facile de choisir ce qui est essentiel ou juste de la bagatelle. Avant, nous étions tout le temps fourré ensemble et nous parlions sans cesse de tout et de rien. Deux mois se sont évanouis depuis notre dernier baiser. Soixante jours se sont évaporés emportant avec eux ton sourire et le doux son de ta voix. Le temps passe et je me demande si je ne vais pas finir par oublier tout ce qui te compose. Tu me diras que la vie est ainsi faite, on empile les bonjours et les aurevoirs. Pas sûr pour ma part d’y réussir.

Mon arrivée au Canada a été des plus mouvementés, j’ai frôlé les faits divers avec un atterrissage loin d’être en douceur. Tu me connais j’ai enchaîné par la visite d’une prison. Pourquoi se priver de ces petits détails qui aujourd'hui me font sourire ? Toutes ses péripéties ont été l’occasion de rencontrer des personnes différentes et passionnantes. Tu connais Jérémie, en bon ange gardien, il a semé quelques surprises sur mon chemin. Des petits cailloux jalonnent ma route pour que je ne me perde pas. Le premier fut Alexis, un mec formidable, un tantinet peureux. J’ai rapidement compris qu’il ne supportait pas les voyages long courrier au-dessus de l’océan. En attendant, il est rentré dans mon paysage pas par hasard mais bien du fait de mon meilleur ami. En prenant mon billet d'avion, il s'est assuré que mon voisin serait à même de m’accueillir dans ce nouveau monde. Comme il me connaît trop bien, il savait que ça marcherait entre nous. Résultat, toute sa famille m’a adopté après on va dire un léger incident, quiproquo qui aurait pu me coûter d’être foutu à la porte. Mais tu me connais, je suis comme les chats finalement je retombe toujours sur mes pattes. Quand je ne tombe pas dans les tiennes, tes caresses sur mon corps me manquent terriblement.

Oui ok, je fais une légère digression. Revenons à nos moutons. Bon donc comme je te le disais, j’ai rencontré toute la famille ou presque, sa sœur Rose est un bonbon, nous avons fait ensemble nos premiers pas à l’université, ce lieu est impressionnant. Tu verrais le cadre, il est à couper le souffle et je ne te parle pas de la bibliothèque, un vrai trésor où j’aime à me perdre en songeant à nous deux déambulant dans les allées. Tu adorerais le coin et pas sûr que je pourrais t’en déloger si tu vivais à mes côtés. Quoiqu’en y repensant, je trouverai des astuces, certes déloyales, pour t’en extraire. Je t’imagine, installé confortablement dans un des canapés, le nez plongé dans un Tintin, un sourire aux lèvres. J’arriverai discrètement, tel un félin prêt à fondre sur sa proie et te volerai un baiser. Allez à nouveau, je m’égare, je sens tout mon corps vibrer à l’idée de pouvoir laisser mes doigts paresser sur ta peau. Que fais-tu de ton côté ? Pourquoi ne réponds-tu pas à mes messages ? Pourquoi me laisses-tu dans l’ignorance ? Tu te souviens, j’adore empiler les si, les quand et les parfois et bien à cette heure les pourquoi se déversent sans que je puisse les contenir un peu comme un enfant curieux. Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi ne voit-on pas les étoiles le jour ? Pourquoi ? Pourquoi ? Heim pourquoi ? Ok, j’arrête de faire mon gosse.

Je ne t’écris pas pour obtenir des réponses, je t’écris avant tout pour te parler de tout ce qui fait ma vie à présent, pour te partager l’univers dans lequel je gravite.

Les cours sont passionnants, je me découvre une âme de bosseur. Quelque part tu avais perçu mes aptitudes et tu as rapidement compris que j’avais avant tout besoin d’un coup de pouce pour m’affirmer. Ici Alexis et ses amis jouent au catalyseur, ils me soutiennent et m’encouragent dans toutes mes entreprises. Alexis entre en troisième année de science en biomédicale avec sa petite copine Maëva, ils sont vraiment fait pour être ensemble, ils se complètent si bien. Il y a aussi Léo et Noah, deux sacrés bout en train, avec eux pas le temps de s’ennuyer et toujours prêts à faire la fête. Dans ce groupe, il faut ajouter Caroline et Charlotte, deux filles qui n’ont peur de rien. Pour finir, Lucas, lui, a un parcours un peu particulier. J’apprends juste à le connaître, je t’en parlerai à l’occasion d’une autre lettre. Sinon, j’ai rencontré Léa, nous étions assis l’un à côté l’autre au premier cours et depuis nous avons fait plus ample connaissance. Comme tu peux le constater, je suis loin d’être seul et abandonné. Pourtant quand je rentre le soir, c’est toi que je voudrais trouver sur le seuil de la maison. Tu serais assis sur le perron, un bouquin dans les mains, le soleil couchant balaierait ton visage et des étincelles illumineraient tes yeux. Je viendrais déposer un baiser sur ta joue et m’installerai à tes côtés pour qu’à ton tour tu me racontes ta journée.

Ensuite, nous attendrons le retour de l’inspecteur Harry, et tu n’en croirais pas tes yeux, il est le sosie de Clint Eastwood. Débarquer chez lui était loin d’être le fruit du hasard. Jérémie le connaît particulièrement bien, il travaille ensemble sur certaines enquêtes. Ni l’un, ni l’autre n’ont souhaité s’étaler sur le sujet et pour le coup ce ne sont pas mes affaires. Je vis au dernier étage de sa maison, il m’accorde une grande liberté et la dernière en date est d'organiser une soirée dans quelques heures. Nous allons fêter l’anniversaire de Lucas, une surprise. Aussi, j’ai profité d’un break après les cours pour t’écrire, j’avais trop envie de te parler et quoi de mieux que de laisser l’encre de mon cœur se répandre sur le papier. Tu te souviens, je te l’avais confié dans ma lettre avant de m’envoler pour Montréal, pas de mail, trop impersonnel pour te parler, juste un papier et un crayon. Savoir que tes doigts se posent sur la feuille où les miens se sont baladés est juste jouissif, savoir que tes yeux vont dessiner les courbes de mes lettres me fait frissonner. À nouveau mes pensées divaguent en d’autres lieux.

Avant de m'atteler à la préparation de la pâte à crêpes, je veux te parler de ce prince fou amoureux perdu dans un parc somptueux au doux nom d’Algonquin. Le week-end dernier, je suis parti avec la famille d’Alexis rendre visite à leur grand-père Emmett qui vit à l’orée de sept mille six cent trente cinq kilomètres carrés de forêt et de tourbières. Des collines d’érables, des crêtes rocheuses et des milliers de lacs agrémentent ce lieu merveilleux. Oui, pardonne-moi d’utiliser autant de superlatif mais quand je me suis retrouvé immergé sur le site, mes sens se sont trouvés exacerbés. La seule façon de l’explorer est de le parcourir à pied ou en canot. J’ai eu l’occasion d’errer au cœur de l’été indien, ici ce n’est pas un mot jeté en l’air. Les arbres se parent de leur plus belles tenues, les dégradés sont somptueux, difficile de quitter du regard cette toile grandeur nature.

Donc le prince avait besoin d’un moment pour lui pour se reconnecter. Une randonnée, voilà ce que m’ont proposé Alexis et son grand-père en insistant sur le fait que pour que l'immersion soit complète, je devais la faire seul. J’ai hésité, l’espace m’était inconnu, l’expédition devenait un périple. Ils m’ont rassuré, le sentier faisait une boucle, le balisage était précis et si je m’égarais ils me retrouveraient sans mal en localisant mon portable. Je rêve, ou Jérémie n’a pas enlevé le traceur de mon téléphone. Quelque part, je m’en fiche, après tout j’ai pleinement confiance en lui. Toi, je sais que ça te gonfle, mais ça nous a aussi sauvé la vie. Rassure-toi, il ne te suit plus à la trace, je ne lui ai pas laissé le choix, il me l’a promis. Je souris en imaginant ta tête en lisant cette partie, tu farfouilles dans ton appareil pour t'assurer du bien fondé de mon affirmation.

Je suis parti au lever du soleil sur le sentier au nom de Track and Tower trail, sept kilomètres cinq m’attendaient. Le niveau de difficulté était modéré, tout dépend si on envisageait qu'à ce moment précis j’entrais dans la catégorie : spécialiste. Depuis la rentrée, je me suis mis à la course à pied une fois par semaine, dans un premier temps pour évacuer. Maintenant, le plaisir de l’effort a pris le dessus. Cette dépense d’énergie me fait un bien fou. J’augmente les distances et maintient un rythme soutenu, aussi la randonnée ne m’effrayait pas. Je me suis senti revivre à chaque pas.

Au cours de ma balade, j’ai ramassé le petit bois nécessaire pour confectionner un moulin à eau, comme tu m’avais appris à le faire. En croisant un des nombreux ruisseaux, je le lui ai confié et ne l'ai pas quitté du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse dans les méandres. J’ai retenu ma respiration et comme pour toi j’ai accepté qu’il suive sa propre destinée. Rapidement mon esprit a vagabondé, mes yeux s’amusaient de tout ce qu’ils voyaient. À cette époque de l’année, le spectacle est pure délectation, les feuillus qui encadrent les quelques vestiges d’une ancienne voie ferrée donnent de la magie au lieu. Comment ne pas se sentir revivre au milieu de ce monde enchanteur. Le chemin escarpé faisait une étape sur un sommet, je fus subjugué par le point de vue spectaculaire sur le Cache Lake et que dire de ma rencontre avec un orignal. Comme j'aurais voulu pouvoir partager tous ses instantanés avec toi, me coller dans ton dos, recouvrir ta taille de mes bras et m'enivrer de ton odeur. Nous aurions posé notre regard sur l’horizon, écouté le silence, calé nos battements de cœur et qui sait nous abandonner à un tendre baiser au soleil couchant.

Allez, on sonne à la porte, Léa doit arriver et me rappelle sans le savoir que le temps à tes côtés filent toujours trop vite.

Mon cher et tendre Manu, tu me manques.

Accepte mes quelques mots d’amour

Just for you

Ton fucking blue eyes

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