Chapitre 3 : Liam
Liam grommelait en suivant ses cousins dans le sous-bois. Quinze ans, l’âge parfait pour râler, surtout quand on l’éloignait de ses jeux vidéo. Il n’était pas friand de ce genre d’aventures nocturnes et aurait préféré rester dans sa chambre. Mais comme à son habitude, Caleb avait réussi à le convaincre de venir en titillant son ego.
Il ramassa quelques branches pour le feu avec toute la mauvaise volonté du monde. Jorick le regarda en levant les yeux au ciel mais ne dit rien. Il croisa son regard et, par pure provocation, se mit à traîner encore plus des pieds lorsqu’ils revinrent au bord de l’étang avec les autres.
Liam s’assit lourdement sur une souche, le sac au sol, les bras croisés. Le feu crépitait à peine, et déjà l’odeur de chamallow brûlé flottait dans l’air. Super. Manquait plus que le ukulélé et les chants scouts.
— Quelqu’un veut griller le premier ? lança Cléo, tendant le paquet de guimauves.
Il leva une main molle.
— Je veux bien, mais uniquement si quelqu’un le fait pour moi.
Personne ne bougea. Pas même Ilana, qui faisait souvent semblant de s’inquiéter pour lui quand il jouait la comédie. Il grogna, se leva, et alla chercher une branche. La forêt lui collait à la peau, humide, silencieuse. Oppressante. Loin derrière les rires, il sentait comme un courant d’air froid qui n’avait rien de naturel. Peut-être qu’il se faisait des idées. Peut-être pas. Mais ça le foutait mal. Il retourna vers le feu, la guimauve plantée comme un drapeau blanc sur sa pique.
— Tu comptes sourire un jour ou c’est mort pour la décennie ? demanda Lysandra en s’asseyant à côté de lui.
— Si je souris, j’explose, répliqua-t-il sans la regarder.
Elle ricana doucement. Elle au moins ne le prenait jamais au sérieux. Ni trop à cœur, ni avec pitié. C’était reposant.
Il observa les flammes danser. Les autres parlaient, plaisantaient. Cléo racontait une histoire de maison hantée. Les visages étaient éclairés par en dessous, rendant leurs ombres grotesques. Liam détourna les yeux et resta en retrait, un peu à côté. C’était souvent comme ça. Il ne savait pas trop s’il s’en foutait ou s’il détestait ça.
Être le petit dernier de la bande, c’était souvent synonyme d’invisibilité. Il se rendait bien compte que son avis était rarement pris en compte, qu’il était parfois exclu de certaines conversations ou que ses cousins ne supportaient pas sa tendance à toujours broyer du noir. Et à force, il s’était créé cette carapace faite de paresse et de plaintes.
Liam s’enfonça un peu plus dans sa capuche, les bras toujours croisés. Le chamallow carbonisé qu’il avait planté au bout de sa branche pendait lamentablement, mais il n’avait pas la foi de le manger. Lysandra grignotait le sien en silence à côté, les yeux brillants de reflets orangés.
— Tu sais, t’as le droit d’aimer ça, murmura-t-elle sans le regarder.
— Aimer quoi ? siffla-t-il.
— Être là. Avec nous. C’est pas illégal.
— J’ai jamais dit que j’aimais pas. J’ai dit que c’était nul. C’est pas pareil.
Elle haussa les épaules, mi-amusée, mi-lassée. Il la détestait un peu pour cette capacité à ne pas se laisser démonter par son humeur. Et il l’aimait bien pour ça aussi. C’était confus.
De l’autre côté du feu, Cléo faisait son show. Elle racontait l’histoire d’un ermite fou qui vivait au fond des bois et kidnappait les enfants imprudents. Elle imitait sa voix grave, le cliquetis de sa canne, jusqu’à ce que Caleb sursaute exprès au moment pile, faisant éclater de rire tout le monde sauf Liam.
— C’est censé faire peur, ton histoire ? marmonna-t-il.
— Toi, tu vas être le premier à disparaître, répliqua Cléo avec un sourire en coin.
Ilana leva les yeux vers la cime des arbres.
— Y a un truc bizarre avec les étoiles ce soir, non ?
— Ouais, elles bougent, dit Jorick, faussement inquiet. Elles ont décidé de changer de quartier.
— Non mais vraiment. Regardez, là, au-dessus du grand chêne. Cette lumière, elle clignote pas…
— Satellite, grommela Liam. Ou un drone. Ou un ovni, au choix.
Mais malgré lui, il leva les yeux.
Une étoile, plus brillante que les autres. Immobile. Ou presque. Il la fixa quelques secondes. Son cœur rata un battement. Un courant d’air froid glissa entre les troncs. Le feu vacilla. Un instant à peine, mais suffisant pour que le silence retombe d’un coup.
— Bon, on fait quoi maintenant ? demanda Caleb, mal à l’aise.
— On sort le Uno ? proposa Lysandra.
— Ou on rentre se coucher, ajouta Cléo. J’ai plus de guimauves et j’ai raconté mon quota d’horreurs.
Liam ne les écoutait plus ; il tenait la branche calcinée dans sa main, la tête levée vers le ciel. L’humidité collait à sa nuque comme un avertissement. Il haïssait cette impression de tension dans l’air, comme juste avant un éclair.
L’étoile n’avait pas bougé. Mais elle brillait. Comme un avertissement.

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