Un serpent à deux têtes

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  • Rose, on se retrouve ce soir vers vingt-et-une heures, je viens de t'envoyer l’adresse.
  • Tu veux qu'on te pose ? s'écrie Noah qui attend de l’autre côté de la rue.
  • Non, t’inquiète, c'est bon je vais prendre le métro. J’ai une ou deux courses à faire.

Main dans la main, les tourtereaux prennent la direction du parking souterrain. De mon côté, je rejoins la bouche de métro. Je consulte le message de Lucas et dans la foulée j’en profite pour jeter un œil aux trois autres notifications.

Lucas : “Je n'ai pas pu voir le vigile, par contre son collègue m’a dit qu’il prenait son service à dix huit heures. Je me suis dit que sur le chemin du retour, tu pourrais faire un crochet (⁠◠⁠‿⁠◕⁠).”

Le suivant est de Jérémie : “ Mon choux ^⁠_⁠^, encore une semaine avant de te prendre dans mes bras, hâte de te revoir, d’ici-là évite les mauvais coups“. Une bonne nouvelle, c’est toujours bon à prendre. Sa présence à mes côtés sera un plus dans l’avancée de notre enquête.

Au tour de Oliver : “J'espère que tout va bien pour toi, quand j’ai vu ton pote Léo arriver à l’hôpital, j’ai pensé que tu aurais pu être à sa place. Si tu as un moment lundi pour aller nager, tu sais où me trouver”. Je consulte mon agenda de la semaine prochaine et bloque mon lundi dix huit heures, je lui dois bien ça et surtout il faut que nous parlions de vive voix.

Le message suivant est d’un numéro inconnu : “Zach, un conseil, tu ne sais pas où tu mets les pieds, j'ai tenté de te prévenir plusieurs fois, j'ai bien peur que je ne puisse plus rien pour toi si tu persiste dans cette voie. Putain, laisse tomber, la prochaine sera peut-être la dernière”.

Et voilà, un avertissement de plus dans la liste. Dois-je m’en soucier, ou l’ignorer ? Ok, le merdier que je remue fait remonter à la surface un truc qui va me péter à la gueule. J’ai bien compris, mais je ne suis plus seul et je ne laisserai pas tomber, pas maintenant. Je vais juste me montrer plus prudent et demander à mes amis de l'être tout autant.

Je descends une station avant la patinoire et remonte les allées piétonnes enneigées. J’ai besoin de prendre l’air et de m’assurer que je ne suis pas suivi. Avec le froid de canard, peu de courageux s'aventurent sur les trottoirs. Cette ville est impressionnante, avec son côté pile à ciel ouvert et son côté face sous terre. Je débute ma progression et me poste devant la première devanture pour jeter un œil dans la vitrine. Dans le reflet, je ne vois rien de suspect. Les deux jeunes femmes à ma droite ne semblent me porter aucun intérêt. Blotties l’une contre l’autre, elles sourient simplement.

Je pousse la porte de la boutique de cadeaux et j’en profite pour faire quelques emplettes. Un bonnet avec une panthère rose attire mon attention, il sera parfait pour mon amie Rose, je décide de prendre l'écharpe en complément. Dans la foulée, je choisis un foulard pour Juju, le dégradé de bleu se mariera à merveille avec son manteau bleu marine. Si Rose me voyait faire, elle n’aurait pas fini de me charier. Pourtant, j’ai toujours aimé trouver le cadeau qui pourrait faire plaisir. Pour Léa, j’opte pour une trousse aux motifs floraux dans laquelle j’ajoute une boîte de craies pastelles. Elle adore dessiner pendant son temps libre. Pour Caroline et Charlotte, je choisis deux bougies parfumées à la cannelle, elles trouveront une place dans leurs collections bien fournies.

Je n’ai plus le temps de fouiner pour trouver d’autres idées pour le reste de la bande. Je passe en caisse pour régler mes achats et je me précipite vers la patinoire de l’autre côté de la rue. À mon arrivée, les portes automatiques restent closes. Je consulte mon téléphone, il est à peine dix huit heures. Je fais le tour du bâtiment pour rejoindre l'entrée réservée aux employés. Personne, l'accès est verrouillé. Je consulte une seconde fois le message de Lucas, pour m’assurer de l'avoir bien lu. Je vérifie l'heure. Il y a dû avoir un malentendu ou un imprévu. Je commence à rebrousser chemin quand une voix m'interpelle.

  • Tu dois être Zach ?
  • Peut-être.

Je me retourne et avec soulagement je reconnais le vigile qui discutait hier dans les couloirs avec mon ami.

  • Lucas m’a dit que je pourrais te trouver là, précisé-je en lui serrant la main.
  • Oui, je me doutais que tu passerais.
  • Disons que je voudrais avoir des compléments d’informations.
  • Je peux faire mieux que ça.
  • Ah oui comment ? demandé-je intrigué.
  • Tu as cinq minutes ?
  • Je vais les trouver.
  • Alors suis-moi.

Nous longeons les couloirs des vestiaires pour nous rendre dans une pièce se situant sous la tribune nord. Quand je pénètre dans la salle, mon regard est attiré par le mur de caméras. Il me présente à son collègue tout en précisant que je suis un jeune en formation dans la vidéo surveillance. Une demi vérité vaut mieux qu’un énorme mensonge.

  • On va lui montrer les images d’hier, lance-t-il l’air de rien. Pour l'heure, il ne se passe pas grand chose, les pros ne sont pas encore arrivés.
  • Tu veux voir un truc en particulier ? me demande-t-il.
  • Les couloirs avant le début du match, tenté-je.
  • Ok, let’s go.

Les images défilent sur les téléviseurs avec un décompte précis des minutes. Le défilé des joueurs de UQAM débute, Noah et Léo arrivent ensemble, ils sont en grande discussion, à l’attitude de Noah, je perçois qu’il taquine son pote. Puis au tour de l’équipe de Toronto de se présenter en un seul bloc. Le bus les a déposés devant l'entrée sud. Pour l'instant rien de suspect, les préparatifs banals d’une rencontre sportive. Par contre, il y a un joueur adverse que je reconnais sans mal. Je ne suis pas prêt d'oublier son allure.

  • Stop c'est possible de revenir en arrière ?
  • Tu as vu un truc, gamin ?
  • On peut zoomer sur le gars qui se tient dans le couloir, la juste à côté du poteau. Il n'a pas bougé depuis dix minutes et se tient dos à la caméra.
  • C'est vrai, j’avais pas fait attention mais maintenant que tu le dis, c'est étrange qu’un joueur ne rejoigne pas les vestiaires avec ses coéquipiers.
  • Je me fais peut-être des idées, soupiré-je.

Le vigile remet en route. De mon côté, je ne quitte pas l’homme avec le maillot de UQAM dont je ne vois qu’une partie du numéro, un six. Je scrute l’écran, toujours aucun mouvement de sa part, si ce n’est pour consulter son portable.

  • Tiens regarde Zach, un joueur de l'équipe adverse sort des toilettes et vient dans sa direction.
  • Oui tu as raison, ils discutent à l’abri des regards, insiste son collègue, le mec reste de dos.
  • Il va falloir envisager de changer l'axe de la caméra pour éviter de nous retrouver avec un angle mort, lance le vigile.
  • En tout cas, je ne sais pas ce qu’il trafique mais ils ont l'air d’avoir préparé leur coup en amont.

Les images avancent au ralenti, nos yeux fixés sur l’action. Le joueur de Montréal serre la main de celui de Toronto. Le gars qui a balancé Léo sur la glace se décale sans dissimuler son visage, il semble aux anges, satisfait de cet échange.

  • Vous pensez qu’il lui a donné quelque chose ?
  • Si c’est le cas, ça pourrait être n’importe quoi.
  • De la drogue ?
  • Oui ou de l'argent.
  • Un pot de vin pour dégommer l’attaquant en forme de l'équipe adverse ?
  • Tous les scénarios sont envisageables.
  • Il n’y a aucune caméra où on pourrait voir le visage du numéro 63 ? demandé-je agacé.
  • Tout dépend de ce qu'il a fait après, précise l’homme à ma droite.

Les deux agents de la sécurité me proposent de visionner la caméra proche de la sortie des joueurs pendant que de leur côté ils observent les écrans qui jouxtent le terrain.

  • Je l'ai retrouvé, s'écrie le vigile qui m’a accueilli.
  • Ouais t'as raison, il va en direction du vestiaire.
  • C'est à quel moment ?
  • Quand les pompiers ont embarqué ton pote.
  • Oui je me souviens Lucas m’a parlé de l’avoir vu. Est-ce qu'on voit son visage ?
  • Regarde par toi même, il est toujours de dos et avant de partir il nous congratule d'un doigt d’honneur.

Quand j’aperçois sa main, ce n’est pas le “fuck” qui m'interpelle mais bien tout autre chose, le tatouage sur sa phalange, le même que j’ai pu voir sur Clément, le DJ qui m’a dicté ses aveux avant de s’évaporer dans la nature et le fameux Aaron de la piscine. Au départ j’avais pensé à une coïncidence, un dessin régulièrement demandé, un serpent à deux têtes qui s’enroule sur l'index pour finir son voyage au creux du poignet. En cette fin d'après-midi, j’en doute. Ce pourrait-il qu'il s'agisse du baraqué de la piscine ? Peu probable que ce soit Clément, il en faudrait deux comme lui pour remplir la tenue de Hockey.

  • Tu l’as reconnu ? me questionne le premier vigile.
  • Pas vraiment, il reste de dos mais ce tatouage sur son doigt m’interpelle, affirmé-je en le pointant de mon index.
  • C'est vrai qu'il pourrait être une piste pour le retrouver.
  • Est ce qu'on peut revenir sur la poignée de main qu’ils ont échangée avec le joueur de Toronto ? Je n'y avais pas fait attention.

Ils rembobinent la scène, je sais précisément la minute de la rencontre. Un nouvel arrêt sur image confirme mes dires, je serais presque soulagé qu’il n’y ait pas le même signe distinctif sur la main de l'abruti qui a blessé mon ami. Par contre, je ne peux pas affirmer qu’il s'agisse d’Aaron.

  • Est ce que je peux vous demander encore un service ? insisté-je.
  • Bien sûr Zach, si on peut aider en quoi que ce soit.
  • Voici le numéro de téléphone d'un inspecteur, pouvez-vous l’appeler pour qu’il puisse venir récupérer les enregistrements ? Une pièce de plus à ajouter au dossier.

Avant de partir, je prends en photo le majeur tendu, même si je n’ai pu voir le visage du numéro 63, il a eu ce geste d'arrogance qui le trahit. Je salue les deux vigiles avant de regagner la sortie.

Pendant tout le trajet jusqu'à la maison, quelque chose me turlupine. En y repensant, j’ai déjà vu ce serpent. Mais pas moyen de me souvenir d’où. Le balafré à Bordeaux avait-il le même signe distinctif sur sa peau ? Difficile à dire, son bras était rempli de motifs différents. Une notification me sort de mes réflexions, elle vient de Jérémie : “J'ai trouvé une photo qui pourrait t'intéresser.” Avant de lire la suite, je clique sur la pièce jointe. Un homme se tient au côté du père de Manu au cours d’une réception à la mairie. Je poursuis la lecture du message “C'était pour l’inauguration d’un centre commercial. D'après les recherches que j'ai faites, il s’agirait d’un entrepreneur immobilier installé je te le donne dans le mille à Montréal. Tu me connais, j’ai creusé et voilà j’ai trouvé son nom Conrad. ¯⁠\⁠_⁠(⁠ツ⁠)⁠_⁠/⁠¯ Pas besoin de te faire un dessin. Regarde au second plan, assis au bar, il y a trois hommes qui discutent.” Putain, je rêve, non c'est un cauchemar, je vais me réveiller. Le copilote de l'avion, le frère de Peter trinque avec le balafré et un troisième gars que je ne reconnais pas. J’essaie de zoomer sur leurs mains respectives mais la qualité du cliché ne me permet pas de voir les détails.

Je m'enfonce dans le canapé, sonné par cette révélation et par un flash qui me revient en pleine face. La porte des toilettes dans l’avion, plus de doute, le serpent à deux têtes, je l'ai entraperçu sur le majeur du frère de Peter Conrad. J’attrape un morceau de papier, un stylo pour finaliser le sonnet.

L'animal patiente, tapi dans le bois

Prêt à muer, serpente et file entre les doigts

Plus de temps à perdre avant de prendre un mauvais coup.

Entre nos deux continents un lien se tisse

À chaque mouvement des plaques, un indice

Reste à trouver le maillon qui unit le tout.

Je regroupe les deux morceaux de papiers sur lequel j’ai écrit le message, mission accomplie, le sonnet est dans la boîte. Je plie la feuille en quatre avant de la glisser dans la pochette vinyle. Je sais que lorsque Harry va rentrer de son service, il prendra un verre de whisky, s’installera dans son fauteuil cabossé et allumera sa platine pour écouter son titre préféré.

Je passe par la cuisine pour me réchauffer un plat de lasagnes. Je profite de ce quart d’heure pour me doucher et changer de tenue. J’essaie de dompter mes cheveux qui n'en font qu’à leur tête. Plus de temps à perdre, une fois sous le bonnet, les mèches les plus rebelles reprendront le pli. Je profite du repas pour vérifier mes derniers messages. Je suis heureux de lire que Léa et Léo seront bien présents pour la soirée. Le médecin a donné le bon de sortie. Tim, Clovis et Richard m’ont envoyé un selfie pris devant l’enceinte du bar où ils m'attendent pour boire un coup avant la suite de la soirée.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : “Zach, tiens-toi prêt… pas le temps de découvrir la suite, j’entends le carillon de la porte d'entrée.

  • J’arrive, c'était ça la fin du message ? dis-je en ouvrant la porte.
  • Oui, me répondit-il, ton chevalier pour te servir.

À nouveau, nous éclatons de rire, j’attrape mon blouson, mon sac à dos et claque la porte.

  • Il me tarde de découvrir le repère des journalistes d’investigation, me lance-t-il en descendant l’escalier.
  • Tu sais c'est un lieu pas fréquentable, un repère malfamé et dangereux.
  • À tes côtés, le seul risque c'est de ne pas arriver à contrôler mes lèvres
  • Ah mince qu’entends-tu par là ? le taquiné–je.
  • Maintenant que j'ai pu les goûter.
  • Tu ne peux plus t'en passer, soufflé-je en attrapant Lucas par la taille pour l’embrasser.

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