Bizarre vous avez dit bizarre...

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Plongé dans mes cours, je n’avais pas prêté attention aux gens qui occupaient les espaces voisins. J’avais choisi une table avec une banquette derrière un des paravents végétalisés. J'apprécie particulièrement ce coin, un poumon vert, loin de l’agitation. Un premier éclat de voix puis un second me sortent de ma bulle de révision. Mon regard se pose sur l’homme qui se précipite vers la sortie en vociférant. Au passage avec sa main, il bouscule une chaise. Il ne prête pas attention au serveur. Celui-ci arrivait avec son plateau, les commandes défiant les lois de l'apesanteur dans un équilibre savamment réfléchi. Hier au cours de notre conversation, Lucas m'a expliqué les techniques pour gagner en efficacité quand le restaurant déborde de toute part. Là, son collègue s'en sort par miracle, aucune goutte n'échoue au sol, aucun verre en morceau, aucune blessure,

Quand l’homme passe devant la baie vitrée, je tilte en reconnaissant la tenue dont il est vêtu. Je n’en reviens pas, le monde est tout petit. Qu'est-ce que le copilote du Boeing peut bien faire par ici ? Je tourne la tête pour découvrir l’homme qui partageait sa table. Son visage ne m’est pas non plus inconnu, je me rappelle l’avoir croisé à mon arrivée. Je m’en souviens très bien, parce qu’il avait énervé Noah. Je l’avais percuté sans le vouloir et il était monté dans les watts. Je n’ai pas oublié cette altercation parce qu’une semaine plus tard, j’ai à nouveau croisé sa route en sortant des toilettes. Je lui ai mis la porte en pleine figure. Plus de peur que de mal, il n’a eu aucune égratignure.

Il était déjà énervé avant même que je le bouscule une seconde fois. Je pense que je n’ai rien arrangé. Il m’a envoyé directement sur les roses avec beaucoup de délicatesse, m’offrant à sa façon un joli bouquet de mots fleuris. Depuis, mon lexique s’est gonflé de quelques pépites. Après m’avoir renvoyé dans les cordes, il m’a demandé de dégager de là au plus vite. Bien sûr, je ne suis pas du style à ce qu’on me dise ce que je dois faire ou pas. Aussi, je lui ai dit d’attendre, je voulais me laver les mains. Il m’a fusillé du regard et a lâché l’affaire. J’ai trouvé qu’il avait abandonné trop facilement, jusqu’à ce que je comprenne son petit jeu.

Il attendait quelqu’un et voulait l’espace libre pour réaliser ses affaires à l’abri des regards. Discrètement, j’ai observé dans le miroir ce qu’il manigançait. J’avais bien ma petite idée pourtant je ne voulais pas le juger sans preuve. Comme je m’y attendais, deux gars se sont pointés, lui ont serré la main et leurs doigts se sont repliés. La transaction venait de se faire. Puis, chacun s’en est retourné, sans s’occuper de ma présence. Cet incident m'est sorti de la tête jusqu’à maintenant. Je venais juste d’arriver, je n’allais pas me mêler de ce qui ne me regardais pas. Mais depuis ma conversation avec Harry, je me dis que je devrais peut-être mettre mon grain de sel. Si Manu était à mes côtés, il me dirait de laisser tomber. D’un côté, mon ange gardien me souffle à l'oreille, garde tes distances, de l’autre un petit diable s’agite sous mon nez, il me titille, me provoque et me suggère de garder un œil sur ses agissements. Maintenant que je viens de découvrir que le copilote est dans les parages, je ne peux pas me contenter de rester un témoin silencieux.

Pourquoi Peter est-il ici ? Le blondinet est dans la même classe qu’Alexis et ils ont cours de biologie jusqu’à quinze heures. Plus facile de masquer son absence en amphi qu’en séance de travaux pratiques. Je l’observe, ses mains font tourner le cadeau posé sur la table. La boîte est emballée avec un papier kraft et un ruban rouge. Si je comprends bien, l’étudiant a un lien avec le copilote, reste à moi de trouver lequel. Pour cela, la façon la plus efficace est d’ouvrir le dialogue. Je ferme mon ordinateur, le range et me dirige vers le comptoir pour me renseigner auprès de Jacques. Très physionomiste, il connaît la plupart de ses clients. Nous sommes très nombreux sur le campus, pourtant je ne sais pas par quel tour de passe passe, il est en capacité de savoir leur prénom et leur promo.

— Je peux te demander un service, dis-je en m’appuyant sur le comptoir.

— Bien sûr Zach, dis-moi ce que je peux faire pour toi.

— Tu le connais le mec assis à la table du fond, celui avec le paquet ?

— Peter, me répond-il aussitôt. Je te dirai qu’il vaut mieux l’éviter. Il est prétentieux et pas franchement fréquentable.

— Qu’entends-tu par là ? dis-je de plus en plus intrigué.

— Qu’il fricote avec des gens pas toujours bien sous tout rapport.

— Comme celui avec qui il vient de s’engueuler ?

— Ah lui, non, c’est son grand frère.

Tiens donc, voilà une information des plus intéressantes.

— Je veux bien deux cafés, s’il te plait.

— Ok, je te les prépare et te les apporte à ta table.

— Non, à celle de Peter.

— Zach, sois prudent.

— Argh, j’évite de faire de telles promesses, réponds-je du tac-au-tac.

Je m’avance vers mon objectif, bille en tête. Est-ce que je ne suis pas en train de faire une connerie ? L’avenir me le dira. Une de plus. Allez, je me jette dans l’inconnu. Je pourrai inscrire ce début de simili enquête à mon tableau d'honneur : “Zach en mode Holmes”.

— Je peux, dis-je en tirant la chaise en face de lui.

— Dégage face à claques, je n’ai pas besoin de compagnie, s'agace-t-il.

— Un café ça te dit ?

— Tu comprends pas le frenchy, pauvre colon.

— Ok, maintenant que tu as passé tes nerfs sur moi, on peut passer à autre chose.

Sans tenir compte de son avertissement, je m’assois. Jacques arrive et dépose les cafés sur la table en posant sa main sur mon épaule.

— T’inquiète, tout va bien, nous nous présentions, dis-je pour le rassurer.

Je regarde Peter, droit dans les yeux et attends un instant avant d’engager le dialogue.

— Moi, c’est Zach. Je suis en première année de journalisme.

— Ouais, j’avais cru comprendre. Tu traînes avec ce niaiseux de Noah et ses potes. Pourquoi tu viens te taper l’incruste ? Je t’ai rien demandé.

— Je sais pas trop, je me suis dis que nos premières rencontres avaient été mouvementées, une façon de m’excuser de ma maladresse.

— T’es bizarre comme mec, je n’aime pas qu’on vienne marcher sur mes plates bandes.

— Oula je n’en ai pas l’intention, chacun sa merde.

— Qu’est-ce que t'entend par là ? Sois plus clair.

— Rien de particulier, dis-je aussitôt de peur de me mettre une balle dans le pied.

Si je ne me trompe pas, il est à la tête d’un trafic, aussi je devrai être plus prudent et peut-être faire moins de rentre dedans.

— Tu n’avais pas cours cet après-midi ? demandé-je pour changer de sujet.

— Tu es bien trop curieux.

— Oui, on me le dit souvent. En attendant, tu ne m’as pas répondu.

— Et si j’ai pas envie, je t’ai rien demandé, on se connait pas. Et là tu m’emmerdes.

— Ok, je finis mon café et je te laisse. Je voulais m’excuser. Maintenant que c’est fait, j’ai un petit conseil, fout la paix à Noah et aux autres.

— S’ils restent à leur place, ça ne devrait pas poser de problèmes. Pour toi, c’est une autre histoire

— Tu insinues quoi par là ?

— Que finalement tu me plais bien. Tu as quelque chose de prévu ce soir ?

— Non, rien de programmé pour l’heure.

— J’organise une parté dans l’appartement de mon frère pour mon anniversaire. Il me le laisse pour l’occasion.

— Je peux venir avec un pote ? demandé-je pour ne pas me retrouver seul dans un guet-apens.

— Du moment qu’il ne s’agit pas de Noah, d’Alexis ou Léo, pourquoi pas.

— Je pensais plutôt à Lucas.

— Va pour Lucas, il est moins con que les autres. Lui et toi ?

Qu’est-ce qu’il entend par là, lui et moi ? Je rêve, il pense que c’est mon chum. Et pourquoi est-ce que tout à coup ça l'intéresse de savoir si j’ai un petit copain ou copine. Quand une notification s’affiche sur l’écran de son portable et dévoile sa photo de fond d’écran, mon pouls s'accélère, mes mains deviennent moites, une sueur froide glisse le long de mon cou. Je reconnais l'arrière-plan. Je serre les poings sous la table pour cacher mes doigts qui tremblent. Est-ce que le diablotin ne m’a pas conduit dans un piège ? Le selfie est pris sur le miroir d’eau de la place de la bourse, les façades environnantes et le ciel se reflètent à la surface. Ce lieu poétique est sans conteste un incontournable de Bordeaux. Mon sang se glace.

L’image se floute à nouveau, je voudrais saisir son téléphone pour en avoir le cœur net, déterminer si ce n’est que mon imagination qui me joue des tours ou si les coïncidences s’empilent de façon trop parfaite. Une seule certitude, il s’agissait bien d’un homme à ses côtés. Je me fais sûrement un film. Il est peut-être avec son frère en vacances en France. Ce cliché m’intrigue et une sensation désagréable m’envahit peu à peu. Manu me suggérait avec délicatesse d’aller voir ailleurs si j’y suis. Il aurait sûrement raison. Mais il me connaît si bien. Il se doutera que je n’en resterai pas là. Je suis persuadé que ce sont ce type d'initiatives qui l’ont effrayées.

— Du coup à ce soir, dis-je en débarrassant nos consommations.

— Tu veux pas connaître l’adresse ? me demande-t-il en effleurant ma main.

Je laisse échapper ma tasse qui s'écrase au sol. Je me précipite pour ramasser les bris et reprendre ainsi le cours de ma vie. Je n’ai pas apprécié le contact de ses doigts glacés sur ma peau, un électrochoc violent. Je suis à fleur de peau. Je profite de l’incident pour me rendre au comptoir afin de récupérer un balai, une pelle et surtout changer d’air. Jacques m’interroge du regard, je lui fais un signe de la tête pour lui confirmer que tout va bien. En revenant sur mes pas, je réalise que Peter a disparu, seule trace de son passage, un morceau déchiré de son papier cadeau sur lequel il a laissé un mot : “si Lucas ne s'est pas noyé dans tes yeux bleu océan, je pourrais m’y perdre sans hésiter. Rejoins-moi pour qu'on en discute. Ce soir, rdv deux-cent-trente-quatre rue Redfern”.

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