Toujours prêt
Au petit matin, je découvre avec plaisir que la journée d'hier n'était pas un rêve. Lucas dort paisiblement à mes côtés. Je m'extirpe de la chaleur de notre cocon douillet, pour récupérer mes vêtements posés sur le dossier de la chaise. J’attrape mon téléphone. Dans moins d’une heure, nous lèverons le camp pour regagner les bancs de l’université avec pour ma part une pointe de regret. Dans cette maison chaleureuse chaque regard et geste sont bienveillants et apaisants. J’emprunte les escaliers en essayant d’être discret. Une lumière m’accueille dans la cuisine accompagnée d’un sourire et d’une bonne odeur de café. Assis à la table, le père de Lucas lève les yeux de son ordinateur et me propose de me joindre à lui.
- Bien dormi Zach ?
- Oh oui, acquiescé-je, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu cette chance.
- Tu es un petit dormeur ? me demande-t-il.
- Non pas vraiment, si je peux rester dans mon lit, je le fais sans hésiter.
- Insomniaque ? m’interroge-t-il inquiet.
- Oula non, juste que parfois des terreurs nocturnes m’envahissent et m'épuisent.
- Ah ! Je comprends, Lucas, enfant, a été sujet à des cauchemars.
- Oui il m’en a parlé.
- Et toi alors, quels monstres peuplent tes nuits ?
J'hésite avant de répondre, je ne sais pas ce que son fils a bien pu lui raconter, de ma vie en France, de mes déboires, de mon enquête d’investigation.
- Lucas m’a dit pour tes études en journalisme, annonce-t-il comme pour me faciliter la tâche, Il m’a précisé que tu ne comptais pas les heures.
- Il ne vous a pas menti, il semble qu’il me connaît bien.
Dois-je être plus précis où garder le contenu du sujet de mon enquête ou me montrer discret ? Dois-je me contenter des grandes lignes pour ne pas l’effrayer. Il m'a accueilli hier, je ne voudrais pas que ce matin il me fiche à la porte.
- Zach, au fait, je voulais te remercier.
- Pour quelle raison ?
- Je n’ai jamais vu mon fils aussi heureux, poursuit le père de Lucas.
- Et de mon côté, je vous suis reconnaissant d'avoir ouvert votre porte à un inconnu.
- Tu n’es pas vraiment un étranger, précise-t-il, Lucas m’a parlé de toi à chacun de ses passages à la maison.
Je réalise que nous avons tant de points communs. Père et fils partagent une belle complicité, semblable à celle que j’ai noué avec le mien. Rien d'étonnant, nos passés ne sont pas si différents. Nous avons perdu nos mères dans de tragiques circonstances. Ils ne nous restait plus qu'une figure paternelle sur laquelle nous appuyer.
- Ton père ne te manque pas trop ? me demande-t-il en me tendant une tartine de beurre.
- Ça dépend des jours, soufflé-je, je sais qu’aujourd’hui il est heureux alors ça me suffit.
- Lucas a raison, tu es un chouette gamin, je comprends mieux pourquoi il tient tant à toi.
Un frisson me parcourt, cette affirmation me fait un bien fou. Avec des mots simples, il enveloppe mon être de douceur.
- Coucou Zach, tu es déjà debout ? s'écrie Louise en déboulant dans la cuisine en sautant à mon cou.
- Tu as bien dormi ? demandé-je en déposant un baiser sur son front.
- Comme une princesse, j'ai rêvé de mon prince sur son cheval blanc. Et ton beau bois dormant ?
- Il attend son prince, répond Lucas apparaissant à son tour dans la cuisine.
Nous éclatons de rire. Lucas porte un de ses pulls de Noël avec un renne au gros nez rouge.
- Quoi ! Ma tenue ne vous plaît pas ? s’indigne-t-il.
- Non, t’es trop beau, valide Louise.
- Il te va à merveille, confirmé-je.
- Ça tombe bien, je crois bien que j'ai ce qu’il te faut, me propose-il en me tendant un sac en papier.
J’ouvre l’emballage et découvre un pull avec un bonhomme de neige.
- Allez, mets-le, m’incite Louise en sautillant autour de la table.
- Oui montre-nous, insiste Lucas avec toute autant d’impatience.
- On va avoir du mal à passer discret dans les couloirs de l’université, lancé-je.
Je retire mon sweat pour me glisser dans le pull. Je n’ai pas l'occasion de voir mon allure mais les yeux braqués sur moi me confirment qu'ils valident la tenue.
- C'est maman qui l’a tricoté, annonce fièrement Louise.
- Cette nuit ? annoncé-je surpris.
- Bêta bien sûr que non, s'esclaffe Louise, maman n’a pas de pouvoir magique. Lucas a passé la commande la semaine dernière, elle a tricoté un peu tous les soirs et voilà, il est prêt. Moi, j’en ai un avec une étoile dorée mais je le garde pour le dernier jour d'école pour le spectacle.
- Nickel, s'amuse son grand frère en lui tendant son cartable, tu brilleras de mille feux.
- Oh papa, ils peuvent me poser ? supplie Louise.
- Pourquoi pas, c'est sur notre route, valide Lucas.
- Tu risques d'être en avance, s’inquiète Elisabeth.
- C’est pas grave, j’irai à l'étude avec mes amis, s’enthousiasme Louise.
Nous récupérons nos affaires, saluons les parents et prenons le chemin du collège. Avant de déposer la demoiselle, elle nous fait promettre de venir pendant les vacances. Lucas l’observe rejoindre un groupe de jeunes qui l’accueille avec de grands gestes. Sa petite sœur nous adresse un dernier bisous avant d’entrer dans la cour.
Les abords des routes sont des murs de neige et nous filons dans ce tunnel éphémère sans encombre. Les autorités ont tout mis en œuvre pour faciliter la vie à leurs usagers.
- Merci Lucas pour cette journée, ta famille est vraiment chouette.
- De rien, je voulais t’éloigner de la ville.
- Eh bien tu as réussi ton coup, je crois que j’avais besoin de prendre l’air et de me retrouver dans un milieu serein et apaisé.
- Alors parfait, nous voilà tous les deux comblés.
- Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais pour l’heure je ne voudrais pas être ailleurs, avoué-je en caressant la main qu’il a posée sur ma cuisse.
Nous remontons la rue Sainte Catherine qui s’anime peu à peu. En surface tout semble plus calme, la fourmilière s’anime dans les sous-sols. Lucas trouve une place de parking proche de l’université et se gare. Avant de rejoindre les bancs de nos amphithéâtres respectifs, il m’attrape par la taille et m’embrasse avec douceur. Ses lèvres réchauffent les miennes dès que nos bouches s’unissent. Je peux sentir les battements de nos cœurs se caler au même rythme. Le monde autour de nous pourrait s’écrouler sans nous. Dans ses bras, je me sens au bon endroit.
- Les amoureux, on ne voudrait pas vous déranger, mais Zach, on nous attend, lance Léa qui apparaît.
Nous nous détachons l’un de l’autre en découvrant nos amis déboulant de la bouche de métro.
- Oh j’en connais deux qui ont passé un dimanche caliente, balance Noah tout sourire.
- Et je pense qu’ils auraient pas été contre un supplément, accrédite Rose, accrochée au bras de son hockeyeur.
- Foutez leur la paix, lance Léo, tout en récupérant les clés de sa voiture.
- Je suis sûre qu’ils ont plein de choses à nous raconter, insiste Rose un sourire en coin.
- Pas cette fois, annonce Lucas, top secret, nous sommes incorruptibles.
Après cette joute bonne enfant, avec Léa, nous rejoignons la salle de cours. Le reste de l’équipe est déjà en place. Tim, Clovis et Richard, nous ont réservé deux sièges au troisième rang. Evan, comme à son habitude, reste dans le fond, seul. Même si ces derniers temps, il s’est ouvert et montré plus sociable, dans cet espace au milieu de la promo, il maintient ses distances. Quelque part, il garde un œil sur l’ensemble. Parfois, je crains d’avoir une cible dans le dos, aussi savoir qu’il veille sur mes arrières me rassure.
Monsieur Asselin est un de ses professeurs qui captive son auditoire, un des rares à maintenir en alerte l'ensemble des élèves. Les seuls bruits que l’on peut percevoir sont les doigts tapotant sur les claviers. Monsieur sait y faire même avec les plus récalcitrants ou les moins courageux en ce début de semaine.
Pendant le premier quart d'heure, il plante le décor, instaure les règles du jeu puis sans prévenir lance ses dés au sens littéral ou comme ce matin de façon plus concrète. Quelle idée de mettre en place un Cluedo géant avec une centaine d’étudiants qui émergent tout juste de leur week-end. Il est à peine huit heures et demi et en un claquement de doigts il éclaire des lumières dans tous les regards. Chapeau bas et respect pour le professeur.
Après trois heures de recherche, le suspect est enfin découvert. Notre professeur a manœuvré avec tact et à aucun moment nous a facilité la tâche. Aucun passe droit n’a été délivré. Les moindres détails, les moindres indices ont été une source inépuisable de réflexion. Le Cluedo ne fut qu’un prétexte pour aiguiser notre sens de l’investigation. Quelque part, mettre en scène un tel cours a demandé un temps de préparation considérable. À sa façon, il nous donne encore une bonne leçon.
- Jeune gens, déclare Monsieur Asselin, je vous souhaite à présent bon courage pour vos partiels de fin de semaine et me tiens à votre disposition en cas de besoin.
Un merci collectif descend en chœur des gradins. Avant de sortir pour rejoindre mon équipe en salle de réunion, je m'arrête devant le pupitre.
- Zach, ça tombe bien, passe me voir à mon bureau après le brief avec ton groupe de travail, me stipule-t-il.
- Un problème ? m’enquiers-je, surpris.
- Harry et Tom doivent passer également, nous pourrons manger ensemble si tu veux bien. Nous avons lu ton sonnet, qui soit dit en passant est excellent et nous voudrions voir certains passages avec toi.
- J'ai merdé, dis-je, inquiet.
- Pas du tout, il se pourrait au contraire que tu aies flairé un gros morceau et nous voudrions ne te faire prendre aucun risque.
Je ne sais pas si ses dernières paroles me rassurent ou aiguisent mon appétit. Pour l’heure, je rejoins mon QG pour établir un plan d’action pour la semaine. Plan qui sera peut-être chamboulé après mon entrevue avec mes pairs.
- Zach, nous sommes prêts, m’annoncent de concert Tim, Richard et Clovis.
- Très chouette ton pull, complète Léa d’un air taquin.
- Au fait, j’ai réussi à avoir des news, ajoute Evan, tu veux qu'on commence par la bonne ou la mauvaise.
- Chaque chose en son temps, tempère-je, je constate que vous êtes dans les starting-blocks dès le début de la semaine. Avant de nous jeter à corps perdu dans notre enquête, je souhaiterais établir un plan de bataille. Je vous rappelle que jeudi et vendredi nous sommes en examen, du coup devons nous concentrer sur nos révisions.
- Ça va être chaud, confirme Tim, nous n'aurons que mercredi pour potasser.
- Écoutez, j’ai rendez-vous avec Monsieur Asselin à midi, confié-je, je verrai ce qui est envisageable.
Chacun prend place à son poste de travail. Les regards oscillent entre les écrans et le tableau blanc, épinglé de post-it. Plus le temps avance, plus la toile s’agrandit.
- Tim, commencé-je, avec Richard et Covis vous allez potasser les articles de presse concernant l’éventuelle visite d’un laborantin français, il y a cinq ans dans nos murs. Je viens de vous envoyer une photo et la date précise.
- Ok, valident les trois compères déjà en action.
- Léa, de ton côté, tu vas te renseigner sur les recherches que Dylan avait entamé, je te conseille d'être très prudente à ce sujet aussi Evan va t’épauler, comme nous en avons convenu, personne ne bosse seul.
- Et dans ce cas-là, qui est ton ombre ? me demande-t-elle.
- C'est vrai, je n'y avais pas pensé.
- Si tu veux, je fais équipe avec Léa, propose Clovis.
- Oui ça m’arrangerait, enchaîne Evan parce que je te rappelle que nous avons une des deux de mes informations à traiter.
- Ok, confirmé-je, on fait comme ça, ce sera plus simple et efficace.
- Pour les news, indique Evan, Peter est bien chez lui.
- Comment t’as fait pour le savoir ?
- On va dire que je l’ai croisé dimanche en bas de chez lui, divulgue Evan.
- Non, tu déconnes, m’emporté-je, tu n'as pas pris de risques. Putain, j'avais bien dit pas tout seul.
- Respire Zach, je suis pas en sucre et au départ c'était pas prévu. Puis je n'étais pas tout seul.
- Ah ouais, balance Léa tout autant en colère.
- J'étais avec mon père, on se rendait chez ma tante qui habite dans le quartier.
- Abruti, tu m'as fait flipper, s’excuse Léa.
- Bon donc ça c'est la bonne nouvelle si je comprends bien, soupiré-je.
- Oui si on peut dire, quand je l'ai croisé, il avait pas l’air en super forme et le gars qui l’accompagnait, semblait le tenir en laisse si tu vois ce que je veux dire.
- Il avait quelle allure son bodyguard ? questionné-je.
- J’ai mieux, voilà sa tronche en photo, c'est fou ce que notre monde actuel nous facilite la vie.
- Comme je m’y attendais, monsieur muscle de la piscine en chair et en os se tient à côté de Peter.
- Une voiture s’est pointée et elle a embarqué le paquet.
- Il ne peut pas t’avoir reconnu ?
- Qui Peter ou l’autre ?
- Les deux ?
- Peter vu son état pas sûr et l'autre je ne pense pas qu’il nous ait prêté attention, juste avant il s'engueulait avec le concierge de la résidence
- Bon du coup, on passe quand même à son appartement comme on avait prévu ? demandé-je pour pouvoir au mieux nous organiser.
- C'est toi qui vois, mais tu sais que tu peux compter sur moi, m'assure Evan.
- Léa, tu manges avec Léo à midi ? l’interpellé-je.
- Oui, pourquoi ?
- Tu peux voir avec lui si Peter a remis les pieds en cours.
- C’est déjà fait, me répond-elle en appuyant sa confirmation d’un clin d'œil.
- Trop forte, applaudit Tim.
- Peter n'était pas là, par contre Léo me tient au courant dans l’après-midi s’il se montre. Ils ont un examen et s’il le rate sans une bonne raison cela peut occulter la validation de cette première partie d’année.
- Evan, on avisera en fonction de sa présence ou pas, mais de mon côté à seize heures, je dois me rendre à la piscine.
- Tu vas parler à Oliver? me murmure mon amie.
- Oui, soufflé-je.
- Tu veux que je t'accompagne ?
- C'est super gentil, mais je ne sais comment je vais m’y prendre et pour le coup .
L’heure de réunion s'est envolée, chacun a obtenu quelques résultats dans ses recherches mais pour le moment, rien de probant. Nous répertorions les différents éléments sur lesquels nous plancherons en surlignant les faits importants. Je salue l’équipe et me dirige d’un pas décidé vers le bureau de Monsieur Asselin. Quand je pousse la porte, je retrouve les trois amis, assis sur le canapé, en pleine discussion.
- Entre Zach, nous n’attendions plus que toi pour débuter l’abécédaire.
Je les regarde tour à tour, ne comprenant pas l’allusion.
- Nous avons une heure et demie pour répertorier chaque point important, précise Hugo Asselin.
- Partant, me lance Max, le légiste.
- Toujours, validé-je avec un grand sourire.
- Parfait, acquiesce Harry, mais avant de commencer, ton week-end s’est bien passé ?
- Super.
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