Rendez-vous Parc des Oliviers

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Driiiiing!

Les élèves de la salle 116 retinrent leur souffle, impatients de sortir de la salle d'anglais. Sympathique, le jeune stagiaire irlandais qui leur donnait cours signala :

- C'est fini. Vous pouvez ranger vos affaires et sortir. Je vous souhaite une bonne journée ! A la semaine prochaine, et portez-vous bien !

Tandis que la plupart des élèves s'enfuyaient en courant, ravis de profiter d'une récréation bien méritée, Mazarine prit sa feuille. Elle s'approcha du professeur qui rangeait déjà ses affaires.

- Monsieur, au début du cours, vous aviez dit que, si certains étaient intéressés, ils pouvaient demander des détails sur...

- Yes, miss ?

Tandis que le professeur développait ses propos, s'approchant subrepticement, escortée de ses amies, Priscilla lança d'une voix caquetante :

- Vous avez pas fini de parler, vous deux ?

Le professeur, qui n'avait manifestement rien comprit de ce que venait de dire l'insolente, rangea ses affaires sans rien ajouter. Mazarine, elle, gênée, ne sut que répondre. Mais de toute façon, cela n'aurait servi à rien. En effet, Priscilla et sa suite avaient déjà tourné les talons en s'esclaffant bruyamment. Les jeunes filles se dirigèrent dans le couloir, où elles avaient déjà repéré leurs amies. Ensemble, elles allèrent dehors, avant de descendre dans la cour de récréation pour rejoindre le reste des élèves qui les attendaient.

Après avoir gratifié son professeur d'un « Goodbye, mister ! », Mazarine, renfrognée, sortit à son tour de la salle. Lugubre, elle extirpa une pomme de son sac surchargé. Elle soupira. Le CDI était fermé, et ce depuis trop longtemps à son goût. Habituellement, elle se réfugiait dedans durant les récréations pour se protéger des remarques des autres élèves, parfois désobligeantes.

Aujourd'hui, le documentaliste n'étant pas là, il lui faudrait endurer ce moment pénible. Elle descendit lentement les escaliers, à petit pas comme pour retarder le moment tant redouté. Enfin, dans la cour qu'elle détestait tant, elle se trouva un banc de libre et croqua sa pomme, maussade. Elle aurait tant aimé avoir une amie dans sa classe, telle que Virginie, sa meilleure amie ! Mais celle-ci allait dans une école spécialisée pour la danse, où elle excellait. Mazarine, elle, préférait le violon qu'elle apprenait dans un conservatoire non loin et allait dans son collège de quartier, où elle n'avait pas d'ami.

Cela lui pesait souvent, surtout lorsque d'autres l'embêtaient et qu'elle ne savait que répondre. Et ne parlons pas des groupes de sport, qui étaient un moment de supplice, et des travaux en binômes, une torture aussi détestée que redoutée. D'autant plus que le potentiel éducatif de ces activités était bas, très bas. En effet, ses coéquipiers la laissaient faire tout le travail, arguant qu'étant une "intello", elle se débrouillerait mieux qu'eux. Et de toutes manières, Mazarine préférait s'occuper du travail toute seule. Elle n'aurait pas supporté que sa note soit baissée, car une bande d'incapable avait bâclé le travail.

Alors qu'elle boudait toujours, indignée par l'intervention de Priscilla lors de sa conversation avec son professeur, une voix l'extirpa de ses pensées :

- Alors, Mazarine, ça va pas ? Tu fais la tête pas'que t'as pas eu assez de vingt sur vingt ?

L'intéressée grinça des dents. La remarque venait d'Achille, l'une des vedettes de la classe. Il était entouré d'une foule d'admirateur aussi stupides que lui, dont Priscilla, qui se pendait à son bras en riant à gorge déployée.

Elle les détailla soigneusement. Achille était grand, fort, costaud. Mais la description aurait été beaucoup plus élogieuse si l'on s'arrêtait là. Il avait, selon la violoniste, sinon de la bêtise à revendre,une logique assez personnelle. Il avait beaucoup de succès auprès des collégiennes, et changeait d'amoureuse comme de chemise. Souvent, le vendredi soir, on le voyait quitter le collège en vélo avec une élève, et le lundi matin, on le voyait arriver avec une nouvelle admiratrice au bras.

Visiblement, en ce moment, c'était Priscilla. Elle portait un bandeau évoquant un turban, ce qui lui donnait un air ridicule - d'après Mazarine. Ses yeux de merlan frit étaient soulignés par une tonne de mascara. Son visage luisait de maquillage, qui coulait à cause de la chaleur. On avait beau être en automne, l'été ne semblait pas être fini pour autant. Priscilla arborait aussi quantité de bijoux en argent qui faisaient un bruit semblable au vacarme des cloches d'un troupeau de bovin. Pour rester dans la description animalière, elle mâchait également un chewing-gum à longueur de journée de la même manière qu'une vache ruminerait. Enfin, elle possédait un insupportable rire de dinde suraiguë. Aussi vêtue d'un jean à paillette et de gigantesques baskets dorées, surmontée de lacets interminables, elle était à peu près aussi intelligente que son cavalier.

- Qu'est-ce qu'il y a ? T'as un problème, à nous regarder comme ça? lança de nouveau Achille, visiblement en forme.

Mazarine, lasse, les scruta un dernier instant avant de se lever et de tourner les talons. C'était ce qu'elle faisait toujours quand elle ne trouvait rien à répondre à ses camarades. Et de toute manière, sa technique, lorsqu'elle se faisait taquiner par ce genre d'élève, était de ne jamais répondre. Mais cela ne les empêchait pas de revenir l'embêter.

A cinq heures de l'après-midi, lorsque la sonnerie retentit, les élèves coururent dehors en hurlant. Du reste, ce fut comme à leur habitude. Mazarine attendit que le gros du troupeau soit loin avant de se lever lourdement et de charger son sac de dix kilos sur ses épaules frêles. Une fois cela fait, elle partit prendre le bus vers le Parc des Oliviers.

Dans le véhicule, elle se scruta dans le reflet de la vitre. Rêveuse, elle se passa une main dans sa chevelure, en se souciant comme d'une guigne de se décoiffer. Elle possédait une crinière volumineuse brune et ondulée, qui lui tombait aux épaules quand ce n'était pas dans ses yeux. Ces dernier étaient noisettes, de la même couleur que ses cheveux. Son teint olive - dû à un métissage entre une mère chinoise et un père français -, était parsemé d'une petite acné. Elle était petite et maigre, ce qui lui plaisait car elle était ainsi plus discrète. Elle s'habillait toujours élégamment, et portait aujourd'hui une robe colorée. Mais cela lui valait les remarques de ses camarades, qui ne partageaient pas ses goûts vestimentaires.

Son existence dans un collège rempli d'élèves qu'elle jugeait dépourvus de toute délicatesse et ayant un vocabulaire extrêmement peu développé l'avait rendue taciturne et renfermée. Du moins, lorsqu'elle se trouvait en leur présence. Mais cela ne l'empêchait pas d'avoir tout de même une sensibilité, contrairement à ce que pensaient ses camarades. Elle s'ouvrait aussi facilement aux personnes qui gagnaient sa confiance.

Une fois arrivée à destination, elle marcha quelques minutes avant des'installer sur son banc favori, caché sous une tonnelle de vigne et derrière un buisson d'olivier. Elle ferma les yeux et huma avec un sourire fin les effluves des arbres environnants, ainsi que le parfum de la fin de l'après-midi. Elle sortit enfin de sa rêverie, et déballa ses devoirs afin de travailler. Le parc était un endroit donnant beaucoup plus envie d'étudier que son appartement, et elles'y rendait à la belle saison pour faire ses devoirs et pour rencontrer...

- Salut, Mazarine !

L'interpellée releva subitement la tête, souriant de toute ses dents à la nouvelle venue.

Virginie Janvier, sa meilleure amie, habitait dans une grande maison située guère loin du parc. Elle était une danseuse accomplie. Elle était grande et avait de longs cheveux blonds. Ils n'étaient pas blond, blond froid ou blond platine, mais d'un blond chaud et doré, comme les blés. Elle possédait également de grands yeux bleus et rieurs. Avec sa peau de porcelaine, elle donnait souvent l'impression d'être aussi fragile qu'une poupée. Mais en vérité, il n'en était absolument rien.

Virginie était la joie de vivre et la générosité incarnée. Sportive, elle portait généralement des vêtements légers et colorés ainsi que de jolies baskets blanches. Les deux filles s'étaient rencontrées il y avait maintenant quelques années dans ce parc, sous le même olivier qui les abritait aujourd'hui. Et depuis, lorsqu'il faisait beau, elles s'y rendaient pour travailler après les cours. Lorsque le temps n'était guère propice à rester en extérieur, Virginie invitait Mazarine à étudier chez elle.

- Comment ça va, Zaza ?

- Bof, comme d'habitude... Ma classe est toujours aussi débile, alors tu comprends... Et toi, Vivie, ça va ?

La jeune fille blonde gloussa.

- Moi, bien, mais pas le chorégraphe : il s'est fait mal en voulant nous faire une démonstration ! Il ne manquait plus que ça, ça a été la panique ! On a appelé les pompiers, le secrétariat... Pfou, quelle pagaille ! En voilà un qui pourra se vanter d'avoir fichu le bazar à l'école !

Après avoir ri, travaillé et beaucoup discuté, les deux amies se quittèrent pour rentrer. Une fois chez elle, la jeune fille brune vit que ses parents n'étaient pas encore arrivés du travail. Il n'y avait personne d'autre, puisqu'elle était fille unique,contrairement à Virginie qui avait un grand frère. Mazarine révisa une dernière fois ses leçons. Puis elle sortit son violon, et commença à revoir ses exercices musicaux. La fine jeune fille brune les trouvaient particulièrement ennuyeux, mais ils étaient indispensables pour réussir à jouer de vrais morceaux, beaux mais compliqués. Elle affectionnait tout particulièrement la Berceuse de Gabriel Fauré, qu'elle travaillait actuellement pour sa plus grande joie.

Lorsqu'elle en eut assez de jouer, elle alla s'asseoir sur le rebord de sa fenêtre, d'où elle observa la ville, le ciel et, très loin, comme un trait gris-bleu toujours horizontal, la mer. Ce lieu était son endroit préféré pour rêver. Là, elle passait des heures à contempler la mer, à scruter les étoiles. Elle affectionnait contempler les nuages, et tenter de deviner les choses qui se rapprochaient le plus des formes qu'ils adoptaient. Elle écrivait aussi des histoires, inventait des aventures. Enfin, elle adorait rêver de ce qu'elle ferait, plus tard, quand elle serait adulte. Et secrètement, elle souhaitait qu'elle deviendrait une violoniste célèbre, et se produirait dans les salles de spectacle les plus célèbres et les plus belles au monde.

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