Acte 3 : Où l'on boit trop

6 minutes de lecture

C’est pas possible, mais c’est pas possible. Quel con ! Y’a pas dix gonzesses dans cette foutue ville. Bien sûr que c’était Martel !

Ha ouais. T’as l’habitude de foirer, mais sur ce coup, tu t’es surpassé.

Le soleil sur le perron de la boutique du tailleur chauffe jusqu’au cuir chevelu de Ren, malgré l’épaisse tignasse de jais qui le protège. Pour autant, ça fume probablement davantage à l’intérieur de la caboche.

Mais en vrai, ce n’est peut-être pas si grave ! Elle était consentante, on a fait ça entre adultes responsables !

C’est vrai. Tant que tu gardes ça pour toi et que tu butes son mec avant qu’il ne l’apprenne, tes risques sont modérés. Il faudra aussi que tu récupères ta prime et disparaisses dans le cosmos avant qu’elle ne le dise à son père. Et aussi prier pour qu’il n’envoie aucun soudard à tes trousses.

Exactement. Tout baigne.

Du coup les minutes sont comptées...

Tout à fait !

Et tu as déjà un plan !

Presque ! Mais pour ça, il me faut les idées claires. Direction le saloon.

Je le savais…

Quand la boussole indique le nord, le nez de Ren indique le bar le plus proche. Porté par un flair inégalable en la matière, il dirige ses pas vers le seul lieu familier du coin.

Cependant, à mesure qu’il avance, qu’il dévisage les rares quidams allongés à l’ombre, la vague d’angoisse fait son ressac.

Car bien sûr, tout ne va pas bien.

Le bilan est sévère et Ren réalise petit à petit que les chances de succès de son plan, ou plutôt de son absence de plan, sont faibles, pour ne pas dire nulles.

Tandis qu’il dépasse le barbier, il se rend compte qu’en toute logique, le secret est déjà éventé. Vu la tronche de Ren à l’évocation de Martel, il faudra peu de temps au tailleur pour comprendre que quelque chose cloche entre cet étranger et la jeune femme.

Tandis qu’il longe la boucherie, Ren réalise que la robe va être livrée à Arkel dans les prochaines heures. Conséquence directe du point précédent, ce dernier sera mis au courant qu’un « étranger curieux s’est décomposé à la description de Martel ».

Tandis qu’il contourne l’épicerie, le chasseur de primes percute que même s’il arrive à ses fins et qu’il ramène la jeune femme à son père, celui-ci passera une chasse monumentale à sa fille. Et quelle réaction ont les personnes face au courroux de leurs géniteurs ? « Mais c’est pas ma faute, puis en plus ton chasseur de prime il m’a violée ».

Tandis qu’il arrive en vue du temple de l’alcool, Ren comprend qu’il est foutu.

J’vais crever, hein, Tage ?

Ça m’arrangerait que non. Donc tu es gentil, tu reprends tes esprits et…

Quitte à aller en enfer, autant y aller bourré.

T’es chiant, Ren...

Si la vie est un éternel recommencement, celle de Ren recommence bien – trop – souvent au saloon.

Ne cherchant, cette fois, pas spécialement le dialogue, il convient de prendre place à la table de poker silencieuse.

La technique pour se faire accepter est d’étaler rapidement ses mises et d’y ajouter une ou deux bouteilles à partager, puis veiller à ce que ses comparses ne soient jamais à sec. Mais bordel, ça boit, un mineur de Hel. Et Ren aussi, il boit. Beaucoup.

Trop.

À tel point qu’il devient compliqué d’estimer s’il a réellement un carré d’as, ou une simple paire. Mais quand même, trois as de trèfle, ça fait beaucoup dans un jeu de cinquante-deux cartes.

Après une nouvelle main remportée par le chasseur de primes, les esprits commencent à s‘échauffer. Tant et tant chauffer que l’alcool circulant dans les veines des quatre gaillards menace de s’enflammer à la moindre étincelle.

Le barman le voit, il le sent. Il a l’habitude des bagarres d’ivrognes, cependant il demeure calme ; les premiers signes de joute débutent seulement à poindre. Car avant toute rixe, a lieu le sempiternel « concours de bites », et celui-ci vient tout juste de démarrer.

Top ! Le premier joueur jure avoir terrassé un ver des cratères d’une seule balle, paf, au fond de la gorge ! Très beau contrôle du second qui affirme avoir remporté haut la main le rallye des astéroïdes de la ceinture du Mandala, l’une des courses les plus dangereuses du système ! Mais Ren part au contre et l’accuse de mensonge ! La course n’existe plus depuis l’accident de 509. L’arbitrage siffle, vérification en direct, avantage au pilote, car le rallye se dispute encore en secret. QUELLE ATTAQUE DU TROISIÈME JOUEUR ! Un coup technique que personne n’avait vu venir ; il aurait réussi à braquer, seul, la banque Pangériale Centrale du système voisin. Une action spectaculaire qui lui vaut la tête du concours. Quelle rencontre ! Quelle rencontre, mes amis !

— … ET BAH MOI J’AI BAISÉ LA MEUF D’ARKEL !

Jeu, set et match.

Ren se tient fièrement debout, l’index dressé vers le plafond, figé dans une posture d’éphèbe.

L’alcool, doucement, déserte son cortex pour laisser place à l’adrénaline.

Son corps mesure déjà l’ampleur de la connerie qu’il vient de faire, mais son cerveau, lui, traite encore l’information.

Et…

...merde.

Aucun alcool, aucune drogue ne pourrait ralentir les automatismes des hommes de main et leur propension à dégainer, seulement altérer leur capacité à viser droit. Avant que toutes les connexions neuronales ne soient effectuées, c’est une bonne dizaine de canons qui dévisagent Ren. Une situation tendue, s’il en est, que le chasseur de prime n’a pas anticipé.

Heureusement pour lui, la fréquence de ce genre de contrariété octroie certains réflexes.

D’un habile coup de pied, la table se renverse vers la menace la plus proche : ses trois frères de jeu.

D’un bond savamment calculé, le comptoir derrière lequel se jette Ren devient une digue salvatrice face à la vague de plomb qui s’abat.

Le bois claque et craque. Le corps du barman choit et s’échoue à côté de lui.

Bon, t’es plus en état que moi, Tage. Je fais quoi maintenant ?

Bordel, Ren, ça fait une heure que tu me noies. J’en sais rien moi. Cours vers la porte en priant, au point où on en…

Ok !

MAIS NON JE DÉCONNAIS, ABRUTI !

Ne jamais s’essayer au second degré avec un homme ivre.

Bénédiction du héros, ébriété avancée des pistoleros, chance outrageuse, onction divine... on ne saura jamais comment Ren se retrouve, après six foulées, dehors.

La symphonie de détonations ne ralentissant pas, il accélère encore le pas.

Un impact fait voler en éclat un morceau de volet tandis qu’il tourne à l’angle d’une maisonnette.

Un nouveau zigzague lui permet de semer une partie de ses agresseurs. Il est maintenant debout au milieu des tombes. À quelques dizaines de mètres, un cercueil ouvert lui promet un instant un refuge assez incongru pour le sauver.

Mais arrivé près de celui-ci, Ren ne peut que constater qu’il serait à l’étroit à partager la place avec le macchabée déjà bien installé. Le coin de son œil capte la présence d’un homme, pelle à la main, haut-de-forme sur le crâne.

Une idée germe alors dans l’esprit embrumé du chasseur de prime que le coma éthylique rattrape plus certainement que ses poursuivants.

Car les minutes et les heures à suivre vont se passer exactement comme il le pense : il va trouver un refuge improbable, s’y cacher, y cuver le temps qu’il faudra, et sortir de là amnésique. Il lui faut donc un repère, une marque dans le temps. Quelque chose qui choque, qui détonne. Comme un string placé dans un cercueil bien en vue du croque-mort.

Mais qu’est-ce que..

chhht, on appelle ça « placer ses pions ».

— Mais qu’est-ce que vous faites ?! Sortez vos mains de ce cercueil !

Parfait, le corbac m’a vu. Maintenant, un refuge.

La suite, on la connaît. Des water closet à l’arrière d’une maison vraisemblablement abandonnée, et une sieste inconfortable avant un réveil en fanfare.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ewøks ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0