Nouvelle rencontre

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  Mazarine, essoufflée, porta une main à sa poitrine. Elle s'adossa à un mur pour tenter de reprendre son souffle, puis jeta un coup d'oeil à sa montre. Cela faisait au moins un quart d'heure qu'elle courait à travers les salles, slalomait entre les cages de verres, gravissait des escaliers, jetant à peine des coups d'oeils aux objets exposés.

Les objets exposés, soit dit en passant, n'avaient apparemment aucun lien entre eux. Elle avait en effet remarqué des affiches de films qui ne lui disaient rien, des pots de fleurs peints... Elle avait également cru voir une vieille voiture qui devait dater d'entre les années soixante et soixante-dix. Ce qu'elle faisait là et comment elle était rentrée, elle n'en avait pas la moindre idée. Peut-être qu'elle était venue en pièces détachées, et qu'on l'avait montée à l'intérieur.

  La jeune fille brune prit une longue inspiration, puis tendit l'oreille. Elle n'entendait plus rien. Elle avait sûrement semé ses poursuivants. Enfin, si poursuivants il y avait eu. Elle ne le savait même pas : dans la fièvre du moment, elle ne se souvenait que de Pierre hurlant « Zaza, on se casse ! ». Elle avait sagement suivi son conseil, et était partie en courant.

  Après, elle ne savait même plus si le policier et le gardien lui avaient couru après, et encore moins si l'agent avait finalement appelé ses collègues. Elle avait couru à travers les pièces, s'était perdue, retrouvée, puis reperdue. Voilà tout.

  Et maintenant, elle ne savait plus où elle était. Certes, elle avait au moins une heure trente pour se tirer de ce labyrinthe avant de monter sur scène. Mais ce qui lui faisait peur, c'était que le gardien ne la retrouve. Car elle ne s'inquiétait guère à propos du policier : il avait l'air complètement abruti.

A part elle, les lieux étaient déserts. Tout le monde devait être dans la salle de spectacle. Elle n'arrivait pas à déterminer si c'était une bonne ou une mauvaise chose. S'il n'y avait personne, elle pouvait circuler partout où bon lui semblait, sans avoir à se justifier. Mais pour l'aider et la guider, elle était obligée de se fier à son sens de l'orientation.

  Elle se redressa, s'étira, puis repéra un magnifique balcon de marbre finement sculpté dans la pièce suivante. Elle s'avança, ouvrit les fenêtres gigantesques, puis s'adossa sur la balustrade splendide, également de marbre, afin de soupirer. Il s'agissait du grand balcon de la façade. Il se situait au premier étage. De là où elle était, elle dominait les jardins devant le palais.

Les jardins étaient minuscules, et il faut bien le dire, pas très beau. En même temps, ils étaient dans une petite ville. Il était évident qu'on allait pas se retrouver avec le jardin des Tuileries. Enfin, n'empêche... Les végétaux avaient tout de même bien le droit d'être mieux traités. Des orangers taillés à outrance étaient plantés le long des bord des pelouses, et des fleurs leur tenaient compagnie. Il y avait aussi des statues, grises et froides. Et une fontaine, où les pigeons allaient boire.

Lorsque toutes les salles d'expositions du palais étaient réservées, le jardin servait de musée. Ainsi, au fil des années, lorsque Mazarine se promenait là, tantôt il y avait des cagettes représentant des jardins miniatures, fabriquées par les écoles pour la ville, tantôt il y avait des bottes de foin...

A noël, la décoration était absolument hideuse ; le jardin s'ornait d'un gigantesque sapin décoré avec excès, et des manèges aux couleurs criardes invitaient les enfants à s'y divertir. Pour compléter le tout, d'horribles poupées de la taille d'un adulte parsemaient les pelouses. Certaines étaient dotées de têtes mécaniques, et s'était toujours une mauvaise surprise de se découvrir fixé par l'un des automates au moment où l'on ne s'y attendait pas.

Pour la fête des citrons, afin de juguler les vagues de touriste, des barrières étaient montées tout autour des jardins. C'était très désagréable pour les habitants de la petite ville ; il fallait dès lors contourner le tout, ce qui prenait du temps. De plus, Mazarine trouvait stupide de faire des statues avec des agrumes. Des milliers de gens mouraient de faim dans le monde ; à quoi bon empirer la situation en gaspillant ainsi la nourriture, au lieu de les leurs donner ? Certes, ce n'étaient pas des oranges et des mandarines qui sauveraient le monde de la famine, mais cela améliorait grandement les repas...

  - Zaza, par ici !

  - Quoi ? fit celle-ci en sursautant, et en s'extirpant de ses rêveries. Qui m'appelle ?

  - C'est nous, Solveig, Paul, les autres et le clochard !

  La violoniste se pencha. En effet, juste au dessous du balcon, Solveig et Vivie s'agitaient comme des puces, pendant que les autres entouraient le clochard. Celui-ci paraissait extrêmement fatigué. Etrange... Quand la jeune fille brune l'avait quitté, elle ne se souvenait pas qu'il soit aussi épuisé...

Elle aurait aimé demander des détails sur son état, mais préféra attendre de les retrouver pour assouvir sa curiosité. A la place, elle se borna à demander :

  - Vous avez retrouvé Pierre ?

  - Oui, alors arrête de jouer à Juliette sur son balcon, et viens vite nous rejoindre ! On n'attend plus que toi.

  La jeune fille ne se le fit pas répéter deux fois : elle courut à l'escalier de marbre principal, le dévala, puis sortit comme un coup de vent en poussant les deux portes vitrées. Elle déboula dans les jardins, qui étaient tellement petits qu'elle repéra ses amis en quelques secondes. Elle les interrogea :

  - Comment allez-vous ? Que faites-vous là ? Que s'est-il passé ?

  - Et bien, on a très bien entendu Pierre hurler, heureusement d'ailleurs, parce que sinon, on était mal barrés, l'informa aimablement Paul.

  - On l'a aussi vite retrouvé. Il tremblait de tous les membres de son corps.

  - Et c'est encore le cas ! signala celui-ci, recroquevillé sur un banc.

  - Après, continua le grand frère de Virginie, on a décidé de t'attendre dans le jardin. C'était ce qui était décidé, et ça ne servait à rien de se perdre pour te retrouver.

  - C'est drôlement gentil, ricana Mazarine.

  - Désolé, tu m'as mal compris. Ce que je voulais dire, c'est que, si on se perdait tous, on serait tombé de Charybde en Scylla...

  - T'en fais pas, j'avais compris. On a aussi eu de la chance de ne pas croiser le policier, et encore moins le gardien ! Il avait l'air vraiment zélé.

- Ah, ça, oui ! J'ai jamais vu quelqu'un qui paraissait aussi déterminé à coffrer des gens qui lui avaient rien fait.

- Sinon, comment va notre clochard ?

  - Pas très bien, j'en ai peur, grimaça Virginie d'un air inquiet en se mordant les lèvres. Au départ, quand on l'a rencontré, il avait l'air soul. Maintenant, il a l'air plus lucide sauf que son état ne cesse de se détériorer... Je crois qu'on devrait se dépêcher d'appeler une ambulance, où je sais pas quoi...

  Mazarine se tourna vers le banc où le clochard barbu, allongé, gémissait. A le voir, elle avait l'impression que, depuis qu'elle l'avait quitté, ce n'était pas un quart d'heure qui s'était écoulé, mais un demi-siècle. Il parlait seul, d'un air douloureux, et de profondes rides qu'elle n'avait pas remarqué auparavant creusaient son front, ses joues et le coin de ses yeux. Des cernes mauves marquaient le dessous de ses yeux, qui peinaient d'ailleurs à rester ouverts.

  La violoniste se pencha délicatement à côté de lui, et chuchota à son oreille :

  - Monsieur, que vouliez-vous nous dire ?

  - Appelez... M-m-moi... Léo...pold, Lan...d-d-dart...

  - Bien, Léopold. Que vouliez-vous nous dire ?

  - Brunhild Wo...tan, un... un d-d-danger v-v-vous guet-t-te...

  - Comment ça ? Qu'y a t-il a propos d'Hild ?

  - Hild ? Ai... Aidez...

  - Il faut aider Hild ?

  - Non ! Elle...

  - Hep ! Les jeunes !

  Les interpellés se relevèrent d'un coup, comme pris en faute. A l'exception de Pierre qui, pelotonné sur son banc, continuait à gémir sur ses jambes flageolantes. Il s'agissait de deux hommes sortis d'une voiture. Ils s'approchèrent, détaillèrent la scène, puis s'exclamèrent :

  - Ben, tiens ! Un voilà un qui va mal ! Vous l'avez pas manqué, celui-là ! Quoi c'est-y passé ?

  - Aidez-nous, s'il vous plaît ! supplia Solveig en sautant comme une puce. Il va mourir, il faut faire quelque chose !

  - Ou-u-uais les mômes... Qu'est-ce qu'on va faire ?

  - Il faudrait... J'sais pas, moi, appeler les pompiers, les secours, se hasarda Virginie, hagarde, en ayant du mal à aligner ses pensées.

  - Non ! s'écrièrent les deux inconnus en esquissant un geste, comme pour l'en empêcher. Non, le mieux, c'est que vous alliez prévenir la police, pendant que nous surveillons ce clochard. Vous êtes d'accord ?

  - Oui, répondit Mazarine après s'être humectée les lèvres, et qui tremblait autant que Pierre à l'exposition sur les orchidées. Bon, je crois qu'on va y aller. Pierre, tu viens ? Tu vas arriver à marcher ?

  Le jeune homme se redressa prudemment, regardant le clochard qui respirait à présent avec difficulté. Il demanda d'une voix hésitante :

  - Il... Il est toujours pas mort ?

  - Non, pas encore, répondirent les inconnus. Bon, allez chercher la police. Vous devriez vous dépêcher, on ne sait jamais !

  - Vous avez raison. Au revoir, messieurs, dit Paul en entraînant ses amis vers le commissariat. Allons-y, nous autre, dit-il à l'intention de ses compagnons.

  Le petit groupe se dirigea dans les ruelles, guères animées. Mais, trois rues plus tard, Mazarine arrêta tout le monde.

  - Inutile d'aller plus loin.

  - Pourquoi ? demanda Pierre. Qu'est-ce qu'il y a encore ? De toute façon, j'avais pas envie d'aller jusque là-bas. C'est trop loin à mon goût.

  - Que veux tu dire, Zaza ? interrogea Virginie, inquiète.

  - Je suis certaine que ces hommes sont les personnes qui ont enlevé Achille. Ils viennent de commettre un nouvel enlèvement...

  - Tu veux dire qu'ils viennent de kidnapper le clochard ! s'écria Solveig.

- Oui...

- Mais Pourquoi tu nous as laissé partir au commissariat ? On aurait dû leur régler leur compte, à ces énergumènes !

  - Cela n'aurait servi à rien. Attends, tu as vu ces colosses ? Si on s'était opposé à eux, ils auraient... Ils auraient pu nous emmener, tous ! Vous imaginez ? On ne joue pas avec des gens inoffensifs, ils sont dangereux ! On risque notre vie !

  - Finalement, tu as bien fait de nous faire partir, approuva Paul. C'était peut-être pas très bien, mais c'est la meilleure solution. Mais maintenant, je pense qu'on peut rentrer. Il ne devrait plus y avoir de danger.

  - Mais, dit Virginie, ils vont se douter de quelque chose, si on revient sans la police !

  - T'en fais pas, répondit Mazarine. Ils ne vont pas prendre le risque de nous attendre ! Ils vont s'enfuir dans la nature sans laisser de trace. Donc nous pouvons rentrer au palais de l'Europe, c'est tout ce qu'il y a de mieux à faire pour l'instant.

  - Mais... dit Solveig. Et Léopold Landart ? On ne pouvait pas faire quelque chose pour lui avant de partir ?

  - Non, dit Paul. Je crois que Mazarine a raison. C'était la meilleure façon de s'en tirer, la moins dangereuse.

  - En tous cas, dit la violoniste, nous savons une chose pour notre affaire. Apparemment, l'étau se resserre autour de Brunhild Wotan.

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