Impensable

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Dans le camion, Peter, sous son masque à oxygène, reprend des couleurs. Par contre, de mon côté, je me sens nauséeux. Ma vision se trouble. Une odeur entêtante s'immisce par l’aération, un relent de beuh. Mon esprit doit me jouer des tours. A quel moment des mecs en service se permettrait de fumer un joint ? Impensable. Mon corps est ballotté de droite à gauche par les secousses répétées du véhicule. En plus de fumer, ils seraient quand même en train de picoler ? Inadmissible. Je suis surpris que la route que nous empruntons puisse être en si mauvais état, même si la neige de ces derniers jours a été abondante. Inimaginable. J’ai pu observer les services des ponts et chaussés en action. Ils sont des maîtres en la matière et ne laissent pas d’accès routier inacessible.

Le dernier nid de poule me soulève de mon siège. Je tente tant bien que mal de me rattraper à la poignée. Le chauffeur n'est pas vraiment soucieux de ses passagers. L’urgence ne peut pas tout pardonner. Ma tête manque de s'écraser contre la paroi de l’estafette. Par je ne sais quel miracle, le bleu me rattrape au vol afin de m’éviter de m’amocher la figure sur sur une barre en fer. Pourtant son attitude est de plus en plus étrange. Je vais pour le remercier quand les mains de mon voisin viennent agripper mes bras pour me ligoter les poignets avec une sangle.

  • Putain, tu fais quoi ? m’emporté-je, en tentant de m’extraire de ses griffes.
  • Ta gueule, me crache-t-il au visage.

Son regard a changé. La lueur qui traverse ses pupilles est effrayante. Mon pouls s'emballe quand je découvre l’arme posée sur le côté du brancard. Je comprends mieux pourquoi ils n’ont pas fait de difficultés pour que je les accompagne. Est-ce que nous allons vraiment à l’hôpital ? J’en doute de plus en plus. Je regarde à nouveau Peter. Il ne bouge pas. S’il était dans le coup, il aurait ouvert les yeux depuis un moment et m’en aurait mis plein la tronche. Finalement, je préférerais qu’il se foute de moi plutôt que d'être inconscient, attaché aux barreaux. Je me suis fait berner. Dans l’urgence, ils avaient l’air d’être à leurs affaires. Quand Peter était en fibrilation, ils ont géré. Le pompier, ou plutôt devrais-je dire l’imposteur, me palpe.

  • Qu’est-ce que tu cherches à la fin, peut-être que je peux t’aider ? proposé-je en sentant ses doigts fouiller dans mes poches.
  • Ferme-la Zach, tu vas pas faire le malin bien longtemps.
  • Je vois que tu me connais, pas moi, nous n’avons pas été présenté, à qui ai-je l'honneur ? le défié-je
  • Joue pas à ça, tu ne fais pas le poids.
  • Je ne joue pas, je me renseigne, tenté-je pour détourner son attention.
  • Bientôt je serai ton pire cauchemar.
  • Ouais, si tu le dis, tu seras pas le premier, le nargué-je. Tu as conscience que trois témoins m’ont vu partir en votre compagnie.
  • Si tu le dis, pour l’heure ils doivent être bien occupés. Tes vieux étaient trop soucieux de sauver cette petite merde, éructe-t-il en montrant Perer, on a eu le temps de leur laisser un petit cadeau avant de partir.
  • Quoi ? hoqueté-je outré.
  • Tu veux profiter du clou du spectacle, un joli final.
  • Putain qu’est-ce que vous avez fait ?
  • Tiens un live juste pour ta gueule, balance-t-il en allumant son portable.

Les images sont terribles, les flammes lèchent les meubles. Les livres alimentent le monstre. Hugo et Max tentent de limiter les dégâts avec les moyens du bord. Harry fait évacuer le bâtiment en attendant l'arrivée des pompiers. Le mec assis à mes côtés se marre.

  • Sympa le feu d'artifice, s'enthousiasme-t-il, quelques belles bougies, un retardateur et pouf c'est parti.
  • Vous êtes marteaux, il y a des tas d’innocents, hurlé-je furieux.
  • Tu pourras t’en prendre qu’à toi-même. Ce traître de Peter t'a prévenu plusieurs fois, fulmine-t-il en lui crachant au visage. Tu n’as pas tenu compte de ses avertissements, tu n’en fais qu’à ta tête. Quand on veut jouer dans la cour des grands, il y a des risques. Assume.
  • Tu veux quoi à la fin ?
  • Le boss veut te voir. Dommage, j’aurai bien fait mon quatre heures de tes miches.

Le véhicule ralentit une première fois avant de reprendre son rodéo. Je n’ai aucune vue sur les alentours. Une chose est sûre, nous sommes sur un sol accidenté loin de l’asphalte des autoroutes même gelées. Le véhicule est pourvue d’une seule fenêtre. En plus d'être minuscule, la vitre est obstruée par un vieux blouson. Il est de plus en plus évident qu’ils avaient prévu leur coup. J’espère qu'ils n’ont pas éliminé les soignants qui occupaient ce camion. À moins d'avoir filtrer les appels, comment ont-ils pu arriver aussi vite ? Avec du recul, il n'est pas possible de parcourir aussi rapidement la distance entre l’hôpital et l’université même pour eux. Donc tout était programmé. Même la crise de Peter ? Peu probable. Leur avait-il échappé avec l’espoir de me prévenir de leurs faits et gestes ?

  • J’en connais un qui va être ravi de te savoir parmi nous, m'annonce-t-il au moment où le camion s'arrête.
  • Qu’est-ce que tu racontes ?
  • Il ne sera pas présent mais de là où il se trouve, il jubilera, continue-t-il avec le même sourire.
  • Tu craches le morceau ou tais-toi, soupiré-je.
  • Rassure-toi, tu as encore quelques jours devant toi, il veut t’offrit lui-même ton cadeau de noël, un joli matelas rouge dans une boite en pin, se marre-t-il.
  • Trop sympa, merci, articulé-je avec ironie avant qu’il ne descende.

À l’extérieur, le ton monte, une dispute se dessine entre le bleu et ses deux acolytes. Une aubaine. Je pourrais profiter de ce moment de flottement pour m'échapper. Oui mais pour aller où ? Je n’ai aucune idée d’où nous avons atterri. La tuile. Nous avons dû rouler une bonne demi-heure. Sans certitude. Pour m'éclipser, il faudrait que je puisse défaire mes liens. J’interpelle Peter. Pas de réaction. La crise d'épilepsie était belle et bien réelle, les symptômes n’étaient pas un leurre. Le pauvre est dans un sale état.

Les différents messages parsemés sur ma route étaient bien de lui. Plus de doute. Difficile de le comprendre, à chacune de nos rencontres il m’est rentré dedans. Est-il un pion parmi tant d’autres ? Son frère n'aurait tout de même pas essayer de se débarrasser de lui ? Qui est ce mec qui veut me faire la peau ? Mon enquête dérange, j’en suis de plus en plus convaincu. Les bans de mon décès sont, il me semble, pas loin d’être promulgués. Pendant que je cogite, je gigote pour m’emparer du ciseau que le bleu a oublié sur la tablette à côté de mon téléphone. Si je me débrouille bien, je peux faire d'une pierre deux coups.

  • Zach, murmure Peter dans un souffle.
  • Comment tu te sens ? chuchoté-je à mon tour.
  • Pas terrible. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi on n'avance plus ?
  • Aucune idée, je pensais que tu pourrais m’en dire plus.
  • Tu veux que je te dise quoi ? J’ai merdé.
  • Sois plus clair, m'agacé-je en échappant le ciseau que j'avais réussi à tirer avec mes pieds.

Je l’observe, Peter essaie de se dégager en puisant dans le peu de force qu’il a en sa possession.

  • Pourquoi sommes-nous attachés ? lance-t-il épuisé.
  • Toi pour éviter de te blesser après ta crise d'épilepsie, moi pour avoir mis mon nez où il ne fallait pas.
  • Putain, tu veux dire quoi ?
  • Que les gars qui se prennent la tête dehors n’ont pas prévu de te conduire à l’hosto.
  • Je suis perdu, je ne comprends rien de ce que tu me racontes. Pourquoi nous n’irons pas aux urgences, insiste-t-il le regard perdu.
  • T’agite pas, tu as besoin de récupérer, tu as perdu connaissance. Tu es bien amoché, mais j’ai bien peur que la suite ne nous soit pas favorable.

Je le vois désemparé après ma dernière sortie. Son attitude me confirme qu’il n'est pas au courant de ce qui se trame. Plus le temps avance, plus je me rends compte que nous sommes dans de sale draps. Dehors, le silence s’impose. Pas sûr que ce soit une bonne chose. Une notification me fait sursauter, je reconnais la sonnerie choisie. Mes battements de cœur s’accélèrent à l'idée de ne pas pouvoir le serrer dans mes bras. Mon ami Jérémie doit m'annoncer son arrivée à Montréal. J'étais impatient de le retrouver et ce contretemps ne me permet pas d'être là pour l’accueillir.

  • Pourquoi souris-tu ? m’engueule Peter, tu penses que c'est le moment.
  • Écoute, pourquoi pas, une lueur d’espoir dans cet après-midi c'est toujours ça de pris.
  • Ouais si tu le dis, décris moi le gars qui t’a attaché.
  • Un grand blond aux yeux bleus.
  • Putain, sois plus précis, s’emporte Peter, je suis sûr que tu as noté des trucs sur le personnage.

Il a raison, j’ai son portrait robot collé sur ma rétine. Pour les deux autres, j’ai noté que le chauffeur qu’il a appelé chef, avait un doigt en moins à la main droite.

  • Allez accouche, avant qu’ils reviennent, s’agace-t-il.
  • Les cheveux longs bouclés, une fossette sur le menton.
  • Est-ce qu’il avait un tatouage sur le doigt ?
  • Un serpent à deux têtes, balancé-je à tout hasard.
  • Tu l'as vu ou pas ?
  • Non, de toute façon, il n’a pas quitté ses gants.

Je fouille dans ma mémoire à la recherche du moindre détail. Est-ce que quelque chose m’a échappé ? Après je n'avais pas de raison de me méfier. À aucun moment je n'ai pensé que nous avions à faire à des malfaiteurs. Pourtant j'aurais dû me montrer plus prudent, l'arrivée de Peter aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Il est trop prêt de l’affaire. Comment ? Pourquoi ? De quelle manière? Je n’en n’ai aucune idée mais là, il semble que nous soyons dans une belle merde et que l’un sans l’autre nous nous en sortirons pas indemne. Aussi autant lui faire confiance.

  • Aaron, le patron arrive et il est furax, hurle un mec à l'extérieur.

Maintenant, je suis fixé, ça craint pour mon matricule.

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