Prologue - parce qu'il faut bien commencer quelque part

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BAM BAM BAM

Trois coups sur la grosse caisse pour donner le rythme.

BAM BAM BAM

Le guitares entrent dans la bataille. Le miaulement des cordes s’engage contre les échos du chanteur.

BAM BAM BAM

Hé, Ren…

L’harmonie est impeccable. Ren, en fin stratège, dicte la cadence martiale du morceau. Le batteur de génie, le virtuose du tambour. Les timbales, les rototoms, tout s’orchestre parfaitement pour le climax ; le solo.

Oh, j’te cause.

BAMBAM BAMBAM

Tiens, un contretemps ? « Bambam bambam » ça sonne davantage comme des syncopes plutôt que des croches. L’illustre batteur aurait-il commis un impair ? Aurait-il manqué le coche ?

Pauvre cloche, t’as jamais su taper « Frère Jacques » en rythme !

T’es la pire tanche en musique que l’univers ait jamais connue !

Réveille-toi mon vieux, t’es en plein delirium tremens !

— Mais pourquoi il irait se planquer dans les chiottes ? Personne veut rester là-dedans pendant des heures…

Ren ouvre les yeux. Il fait noir, à l’exception d’un filet de lumière en croissant de lune qui filtre par une lucarne. Ça n’en fait pas beaucoup, de la lumière, mais déjà trop pour ses rétines fatiguées.

L’odeur lui confirme immédiatement ce que les voix éthérées de l’autre côté de la porte viennent de raconter.

C’est exigu, sombre, l’assise est percée d’un trou, le pantalon baissé aux chevilles et les effluves qui refoulent ne laissent aucun doute.

Des chiottes.

Bordel, qu’est-ce que je fous là-dedans ? Comment je suis arrivé là ?

— Bah, je sais pas, mais on nous a dit de chercher partout. Les chiottes, ça fait partie de « partout » non ? Et puis la porte est verrouillée...

Une chance...

Tu m’expliques pourquoi tu as ton flingue sur les genoux ? Chargé !

Écoute, je ne sais pas où je suis ni pourquoi et je galérerai même à expliquer qui je suis. Alors savoir pourquoi j’ai mon flingue chargé sur les genoux…

T’as encore fait une connerie…

Ça, j’avais deviné, oui. Mais laquelle ?

— Bon. Je défonce la porte, et toi, tu me couvres !

Le pantalon regagne les hanches, le revolver, sa ceinture.

— T’as peur de quoi ? Te faire attaquer par un étron ?

À ce timing finement choisi, Ren surgit hors de sa cachette. Il se retrouve un instant face à face avec deux gars à la mine patibulaire dont les regards se croisent.

Le fait que la paire de lurons ait leur main en parapluie au-dessus de leur holster donne une indication fort peu contrastée quant à leurs intentions immédiates.

S’en suit donc la seule réaction logique.

Cours !

C’est à cet instant précis que le cerveau du jeune homme envoie un premier signal : Ren est bourré. Cependant, l’organisme humain a ceci de merveilleux que l’adrénaline l’emporte rapidement sur l’éthanol.

Aussi ses jambes réussissent malgré tout à se mettre en branle.

Un premier virage à droite pour passer derrière une cahute et briser la ligne de vue de ses poursuivants, puis on prend la direction du soleil.

Pourquoi le soleil ? Parce que Ren a subi maintes et maintes fois le juste courroux de l’amoureux cornu, le père ou la mère trahie, ou encore l’opiniâtreté d’un recouvreur de dettes un peu zélé. Et donc il sait que si le soleil l’éblouit, il aveuglera également ses agresseurs. Ça réduit d’un pourcentage certain le risque de se retrouver avec une balle de .44 dans le derche.

La barrière d’un enclos, cependant, le force à dévier vers l’est. Une fois l’obstacle contourné, l’ivre fuyard bifurque au coin d’une nouvelle bicoque en bois et manque d’esquiver un homme tout de noir vêtu. Son haut-de-forme vient inexorablement rejoindre la flaque excrémentale sous l’œil rond d’une paire de cochons.

Un « pardon ! » vaguement intelligible s’échappe des lèvres commissurées de Ren avant que celui-ci ne reprenne sa course.

Mais la situation ne peut pas durer éternellement. Il faut trouver une solution.

Et si la solution de l’homme bourré est rarement pleine de sens, elle ne manque jamais de surprendre.

Là. Un autre enclos. Un enclos à proto-lamas.

Ni une, ni deux, Ren saute par-dessus la barrière et se vautre derrière l’abreuvoir, dans la boue.

Entre la boue et ses poursuivants, Ren choisit la boue.

Quel spectacle…

Ta gueule.

Quelques secondes plus tard, non pas deux, mais quatre types louches passent près de l’enclos sans se douter que sous l’abreuvoir, une paire d’yeux les regarde courir avec un air narquois.

Une nouvelle victoire disgracieuse pour Ren.

Celui-ci se relève, tente vainement de décrasser sa gabardine puis abdique. Ça attendra une rivière ou l’eau d’un puits.

Le sourire gagne ses oreilles. Il est fier.

Même très fier, ce con.

Soudain, un choc brutal sur la joue. Une sensation de picotement désagréable. Douloureuse.

Ren se retourne, de manière aussi vite que le lui permet le vertige conséquent à la torgnole.

Un haut-de-forme le contemple. Il a pas l’air commode.

Et il est sale. C’est presque comme s’il s’était vautré dans la fange à cochon !

… oh.

Une nouvelle gifle ravive des souvenirs de goujats pas si lointains.

— T’as des choses à me raconter, mon garçon.

Tiens, ya quelqu’un sous le chapeau.

Ren reconnaît le croque-mort croisé plus tôt. Il a un teint si pâle et les cheveux si noirs que ça n’en est même pas original pour un homme de cette profession. À croire que c’est requis pour le poste. Cependant, il est grand. Très grand. Beaucoup plus que Ren qui n’est pourtant pas un gringalet. Et sa moustache… Une moustache grise à rendre amoureux. Si l’on affectionne les personnes mûres. La courbe de celle-ci suit parfaitement la ligne de sa bouche sans lèvres. Droit vers le sol.

Une main sur le ventre, l’autre sur la joue la plus endolorie, Ren plonge son regard dans celui de son vis-à-vis.

— Tu n’es pas avec eux, hein ? Sinon tu m’aurais tué. Donc on s’est déjà croisés. Cependant, je n’ai pas la moindre idée d’où ni de quand. Alors pour ce qui est de te raconter des choses, Papy, à part des salades, j’ai rien en réserve. Par contre…

S’en suit une scène dont la décence et les émétophobes se passeront. Disons juste qu’une course-poursuite au réveil d’une gueule de bois amène souvent à ce résultat.

Après le haut-de-forme, le reste de la tunique sombre du croque-mort se voit à son tour décorée. Du plus mauvais goût qu’il soit.

Ensuite, black-out. Et ça vaut peut-être mieux.

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