Angoissant (Lucas)

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  • Putain, est-ce que quelqu'un sait où se trouve Zach ? m’énervé-je en déboulant dans l'appartement de Harry en pleine nuit.

Au passage, je me prends les pieds dans la valise qui traine dans le hall.

  • Du calme Lucas, me lance Jérémie en me rattrapant.

Je suis surpris de le voir. Apparemment, je ne suis pas le seul à avoir investi les lieux à une heure bien peu raisonnable.

  • Zach devait me rejoindre dans la soirée, ce n'est pas son style de rompre ses engagements sans le moindre mot. Il ne répond pas au téléphone. Seule la voix de sa messagerie rassure mes angoisses. Et toi, tu débarques de nul part et tu ne me préviens pas ? le fusillé-je du regard.
  • Je ne sais pas quoi te dire, s'excuse Jérémie en me prenant dans ses bras.
  • Vous pensez que je suis idiot, m’agacé-je en observant par dessus l’épaule de mon ami, vos grises mines ne me rassurent absolument pas.
  • Assieds-toi, me propose le professeur Asselin, tu veux un verre ?

Je décline poliment et poursuit mon interrogatoire musclé. J’ouvre les vannes d'un torrent de questions et libère l'étau qui compresse mon cœur.

  • Pourquoi l'ambulance n'est-elle jamais arrivée à l’hôpital ? Ils ont eu un accident sur le trajet ?
  • Pas que je sache, m'assure Harry.

Ma question était rhétorique et la réponse pathétique. Je ne peux pas en vouloir à l'inspecteur. Forcément qu'il n’y a eu aucun problème sur le parcours. Si le camion avait fait une embardée pour terminer sa course dans les rails de sécurité ou s'encastrer dans un mur, les passagers auraient fini au CHUM de Montréal.

  • J'y suis allé aux urgences, ne tenant plus en place après son dernier message, m'emporté-je. Zach me parlait de Peter, de la crise d’épilepsie et qu’il l'accompagnait à l’hôpital. Puis plus rien. Plus de réponses, plus aucun signe de vie. En arrivant sur place, j’ai croisé Oliver qui m’a confirmé qu’aucune entrée de ce type n’avait été faite. D'ailleurs, il était surpris que Zach ne l’ait pas prévenu de son arrivée imminente. On est allé voir ses collègues, ils ont vérifié les dossiers et on a fait choux blanc. Aucun appel n'avait été reçu pour signaler un patient en provenance de l’université. J’ai même attendu l'interne devant la morgue, terrorisé à la simple idée qu'il revienne la mine enfarinée avec une terrible nouvelle.

Ce ne fut pas le cas. Est-ce que pour autant la nouvelle m'a rassuré ? Absolument pas. Je m’effondre dans le fauteuil près de la platine où un disque semble être dans le même état que ma pomme, abandonné. J’attrape la pochette et sourit à l'idée que Zach ai pu l’effleurer du bout des doigts avant de l'écouter.

Je pose le sillon sur le vinyle, les premières notes se diffusent dans la pièce. Le flot mélancolique d'Alleluia emporte mes larmes. Je hoquette à la simple pensée de savoir mon ami dans une situation inextricable. J’ai bien conscience que son futur est ainsi fait. Nous en avons discuté. Je connais les risques qu’il encourt chaque jour. J’ai pu le constater de visu lorsque je me suis retrouvé en premières lignes pour l’anniversaire de Peter, à moitié drogué. Si Noah et Léo n’étaient pas venus à notre secours, nous aurions pû passer un sale quart d'heure.

Aujourd'hui, le savoir, face à un ennemi sans visage, me terrifie. Ne pas pouvoir être à ses côtés pour le soutenir me ravage les tripes. Cette nuit, je réalise que ce français me rend fou d'amour. Il est mon étoile dans l’obscurité.

Malgré les mots de réconfort distribués par Jérémie et Harry, leurs silences sont terribles à entendre et un aveu d’impuissance bien douloureux.

  • Lucas, je me présente, Naël, m’annonce le gars avachi dans le fauteuil voisin.
  • C'est toi le chum de Jérémie ? réalisé-je en entendant son prénom.
  • Le quoi ? s’interroge-t-il avec un doux sourire tout en se redressant pour me tendre la main.
  • Son mec, réponds-je sèchement avant de me radoucir, son petit copain par chez nous.
  • Ouais c'est bien ça, il m’a emmené dans ses valises pour passer les fêtes sur ses terres.
  • Jerem est un type formidable. Il a été là pour chacun d’entre nous et inversement, insisté-je en observant mon ami en grande conversation avec l’inspecteur.
  • Oui, il me parle souvent de ses amis québécois et il me tardait de les rencontrer, bon je t'avouerai dans d’autres circonstances, souffle-t-il en saisissant la tasse fumante qui patiente sur la table.
  • Et toi, tu connais Zach ?
  • Qui n’a pas croisé la route de “the fucking blue eyes”.
  • Comment ? Qu'est ce que tu entends par là ? l’interpellé-je.
  • Rien, c'était le surnom que lui a donné son ex.
  • Ah, soupiré-je, tu parles de Manu.
  • Ouais, laisse tomber ce n'était pas judicieux, s’excuse-t-il.
  • T’inquiète, je suis déjà au courant.

Cet échange surréaliste remet un peu de calme dans ma caboche. Respire Lucas, tout va bien se passer, je suis sûr qu’ils sont déjà sur une piste. Zach n'arrête pas de me dire qu'un ange gardien veille sur sa carcasse. Je sais que Harry ou Jérémie assurent forcément ses arrières. Ils n'accepteront jamais de le laisser dans la panade.

Un deuxième coup de semonce envahit la pièce. Une seconde furie claque à son tour la porte d'entrée. Cette maison est un vrai moulin à vent. Noah tente de retenir Rose. À la tête qu'elle fait, aucun doute, le message de la disparition de Zach a fait le tour de notre cercle d’amis. J'avoue un peu par ma faute. Après avoir arpenté les couloirs de l'hôpital avec Oliver, je n’avais aucune envie de rentrer chez moi et de trouver une pièce déserte. Quand il a repris son service et m’a fait promettre de le tenir au courant de la moindre information, j’ai pris le métro pour me rendre chez Alexis.

Son père m'a accueillie, surpris de me voir. Chagriné par mon bégaiement excessif et l’heure à laquelle je débarquais, il m’a proposé de rester pour manger un morceau en attendant Rose. Noah devait ramener sa fille après leur séance de cinéma. J’ai décliné, ne voulant pas déranger et j'ai rebroussé chemin. Avant de partir, j’ai laissé un mot sur un post-it, sur lequel mes phrases ne voulaient rien dire. Mes lettres bégayaient à leur tour sur le papier. Mes hiéroglyphes dessinaient des vagues et rendaient mes propos totalement irréels. Mon téléphone n'avait plus de batterie, celle externe était à plat , sans autonomie et moi HS, nous faisions une belle paire.

Résigné, j’ai pris le chemin de mon loft avec l’infime espoir de voir ses grands yeux bleus en poussant la porte. L'absence m'accueillit. Pour la première fois, j’ai ressenti un manque, un de ceux qui vous prend aux tripes et asphyxie les papillons. L’homme qui fait battre mon cœur à mille à l’heure d'un seul battement de cil, est porté disparu. Je me suis assis devant notre mur vert prairie en songeant à tout ce que nous avions déjà partagé. Harassé par la journée de cours, les extras au boulot, mes larmes ont tutoyé ma peur. Alors j’ai pris mes cliques et mes claques, direction l’appartement de Harry. Apparemment, je ne suis pas le seul à venir calmer l’angoisse qui nous étreint.

  • Alors quelqu'un va me dire ce qui se passe à la fin ? s’emporte Pink Lady me ramenant d’un coup d'un seul au temps présent. Cracher le morceau, pas besoin de passer la pommade.
  • Zach a disparu, confirme Harry.
  • Vous plaisantez ? s’effondre-t-elle dans les bras de son chéri.
  • Depuis quand ? interroge Noah.
  • L'incendie, lâche Monsieur Asselin.
  • Quel incendie ? Je ne comprends rien, s’emporte le hockeyeur.
  • Hier en milieu d'après-midi à l’Université, Peter s'est pointé dans le bureau de Hugo, il a fait un malaise. Les pompiers l'ont embarqué et peu après le bureau prenait feu.
  • L'alarme incendie, c'était pour ça ? Nous avons cru à un exercice, précise Léo se pointant à son tour.
  • C'est un cauchemar, dites-moi que je vais me réveiller, sanglote Rose en martelant le torse de son chéri.
  • Apaise-toi, lui suggère Léa qui fait son apparition.

Elle n'est pas venue seule, toute l'équipe de journalistes marche dans ses traces.

  • Bon les gars, plus de temps à perdre, notre capitaine est dans la mouise, il nous faut le sortir rapidement de là, envoie Noah.
  • Et si c’était trop tard ? pleurniche Rose.
  • Tais-toi, ne dis pas de conneries, s’impatiente Léa en colère.

L’inspecteur, visage fermé, quitte la pièce pour répondre à un appel. Je crains que les informations ne soient pas celles que nous espérons.

  • D’après les derniers signes émis par son portable, il se déplaçait, précise Jérémie tentant d’apaiser les tensions.
  • Tu es sûr de toi ? insiste Rose.
  • Non parce que depuis une heure plus rien, admet-il, inquiet.

Harry fait un signe de tête en direction de Jérémie pour qu’il le rejoigne. Mon pouls s’accélère. Je vis la pire nuit de mon existence.

  • Mais s’ils le lui ont pris, comment peut-il être sûr de lui ? insiste Rose en me secouant.
  • Fais-lui confiance, balance Naël en attrapant le bras de Pink Lady, viens m’aider à préparer des chocolats chauds à ma façon.
  • T’es qui toi ? l’agresse-t-elle.
  • Naël, suis-moi si bien sûr ton homme me le permet.
  • Oui, le mec de Jerem est forcément un type bien, confirme Noah en lui serrant la main pour se présenter.
  • Oh pardon, je n’avais pas compris, s’excuse Rose avant de le suivre dans la cuisine tentant de se ressaisir.

L’inspecteur et Jérémie reviennent sur leur pas, têtes baissées. Je me sens tout à coup si peu de choses.

  • Mes collègues viennent de m’informer qu'ils ont trouvé le camion de pompier.
  • Et ? soupiré-je.
  • Il était vide, abandonné sur un bas-côté à l'extérieur de la ville.
  • Et ? soufflé-je.
  • Aucune trace d’accident ou de lutte, précise-t-il peu convaincant.
  • Et ?
  • Et le portable de Zach était en miette sur le brancard.
  • Rien d'autre ? me crispé-je.
  • Je vais me rendre sur place, affirme Harry.
  • Je t'accompagne, propose aussitôt Jérémie.
  • Ok, ton expertise nous sera utile. Quant à vous autres, je compte sur vous pour rester ici, ordonne Harris, j'ai besoin que toutes vos compétences se mettent en action.
  • Je peux vous accompagner, supplié-je.
  • Ok, répondent-ils à l’unisson.

Avant de sortir, je balaie du regard une dernière fois le salon. Les journalistes investissent le bureau pour poser leur ordinateur portable, prêt à dégainer. Jérémie et Harry sont en grandes discussions et distribuent les consignes à chaque protagonistes. Ils se déploient autour de l'équipe novice. À la détermination que je peux voir sur leur visage, je comprends qu’ils ne laisseront rien au hasard. Ils feront le nécessaire pour trouver la moindre aiguille dans ce tas de foin moisi.

On se croirait dans un QJ d’un service d'enquêteurs d'État. Il ne manque que les hommes en costumes noir, avec leurs lunettes et leur flingue planquait dans leur veston. J'ai l'impression d'être dans un film à gros budget. Cette idée devrait me satisfaire après tout dans tous les policiers que j’ai visionné, le rideau se baisse après la victoire des gentils, dans un capharnaüm sans noms. Je n’ai aucun souci à me faire, Zach, mon héros au grand cœur, sortira de derrière l'écran de fumée pour m’offrir un french kiss.

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