“Abécédaire pour vous satisfaire” (partie 1)

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Tout roule, il ne peut en être autrement. Harry, Hugo et Max sont d’une efficacité redoutable. Leur complicité est un atout au service de la justice. Mettre en place cet abécédaire pour ne pas perdre le fil est une idée de génie. Je ne sais pas dans lequel de leurs trois cerveaux, elle a germé mais le résultat est topissime. Bon ok, cette accumulation de superlatif est peut-être exagéré mais pour le coup ils m’ont scotché.

  • Zach, tu prends des notes, tu seras plus à l’aise avec l’informatique, suggère Harry. Vous les jeunes vous faites ça à une vitesse qui dépasse mon entendement.
  • Ok, laissez-moi juste une minute pour terminer mon sandwich.

Je mets en boule mon emballage et le lance dans la corbeille qui jouxte le bureau de Monsieur Asselin.

  • Trois points, me félicite Max, tu as raté une carrière de basketteur.
  • Qui sait ce que j'aurai pu donner un ballon en main.
  • Trêve de plaisanteries, interrompt mon professeur amusé par notre échange, mettons-nous au boulot, avant que nos idées s’emmêlent.

Mon ordinateur portable sur les genoux, j’ouvre un dossier avec pour titre “Abécédaire pour vous satisfaire”. Nous commençons comme il se doit par décliner le A. Je tapote sur le clavier.

A : Antelax, drogue de synthèse apparue pour la première fois dans le laboratoire de ma mère, après une année de recherche. La substance fut expérimentée, à petites doses, sur des malades du cancer pour aider les équipes soignantes. Elle a rapidement été remise à l’abri des regards. Les premiers essais cliniques se sont avérés instables et les effets secondaires trop risqués. D'après les notes de ma mère, ils devaient retravailler les dosages. C'était sans compter sur la cupidité de certains. Des sachets ont disparu régulièrement de la boîte à pharmacie. La poudre sans odeur prenait une nouvelle place sur le marché des trafiquants.

  • Zach, m'interrompt Max, le légiste, tu ne lui en as jamais voulu d'avoir enquêté ?
  • Non parce que ma mère était une de ses femmes qui se battait jour après jour contre une maladie bien plus perverse que la drogue.
  • Elle n’en a parlé à personne ?
  • Hélas quand elle s'est confiée à son supérieur, le directeur de l’hôpital, il lui a rit au nez et conseillé de se concentrer sur son boulot.

Ne voulant pas créer de malaise et me mettre mal à l’aise, Harry propose de nous pencher sur la lettre suivante.

B : Bordeaux, la ville où tout a commencé. L'hôpital où travaillait ma mère depuis plus de quinze ans à un service cancérologique à la pointe du progrès. Deux des plus grands spécialistes œuvrent au sein de ses murs. Le pan sud du bâtiment est consacré à l’accueil des patients, de leur famille et du personnel soignant. Ma mère, infirmière en chef, connaissait tous ses collègues et ses malades. Elle avait accepté le poste afin de pouvoir en parallèle bosser avec l'équipe de recherche.

  • Quelque part je comprends ton désir de justice, confirme Max.
  • Ne pensez pas que je veuille me venger ce n'est aucunement mon intention, précisé-je de peur de les décevoir.
  • Rassure-toi, au fur et à mesure que nous te côtoyons, tu as su nous en convaincre.
  • Je souhaite juste que cette merde soit retirée du marché pour ne plus en entendre parler. En mettant le balafré derrière les barreaux au cours de l'été, je pensais que c'était le cas, que tout était derrière moi et je me la reprends en pleine face dès mon vol pour Montréal.

Je marque une pause, avale d'un trait mon verre d'eau et poursuit.

C : Conrad, nom de famille de Peter et d' Alfred, est apparu seulement depuis mon arrivée à Montréal. Je n’en avais jamais entendu parler. Les premiers éléments de l’enquête ont établi un lien entre la France et le Canada sans valider le degré d’implication des frères, ni leurs éventuels rôles. Plus nous progressons, plus il est évident qu’Alfred, l’aîné de la fratrie, pilote de ligne, pourrait être un des commanditaires. La photo trouvée par Jérémie m’a permis de confirmer sa présence à Bordeaux au cours d'une soirée organisée par le maire, Monsieur Courtois qui plus est père de Manu. Deux C pour le prix, pas sûr que cela bon signe.

  • C'est pour cette raison que tu ne veux plus parler de ton ami ? me questionne Max.
  • Oula ce sujet est une histoire conclue, douloureuse mais terminée. Poursuivons, suggère-je en baissant le regard sur mon clavier pour corriger une erreur de frappe.

Max me regarde mais par chance accepte cette réponse comme un point final et me lance sur le prochain protagoniste.

D : David, je ne me souviens pas que ma mère m’en ai parlé, ni même évoqué son existence. Stella se montrait toujours discrète sur son travail, ne voulant pas trahir le secret professionnel. En relisant ses notes, j'ai découvert qu’il s'agissait d'un de ses collègues du laboratoire de recherche. Il avait réalisé plusieurs stages dans son service avant de gravir les échelons. L’'infirmière consciencieuse a tout écrit dans un carnet qu'elle a pris la peine de dissimuler dans ma cabane chez Grandma. Je l’ai emmené dans mes bagages, pour quelle raison je n’en ai aucune idée. Pour garder un peu d’elle, qui sait. Avec Léa, nous avons appris que David avait séjourné une semaine à Montréal au cours d'un séminaire, une sacrée promotion pour un jeune homme, âgé d'à peine vingt-cinq ans, que celle de se retrouver dans une université étrangère pour décrire son parcours. Dylan, le copain de Oliver, retrouvé mort au cours de son footing, se tient à ses côtés sur une photo prise au cours du séjour du laborantin français. Mon amie m’a fait remarquer que derrière la poignée de main se cachait le regard sombre de Dylan. Les traits tirés du visage du jeune québécois contrastait avec le sourire en coin du français. Le voyage de David a eu lieu la semaine où ma mère a été assassinée.

  • Est-ce que pour autant, il pourrait s’agir d’un alibi ? m’interpelle Harry.
  • En tout cas la coïncidence n'est pas du fait du hasard, soupiré-je.
  • Tu penses qu’il pourrait avoir un lien avec la mort de Dylan ? insiste l'inspecteur.
  • Là aussi, si on regarde les dates de plus près et grâce aux recherches faites par Jérémie, David se trouvait à Bordeaux pour un gala de charité organisé par le père Conrad, le jour de la mort de Dylan juste après son retour en France.
  • Une fois de plus coïncidence n'est pas hasard, répond Max qui me tend les résultats d’un rapport.

E : Embolie pulmonaire a indiqué le légiste de l'époque sur le rapport d’autopsie, suite à une prise importante d’une substance proche du cannabis en corrélation avec un effort intense lié à une course. Depuis, de nombreuses incohérences ont été relevées. L'heure de la mort ne correspond pas. Un autre fait interpelle, il est noté qu’il était allergique au poil de chien.

  • C’est complètement débile, m’emporté-je, Oliver et Dylan avaient deux huskys dont Lagoon, le compagnon de Dylan qui selon son petit copain courait toujours à ses côtés.
  • Étonnant en effet, insiste Hugo.
  • Pas temps que ça, d'après Oliver l’animal a disparu, précisé-je.
  • J’ai mené mon enquête, annonce Max, après quelques coups de téléphone, j’ai découvert qu'une semaine plus tard, le corps sans vie d'un chien avait été retrouvé dans un buisson à quelques centaines de mètres du banc où Dylan avait péri. En comparant les clichés que tu m’as fournis et ceux du vétérinaire, il n’y a aucun doute, c’est Lagoon.

La conclusion est dure à encaisser et je me demande comment je vais pouvoir raconter tous les faits à Oliver sans raviver de profondes douleurs.

F : Fumiers, voici le premier mot qui est sorti de ma bouche sans crier gare après seulement cinq lettres. Je suis en colère devant tant d’ignominies. Furibond de constater que pour une liasse de billets, les hommes sont prêts à vendre leur âme au diable. Fomenter des plans machiavéliques, fabriquer de fausses pièces dans un dossier, falsifier un contre-rendu pour protéger des fossoyeurs, tout cela me donne la nausée.

  • Tout va bien ? s'inquiète Harry me voyant m'exciter sans ouvrir la bouche.
  • Fébrile, avoué-je sans détours.
  • Force à toi, ajoute Hugo pour ne pas me laisser happer par ce flot d’informations.
  • Fierté, ajoute Max, pour m’encourager à ne pas abandonner.

Leurs paroles me touchent, j’ai l'impression d'être assis au centre d'un conseil de super héros, Hugo mon professeur en maître Yoda, Max le légiste en Batman et Harry serait mon Harry. Je souris à l’idée, fixe mon écran, respire un grand coup et écrit.

G : Garder la tête froide, pas facile quand on se retrouve directement impliqué. Galvanisé par leurs mots réconfortants et bienveillants, je repars bille en tête. Garantir nos arrières avec cette abécédaire pour avoir en main ce dont nous avons besoin. Gérer avec sang-froid la suite des opérations pour ne pas me laisser emporter par ce sentiment de colère qui reste dans un petit coin de mon âme. Garder en tête que seul on est en danger, alors rester en équipe pour ne pas donner l’occasion de se livrer.

  • Tu sais que tu peux compter sur nous, précise Harry me voyant cogiter.
  • Et j'ai de la chance, les remercié-je.
  • Tu as une qualité que peu de gens ont, tu sais rallier les personnes, les encourager, me congratule Max, tu ferais un bon capitaine de sport collectif.
  • Et sans forcer les choses, me félicite Hugo.

Touché par leur marque d'affection, j’enchaine sur la lettre suivante qui illustre à sa façon leur propos.

H : Hector Heliot, détective à la retraite que j’ai croisé à la piscine après mon altercation avec monsieur lourdeau, m’a offert un nouvel élan dans notre enquête. Il m’a envoyé un mail précisant qu’il a suivi monsieur muscle après sa séance de piscine en toute discrétion et ainsi découvert où il habitait. Le gros baraqué est un agent de sécurité. Ancien militaire, il serait au service de la famille Conrad depuis cinq années et résiderait dans un des appartements témoins du patron immobilier dans une des tours du centre ville de Québec. Hector m’a proposé de le filer la semaine qui vient, prétextant que quelques heures sur le terrain lui ferait le plus grand bien. À d’autres, je pense que quand on a fait ce métier, on a du mal à décrocher. La passion l'emporte sur la raison. Il m’a confirmé les inquiétudes d’Evan au sujet de Peter. Il a vu le jeune homme soutenu par le baraqué à la sortie d’une discothèque au milieu de la nuit de samedi à dimanche.

Je profite que Harry s’éclipse pour répondre au téléphone, pour décliner les trois prochaines lettres à ma façon en livrant cette partie de mes pensées à mon clavier. Mes doigts pianotent sans honte, ils sont le reflet de mes ressentis et de mes émotions. Si mon écrit est lu, il ne trahira pas qui je suis. Max profite de la coupure pour aller fumer une cigarette. De son côté, Hugo prépare une deuxième tournée de café.

I : Incroyable, ce qui n'était au départ qu'un sujet de travail pour le cours d’investigation prend de l'ampleur. Insensé, cette enquête est captivante. Entre l'implication des membres issus de ma promotion, les soutiens extérieurs et les imprévus, le groupe s'étoffe. Inimaginable de voir comment en si peu de temps et avec si peu de moyens nous pouvons soulever des montagnes. Impossible de dire si tout ce que nous mettons en place permettra de stopper un trafic international, pour l’heure nous avançons nos pions les uns après les autres.

J : Joker, je devais bien en utiliser un à un moment donné. Harry m’a offert cette issue de secours pour évacuer la pression depuis mon installation dans sa maison à mon arrivée à Montréal. Si je ne veux pas exploser en vol, je dois pouvoir me glisser dans une bulle pour me ressourcer. Depuis le début de la semaine, Lucas est un de ceux qui gonflent cette paroi éphémère où je peux me mettre à l’abri. Ce dimanche, chez son père en a été une belle preuve. Joueur, je le suis incontestablement, je l’ai toujours été et parfois un peu trop. J’adore cette montée d’adrénaline juste avant de plonger dans le vide ou celle qui vient titiller le ventre avant de jouir. Heureusement pour mes trois pairs, ce passage, je l’ai gardé pour moi. Il fera lieu à un autre abécédaire, celui de mon carnet secret.

Je ne sais pas si je dois leur dire que ces trois lettres n'apporteront rien de plus à l’enquête ou être honnête en leur avouant que mon esprit à profiter de cette pause pour errer dans mon imaginaire. Je jette un œil par dessus mon écran pour réaliser que Max a rejoint Harry et Hugo, le trio est en grande conversation. La scène me fait sourire. Ils sont le nez sur leur téléphone et rigolent en simultanés. Je décline la dernière lettre en attendant.

K : Kaléidoscope, chacun de mes amis a sa vision des évènements, son interprétation, son ressenti. Tous les bouts assemblés forment un miroir de multiples combinaisons de pensées qui s’imbriquent ou se déforment. Cette diversité de perspectives permet de projeter la réflexion. Ce mode de fonctionnement nous convient et nous transcende. Notre tableau blanc remplit de post-it en ait une parfaite représentation. Harry quand il l’a vu pour la première fois, nous a félicité pour notre capacité à être en perpétuel mouvement. Il a reconnu que ses collègues devraient en prendre de la graine et même proposé de nous embaucher si nous n'obtenons pas notre diplôme. Max a validé son ressenti. Finalement la frontière entre journalisme d’investigation et enquêteur est bien fine.

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