Un Trou dans le grillage

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Avec des cris de curiosité, Virginie et son grand-frère supplièrent leur invitée de raconter, dans quelles étranges circonstances, elle avait été amenée à ne pas réveiller Paul. Mazarine narra alors ses aventures nocturnes avec maints détails. En même temps, ils prirent leur petit-déjeuner. Quand la jeune fille brune eut fini de raconter son récit mouvementé, elle demanda :

- Dites, ça vous arrive souvent, d'entendre des cris pareils, la nuit ? Si je n'étais pas avec vous, je regretterais de ne pas être avec mon grand-père, ça faisait vraiment peur ! En plus, il faisait complètement noir, je n'arrivais même plus à bouger... Et je crois que je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie !

- Non, répondit Virginie, ébahie. Je n'ai encore jamais entendu parler de voisin faisant des sacrifices la nuit. Mais laisse-moi deviner : tes cris venaient de chez Brunhild Wotan.

- Oui. Du moins, j'en avais l'impression.

- Bon, déclara Paul, voici ce que je propose : je vais faire ma toilette, pendant ce temps, les filles, vous surveillez la voisine et vous débarrassez le petit-déjeuner, ensuite ce sera à ton tour de te laver, Vivie. On passe un coup de fil à papa et maman pour les rassurer, et après on fait le programme de la journée. D'accord, ça marche ?

- Oui, confirma sa petite soeur, avant de promener un regard rêveur autour d'elle. Heureusement qu'on ne fait pas de visioconférence, ajouta-t-elle.

Paul alla se laver. Mazarine reprenait son poste d'observation sur la bergère tandis que Virginie descendait les restes. Après, elle tenta de mette un peu d'ordre dans sa chambre. Puis la danseuse échangea avec son frère. Ensuite, ils appelèrent leurs parents, pendant que Mazarine faisait de même dans une autre pièce. Enfin, quand ils eurent fini, Paul, qui regardait par la fenêtre, cria soudain :

- J'ai une idée ! Mazarine, et si tu allais rendre visite à Mlle Wotan ?

- Heu, si tu veux, mais pour quoi faire ? Et vous, vous allez faire quoi, pendant ce temps ?

- Tu vas l'occuper, pendant que Vivie et moi, on va faire un trou. Tu vas faire, comme qui dirait, une diversion !

- Hein ? s'étrangla sa petite soeur. Comment ça ?

- Le grillage qui sépare nos jardin, tu sais ?

- Oui, et ?

- Il faudrait que, si Mlle Wotan sorte et aille se promener, nous puissions entrer chez elle...

- Quoi ? s'indigna Mazarine. Tu veux entrer par effraction chez Hild ? Mais tu n'as pas honte ! Entrer comme un voleur chez une pauvre petite vieille ! Et si la police arrive, on fait quoi, hein ?

- Du calme, Zaza. Je n'ai jamais dit que je voulais cambrioler ta petite vieille, comme tu dis. Mais imagine qu'elle soit le personnage immonde qui ait enlevé Achille... Tu ne voudrais pas qu'on fasse quelque chose pour le tirer de là ?

- Si, mais...

- Alors voilà pourquoi il faut qu'on fasse un trou dans le grillage et qu'on visite sa maison : pour voir si personne n'y est séquestré !

- Bah, marmonna pensivement Mazarine. C'est vrai que ce n'est pas comme si on était des cambrioleurs, vu qu'on ne prendra rien...

- Vous voyez ? Il n'y a aucun risque.

- D'accord, accorda prudemment la violoniste. Je veux bien faire diversion, mais... Si Hild arrive dans le jardin pendant que vous y êtes, comment je vais vous prévenir ?

- Ben, je sais pas, moi... Siffle, peut-être... Tu sais siffler ?

- Oui.

- Alors voilà ! Si jamais Mlle Wotan part mettre son nez dans nos affaires, tu siffles, et on se cache ! D'accord ? On tope ?

D'un air d'un air de conspirateur, Paul tendit sa main. Virginie topa immédiatement dedans. Ils regardèrent Mazarine qui, après quelques secondes de réflexion, topa également.

- Oh, bonjour, ma petite Mazarine ! s'écria Hild, quelques minutes plus tard, en voyant sa jeune amie arriver. Que fais-tu là ? Ce n'est pas le jour habituel !

- En ce moment, ce sont les vacances de la Toussaint, Hild, expliqua la violoniste. Donc je me suis permis de vous faire une petite visite surprise !

- Ha, oui ? C'est très gentil ! Justement, je voulais te montrer quelque chose... Veux tu venir dans le jardin ?

- Non, surtout pas ! s'écria spontanément la jeune fille, sachant que ses amis allaient y faire un trou.

- Tu es sûre ? Viens voir les roses, comme elles sont belles ! Si tu savais comme j'en suis fière !

Voyant qu'elle n'arriverait pas à empêcher Hild d'aller dans le jardin, la jeune fille se mit à siffler le plus fort possible. La vieille dame, interloquée, se retourna subitement.

- Que fais-tu, Mazarine ?

La jeune fille maudit ses amis d'avoir choisi de siffler pour les prévenir. Mais il fallait qu'elle réponde quelque chose à Brunhild... Se sentant très bête, l'adolescente brune brailla :

- Je sifflais !

Comme ça, si ses amis ne l'avait pas entendue siffler, ils l'entendraient sûrement crier et comprendraient qu'elles arrivaient. Cependant, Mlle Wotan allait la prendre pour une idiote finie. Tant pis... Au moins, tous les dangers étaient écartés. Mais la fine jeune fille brune n'en menait tout de même pas large en pénétrant à la suite de la vieille dame dans le jardin.

Mais elle fut rapidement rassurée. En arrivant dedans, elle remarqua qu'il ressemblait tellement à une jungle qu'il n'y avait aucune chance qu'on ne remarque un trou dans la clôture. Paul et Virginie avaient disparu, mais cela n'empêchait pas la jeune fille de fixer le grillage.

- Vos trous... heu, vos roses sont magnifiques, Hild, complimenta Mazarine sans le lâcher des yeux.

- Merci, mais tu regardes dans la mauvaise direction. Les roses, elles sont là-bas. Allons, calme toi ! Tu as l'air si nerveuse ! Que regardes-tu ? La barrière ? Qu'a-t-elle donc ? Elle a un problème ? Mais enfin, elle ne va pas te manger !

Elles ne tardèrent pas à rentrer dans la maison, pour le grand soulagement de Mazarine qui ruisselait de sueurs froides. Une fois dans le salon, les deux amies discutèrent de tout et n'importe quoi. Mais, environ une heure plus tard, Brunhild se leva brusquement et tendit l'oreille.

- Que faites-vous, Hild ? demanda Mazarine, en recommençant à s'inquiéter.

- N'aurais-tu rien entendu ?

- Non, s'empressa de répondre la violoniste, s'efforçant de garder un masque innocent et d'étouffer les battements de son coeur.

- Tu es vraiment sûre ? Ecoute donc avec attention.

Pendant quelques secondes, toutes deux cessèrent de parler. Par chance, si la fratrie avait du bruit auparavant, elle avait cessé. Et au bout de quelques secondes, Hild lâcha, songeuse :

- J'aurais pourtant juré que...

A cet instant là, elles entendirent très clairement un claquement sec, semblable au bruit que ferait une pince coupant un fil de fer. Le bruit fut suivi de plusieurs jurons. Mlle Wotan se leva d'un bond et se dirigea vers le jardin, sans un regard pour son invitée.

Dès qu'elle fut hors de vue, Mazarine sauta de son fauteuil et s'approcha de la fenêtre. La vieille dame s'avançait lentement dans le jardin, sans doute pour faire le moins de bruit possible. La jeune fille ouvrit aussitôt la fenêtre et siffla de toutes ses forces. Mais aucun son ne s'échappait de ses lèvres sèches. Maudissant le temps qu'elle perdait, elle s'humecta les lèvres, refit une nouvelle tentative infructueuse, recommença puis enfin, un son tremblant sortit de sa bouche. Mais il était si faible ! L'avait-on entendue ? Et était-ce suffisamment tôt ? Et si Mlle Wotan avait déjà surpris Paul et Virginie ?

Des bruits de pas la firent retourner à sa place. Elle fit bien. Au même instant, Brunhild Wotan, menaçante et sombre, entra et s'assit dans son fauteuil d'un air grave. En voyant son air lugubre, Mazarine sentit son sang ne faire qu'un tour. La vieille dame avait découvert le pot aux roses !

- Hild, commença-t-elle d'une voix tremblante, je vais tout vous expliquer...

- Inutile. C'est tout vu. Et ces petits imbéciles vont le payer cher.

- S'il vous plaît, ce n'est pas grand-chose, tout de même...

- Je déteste qu'on interrompe mes conversations.

- Certes, mais ce n'est qu'un trou qui... Pardon ? Que disiez-vous ?

- Que je détestais qu'on interrompes mes conversations. En effet, cela ne fait qu'un trou dedans, mais c'est insupportable, après, de retrouver le sujet dont on parlait. Tu ne trouves pas ?

- Mais... Vous... vous n'avez pas vu...

- Vu quoi ?

- Non, rien. Heu, de quels petits imbéciles vous parliez ?

- Des rats !

- Des rats ?

- Des rats !

- C'est vrai ?

- Mais oui !

- Mais, quels rats !

- Ben, tu sais, les rongeurs...

La violoniste soupira. Elle se laissa tomber contre le dossier de son fauteuil, soulagée. Ils avaient eu chaud, très chaud ! Sans compter qu'à cause d'elle et d'un malentendu, tout leur plan avait failli tomber à l'eau ! Ils avaient vraiment frôlé la catastrophe !

En jugulant les battements de son coeur, elle demanda d'un air détaché :

- Ah... Heu, oui, c'est vrai que c'est énervant, Hild. Que me disiez-vous, à propos de vos affaires, d'ailleurs ?

- Avant qu'on soit interrompues ? Que j'allais être occupée, ces temps prochains, et qu'il valait mieux que je te préviennes pour que tu saches quand venir. Car si tu venais à l'improviste, comme là, ça risquait d'être embêtant... Là, on a eu de la chance, je n'avais rien de prévu, mais si jamais...

- Bien, j'ai compris. Oh la la ! minauda Mazarine, pressée de partir. Il est tard, il faut que je rentre ! Mes parents détestent que je sois en retard au déjeuner !

- Ah ? Et bien, au revoir, alors... Surtout, n'oublies pas : la prochaine fois que tu pourras venir, je te préviendrai !

- Oui, bien sûr. A la prochaine fois !

Quelques minutes plus tard, Mazarine rentra chez les Janviers. Elle aida ses amis à préparer le repas. En même temps, elle raconta sa matinée chez Brunhild Wotan.

- Il y a eu deux moments où j'ai eu très peur : le premier, c'est quand je suis arrivée, et qu'Hild tenait absolument à me montrer ses fleurs. Je me suis mis à crachoté en tentant de siffler, je suis certaine que Brunhild m'a crue folle !

- On t'a entendu dire très fort que tu sifflais. Tu as bien fait, la première fois, on avait cru que quelqu'un s'étouffait.

- Mais la deuxième fois, critiqua la violoniste, c'est vous qu'on a très bien entendu. Surtout vos gros mots.

- Désolé, grogna Paul. J'avais surestimé la force de ma petite soeur : je lui avais demandé de tenir un instant la pince, afin que je puisse refaire mes lacets, sauf que c'était trop lourd pour elle et qu'elle a tout fait tomber sur mon autre pied.

- Oui, bon, ça va, hein... Et sinon ? questionna Virginie, guère captivée par les problèmes de son frère. Que c'est-il passé, ensuite ?

- Hild m'a dit que je n'aurai plus le droit de revenir à l'improviste. Elle m'a aussi dit qu'elle me préviendrait la prochaine fois qu'elle voudrait me voir. Mais, surtout, elle a fait une remarque bizarre, à propos des rats...

- Des rats ? Tu es sûre ? s'étonna la danseuse.

- Oui. c'est bizarre, hein ?

- Très, confirma pensivement Paul. Elle parlait de quoi, à ton avis, Zaza ?

- J'ai l'air de savoir ?

- Non, reconnut Paul. Bon, bah, heureusement qu'on a le trou ; comme ça, la prochaine que Brunhild part, on pourra soit la filer, soit vérifier qu'elle n'emprisonne personne.

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