En avant la musique

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  Le jour du spectacle était enfin arrivé. Une foule compacte se pressait au palais de l'Europe, en particulier dans la salle de spectacle qui était en train de se remplir. On entrait, on sortait, on parlait, on cherchait quelque chose et l'on ne trouvait rien, tout était en rumeur. Les spectateurs se mettaient dans le premier siège libre qu'ils trouvaient et prenaient, lorsqu'ils en avaient un, leur enfant sur leurs genoux. On courait de partout afin de trouver suffisamment de chaises côte à côte vides, afin de caser toute une famille.

Les petits enfants, ravis d'être avec leurs amis, couraient de tous les côtés. Le tout au grand dam des mères nerveuses, qui rassemblaient leurs enfants en grognant. Leur manège n'était pas sans rappeler une poule caquetante qui regroupait ses poussins.

Les adolescents se faisaient tout petit lorsqu'ils voyaient passer leurs parents - ou un quelconque membre de leur famille - à proximité, mais bombaient le torse lorsqu'ils apercevaient leurs amis. Partout, des grands-parents couraient aussi vite que le leur permettaient leurs jambes, vers leur famille, fiers de les voir se produire sur scène.

Les professeurs, les chefs d'orchestre et les directeurs, légèrement hébétés, allaient à droite et à gauche afin de rassembler des feuilles, de trouver leurs élèves ou de distribuer des instructions que personne n'écoutait.

Des membres du personnel, vêtus de salopettes sales, criaient de tous côtés des ordres aux foules afin de mettre un peu d'ordre à la pagaille omniprésente. Ce qui était totalement inutile, puisque personne n'y prenait garde. D'autant plus que les cris rajoutaient un peu plus de vacarme et de panique.

Et les femmes de ménage, armées de chariots, de balais et de serpillères, râlaient sur les saletés que laissait une aussi grande foule. En grommelant, elles se promenaient parmi les spectateurs qui ne les remarquaient pas pour autant.

  Entre deux groupes de personnes âgées, particulièrement bedonnantes, l'on vit soudain une jeune fille brune se glisser en poussant un peu les gens et en s'excusant. Elle paraissait pressée.

  En effet, Mazarine était en retard à son rendez-vous avec Virginie et son grand-frère. Alors qu'elle se faufilait jusqu'aux loges consacrées à son orchestre, mais qui n'étaient pas moins bondées pour autant, un journaliste l'avait attrapée afin de l'interviewer. Et comme si cela ne suffisait pas, sa collègue photographe lui avait demandé de sortir son violon et de prendre une pose. Le tout ne s'était pas déroulé sans mal et sans effort, étant donné le bazar qu'il y avait dans la salle où ils étaient. Mais Mazarine avait accepté, à la fois flattée et incapable refuser.

  Mais le tout, plus le déballage de l'instrument et son remballage, avait duré un quart d'heure au bas mot. Elle avait dû se dépêcher de ranger le violon dans la loge. Après avoir salué ses camarades musiciens et s'être donné rendez-vous au fameux coin dont elle avait parlé à Virginie, elle se précipita afin de retrouver cette dernière et son frère.

  Heureusement, elle n'était pas en retard : ses amis, également victimes de la foule, avaient manqué se perdre dans la cohue au moins trois fois. Ils arrivèrent finalement cinq minutes après la jeune fille, rouges et essoufflés.

- Coucou, les salua-t-elle. Comment allez vous ?

  - Bien, merci, répondit Paul.

  Paul était grand, costaud et blond au yeux bleus, comme sa jeune soeur Virginie. La seule différence, en plus du fait qu'il était un garçon, était qu'il était âgé de dix-sept ans. Par conséquent, il était au lycée. Il ne faisait pas de danse non plus, ni de sport en particulier. En revanche, il pratiquait du théâtre. Cependant, si cela l'amusait beaucoup, il ne pensait pas faire cela toute sa vie, contrairement à sa soeur.

Sinon, lui et Virginie étaient tous deux étaient joviaux et extravertis. Lorsqu'on les voyait ensemble, on pouvait être sûrs de bien s'amuser ; à eux deux, ils formaient un véritable duo comique.

Soudain, la danseuse se mit à regarder de tous côtés avec curiosité.

  - Où est Mlle Wotan, Zaza ? demanda-t-elle comme si elle s'attendait à voir la vieille dame arriver en volant sur un balai.

  La violoniste lui donna un léger coup de coude, mais trop tard : Paul demandait déjà :

  - C'est qui, Mlle Wotan ?

  - C'est personne, se rattrapa instantanément la danseuse.

  - Laisse, Vivie, la coupa Mazarine. Je pense qu'on peut mettre Paul au courant.

  - Qu'est-ce que vous avez encore fait, les filles ? demanda-t-il, soupçonneux, en plissant les yeux.

  - Tu crois ? demanda Virginie à son amie d'un air buté, sans prêter attention à son frère.

  - Oui, au pire, ça ne change rien, au mieux, nous avons un cerveau de plus pour mener l'enquête !

  - Pas faux, accorda la danseuse d'un air plus détendu.

  Elle se tourna vers son frère et lui expliqua la situation, avec ce qui se voulait être beaucoup de clarté :

- Alors voilà, ça commence il y a quelques semaines. Zaza voit un élève de sa classe se faire enlever par une voiture, avec un conducteur bizarre. C'est Achille Borlier, des fois que tu le connaîtrais.

  - Achille Borlier ? répéta Paul. Ah, tiens, je crois que son frère, Maurice, m'en avait parlé. J'en suis même certain, maintenant. Il était dans tous ses états, le pauvre, et il ne savait pas ce qu'était devenu son frère. Ses parents et lui s'inquiètent beaucoup.

- C'est compréhensible, marmonna son amie brune en enroulant l'une de ses mèches autour de son index, pensive.

  - Oui, fit négligemment Virginie, avec un geste de la main expéditif. Donc Mazarine a assisté à son enlèvement.

  - Ben dis-donc, ma vieille ! prononça Paul, impressionné.

  - Après, continua Virginie, elle est allée me retrouver dans le parc, et on a trouvé un sac à main absolument ma-gni-fique. Zaza est allée le rendre à sa propriétaire, qui s'appelle Brunhild Wotan.

  - Pas courant, comme nom. C'est nordique. Et alors ?

  - C'est une petite vieille qui vit dans la maison délabrée à côté de chez nous. Tu sais, Le Gîte de Mûshika.

  - Ouais, acquiesça son frère. C'est un drôle de nom, ça aussi.

  - Mûshika, intervint Mazarine, est un rat dans la mythologie Hindoue. C'est le... moyen de locomotion de Ganesh, un dieu. Continue, Vivie.

Celle-ci ne se fit pas prier. Elle inspira, et continua :

  - Chez elle, Zaza a trouvé plein de petites bizarreries. Par exemple, il y avait une affaire de clef, de lunettes de soleil inutiles, et on a trouvé la casquette d'Achille. On a donc de bonnes raisons de penser que ce zigoto a été enlevé par Mlle Wotan.

  - Oui, c'est sûr, médita Paul, subjugué par l'affaire.

  - On a donc décidé de mener l'enquête. Et comme je n'ai jamais vu Brunhild Wotan et que j'aimerais m'en faire une opinion, Zaza et moi avons donc décidé de l'inviter au concert. D'ailleurs, elle est où ?

  - Elle m'a dit qu'elle ne serait libre que vers cinq heures. Le temps de venir, elle ne sera là qu'au moment de la dernière entracte.

  - Je me demande ce qu'elle peut bien faire, songea Virginie d'une voix rêveuse.

  - Etant donné qu'une vieille dame est un être humain, commença Paul d'un ton moqueur, et par conséquent qu'elle doit manger pour survivre, je suis à peu près certain qu'elle est partie faire ses courses. Ce serait plutôt normal, non ?

  - Non, répondit catégoriquement Virginie.

  - Et comment ça, non ? riposta son frère, les mains sur les hanches. Que veux tu qu'elle fasse d'autre ?

  - Pour faire quelque chose comme des courses, rétorqua Virginie, elle n'est pas obligée d'y aller précisément un samedi après-midi alors qu'elle est justement invitée, tandis que d'habitude, elle ne voit personne. On peut faire des courses quand on veut, et au pire, ce n'est pas une catastrophe de les reporter.

  - Là, dit Paul, j'avoue que t'as gagné. Elle est donc en train de faire quelque chose d'important. Cela peut-être seulement un rendez-vous prévu depuis longtemps dans un endroit, genre une banque...

  - Bon, dit enfin Mazarine. On peut discuter debout, mais c'est aussi bien assis. Qui veut aller dans mon coin secret ?

  - Mais, s'étonna sa meilleure amie, tu m'avais dit que là-bas, c'était vide car il n'y avait pas de fauteuil...

  - En effet, mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas y être assis.

- Ah, tu veux dire qu'on peut s'asseoir par terre ?

- Tu peux t'asseoir par terre si ça te chante, mais je te déconseille. On a mieux que le sol, pour poser nos fessiers.

  La violoniste mena ses amis dans son coin secret. Il s'agissait seulement du balcon au-dessus du « paradis » ou du « poulailler ». De là-haut, ils pouvaient observer non seulement la scène, mais en plus toute la fosse. Dans leur balcon, il n'y avait pas une seule chaise, mais en revanche, on y avait entreposé de vieilles caisses qui commençaient à prendre la poussière. Dans la circonstance, celles-ci servaient de siège. Dessus étaient assis Solveig et Pierre, des amis de l'orchestre de Mazarine, qui saluèrent le trio quand ils arrivèrent.

  Solveig était de taille moyenne, avec des cheveux châtains coupés courts et des yeux verts. Son attitude était semblable à celle d'un poulain lâché dans une prairie. Aujourd'hui, elle portait un élégant pantalon noir et un chemisier blanc, même si sa tenue habituelle se résumait souvent à un pantalon et à une veste à carreaux.

Pierre, lui, était petit pour son âge. Il arborait de gigantesques lunettes et une tignasse noire. Bon nombre de boutons d'acné le défiguraient. Il avait la même tenue que Solveig, car le mélange "noir et blanc" était le code couleur du concert.

Tous étaient déjà au courant de « l'affaire BW », comme disait Virginie, car ils estimaient qu'ils ne seraient pas trop de cinq têtes pour y réfléchir. Tout le monde se connaissait déjà, car ils avaient eu l'occasion de se rencontrer à d'autres concerts.

  Et celui-ci commença. Un orchestre benjamin de cuivre interpréta Summertime. Des percussions firent un morceau qui mit la foule en délire, et qui était sûrement L'Impératrice des Pagodes. Puis les guitares prirent le relais. Ce fut un pur massacre : elles jouaient extrêmement mal, et leur professeur ressemblait davantage à un pingouin qui tentait désespérément de s'envoler qu'à un chef d'orchestre qui dirigeait ses élèves. Lorsqu'ils eurent fini, il y eut de timides applaudissement. Quelques spectateurs se bornèrent juste à siffler.

  Après une demi-heure, le groupe manifesta le désir de se dégourdir les jambes. Ils décidèrent d'aller dans le grand escalier de marbre, qui était assez élégant, et effectivement gigantesque. Il liait quatre étages, et permettait d'accéder à la salle de concert. L'escalier prenait racine au rez-de-chaussé, où l'on pouvait apercevoir diverses salles servant de local lors des expositions. Celles-ci avaient fréquemment lieu. Justement, les cinq compagnons s'approchèrent de l'une d'elles.

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