Filature Interrompue

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  Mazarine et Pierre coururent jusqu'à la maison des Janviers. L'endroit leur semblait sûr, tel un univers totalement différent de la propriété voisine. Presque, c'était un paradis en comparaison de la maison s'élevant de l'autre côté du grillage. Une oasis à côté du désert hostile qu'était le Gîte de Mûschika. Ils ouvrirent la porte du logis si rassurant à la volée. De l'autre côté, Paul et Virginie les attendaient, anxieux.

  - Comment ça va ? On a eu très peur pour vous !

  - Était horrible, haleta Pierre, n'ayant même plus la force de faire des phrases correctes. Plus jamais... Là-bas... Aller... Mettre les pieds... Jamais !

  - Vous en faites, une tête ! s'exclama Virginie, quant à elle radieuse. Vous ne voudriez pas nous raconter ?

  Lorsque Mazarine et Pierre eurent fini de narrer leurs aventures, Paul expliqua que, lors de sa filature, Brunhild n'avait pas tardé à l'aborder. Elle lui avait demandé ce qu'il cherchait. Il avait donc inventé une lamentable histoire de comédien ayant oublié où se trouvait le théâtre. C'était la première idée qui lui était venue à l'esprit.

A son grand soulagement, Hild avait semblé le croire. L'ennui était qu'elle lui avait indiqué la direction du théâtre, et qu'il n'avait plus réussi la suivre. Virginie, quant à elle, avait passé son après-midi à somnoler dans sa bergère.

  - Si vous saviez comme je me suis ennuyée ! se plaignit-elle. Au moins, vous, vous avez eu de l'action ! Vous ne vous êtes pas ennuyés ! Vous avez découvert des trucs ! Moi, j'ai passé mon temps à poireauter sans savoir ce que vous fabriquiez... J'aurais tellement aimé être avec vous !

  - On échange quand tu veux, rétorqua Pierre, qui ne cessait pas de frissonner.

  - Bon, les interrompit Paul. Maintenant, nous savons que cela ne servira plus à rien de faire des recherches chez Mlle Wotan. Les rats seront là pour faire le guet. Pour les fouilles, il faudra que Mazarine en profite lorsqu'elle sera chez la vieille. Par contre, il faudra qu'on la file : la prochaine fois, on aura peut-être plus de chance.

  - Zaza, s'inquiéta Virginie soudainement, qui était restée méditative. Tu crois que Brunhild t'a reconnue ?

  - Aucune idée. A mon avis, on le saura la prochaine fois qu'elle m'invitera.

  - Tu crois vraiment qu'elle va te réinviter si elle te soupçonne ?

  - Oui, j'en ai bien peur.

- Pourquoi tu en as peur ?

- Une invitation est plus discrète qu'un enlèvement... Vous ne trouvez pas ?

  - C'est vrai, je n'y avais pas pensé ! s'exclama Pierre.

  - Mais, elle sait bien que quelqu'un va se rendre compte qu'il y a un problème, si tu disparais, objecta Virginie.

  - Comme avec Achille. L'enquête piétinera, et personne ne songera à chercher chez une vieille dame d'apparence innocente. Et ne parlons même pas de Léopold Landart. C'est un clochard. Il était sûrement seul, personne ne doit s'inquiéter de sa disparition.

  - Mais... Alors, comment on va faire, si elle t'invite ?

  - Elle ne m'a pas encore invitée, alors on prendra le temps de peaufiner un plan en attendant.

- C'est à dire ?

- Ben, si elle veut me réinviter, il faudra peut-être qu'on prévoie des trucs pour se défendre, au cas où elle se montrerait à nouveau aggressive.

- Oui, tu n'as pas tort, convint Paul. Mais on aura tout notre temps pour préparer un plan ; elle nous avait justement dit ce matin qu'elle serait occupée.

- Qu'est-ce qu'elle peut faire, à votre avis ? interrogea Virginie, pensive, en posant son menton dans sa main.

- Si on le savait, on n'en serait pas là, grogna son grand-frère.

Un ange passa. Chacun méditait, conjecturant des hypothèses sur les occupations de Brunhild Wotan. Ou alors, ils réfléchissaient à une éventuelle défense. Tout à coup, Pierre s'étira et se leva du canapé.

  - Si on en a fini pour la journée, déclara-t-il, je crois que je vais rentrer chez moi. Mes parents risquent de s'inquiéter, si je rentre trop tard.

  - Mais, ils ne risquent pas de trouver anormal, que tu rentre dans un état pareil ? s'intrigua Mazarine.

  - Pas de risque, ils ont l'habitude. Au pire, je leur dirais qu'on a fait la fête et qu'on a regardé des films d'horreur.

  Pierre partit. Les autres trouvèrent qu'il n'y avait plus qu'à attendre que Brunhild ne ressorte, pour "L'Affaire BW". Ils ne pouvaient pas faire grand-chose d'autre. Heureusement, l'occasion d'une nouvelle filature arriva dès le lendemain matin. En effet, la voisine s'apprêtait manifestement à sortir.

Ils se préparèrent donc rapidement à aller dehors pour suivre Brunhild Wotan. Cette fois-ci, ce fut au tour de Paul de faire le guet. Mazarine et Virginie, quant à elles, se préparèrent à la filature.

Elles mirent simplement des lunettes de soleil. Avec, quelqu'un qui les connaissait bien risquait de les reconnaitre sans problème. Mais Brunhild ne devrait normalement pas les remarquer. Elle ne verrait sans doute que des adolescentes qui lui étaient inconnues.

Mais cela ne suffisait pas à Paul, anxieux. Il les scruta d'un regard inquisiteur, tout en maugréant :

- Mouais, c'est limite, quand même... Vous croyez vraiment qu'avec rien que ça, la vieille folle ne vous démasquera pas ?

- Je pense pas, répondit sa petite soeur, insouciante, en haussant les épaules. Et puis, quand on met des lunettes de soleil, ça nous vieillit d'au moins dix ans !

Mais Paul n'était pas convaincu. Il continua :

- Même... Vous devriez peut-être essayer un autre style vestimentaire... Ou alors, mettez des perruques... Je vous assure, ça peut changer complètement une personne...

- Et tu crois qu'elle veut voir quoi, Brunhild, dans la rue ? le coupa Virginie. Deux sacs à patate ?

  A cours d'argument, Paul rendit les armes. Enfin, les deux jeunes filles sortirent à la suite de la vieille dame - qui inspirait maintenant du dégoût à Mazarine. Elles la suivirent à environ une vingtaine de mètre de distance. Les amies commencèrent par avancer prudemment. Mais tout allait bien, Brunhild ne les avait même pas remarquées. Perdue dans ses pensées, la vieille dame cheminait tranquillement, aveugle au monde extérieur.

Elles osèrent alors s'approcher d'un peu plus près. Cette fois-ci, les amis n'avaient pas proposé à Pierre de venir. En revanche, ils lui avaient promis de le tenir au courant. Ils avaient aussi abandonné les talkies walkies. En effet, si l'un de ces appareils se mettait à transmettre son message au milieu de la rue, cela n'allait pas arranger leurs affaires. A la place, ils avaient décidé de s'envoyer des messages. Cela allait d'autant plus parfaire le déguisement des jeunes filles, qu'ils avaient l'habitude de voir des gens de leur âge se déplacer collés à leurs mobiles.

  Après avoir marché une dizaine de minutes, la vieille dame et ses poursuivantes atteignirent le marché central. Apparemment, Brunhild Wotan allait faire ses courses. Les deux jeunes filles se félicitaient en s'envoyant des messages : la vieille dame semblait n'avoir toujours rien remarqué. Mais alors qu'elle entrait dans le grand bâtiment, il se passa quelque chose d'horrible. Un groupe de collégiens s'approcha des deux jeunes filles. Mazarine reconnut avec effroi Xavier, Priscilla, Théa et les autres imbéciles qui peuplaient le collège.

Les deux jeunes filles se trouvèrent encerclées avant d'avoir eu le temps de dire ouf.

  - Mazarine, t'as pas une clope ? brailla Xavier.

  L'intéressée, furieuse de voir les membres de sa classe, s'apprêtait à les repousser et à les ignorer, comme ce qu'elle faisait d'habitude. Elle allait reprendre la surveillance de Mlle Wotan, sauf que les nouveaux venus ne l'entendaient pas de cette oreille.

  - Eh, pas si vite ! ricana Priscilla. Vous faites quoi, là ?

  - Dégagez, vous nous soûlez ! lança Virginie, sans s'encombrer de gants - comme à son habitude.

  La violoniste, quant à elle, se mordit la lèvre. Si son amie s'y mettait, cela ne risquait pas d'arranger la situation ! Elle tenta de calmer la jeune fille blonde.

  - T'en fais pas, Vivie, ce sont juste les imbé... Les énergumènes de ma classe. Tu sais, je t'en avais déjà parlé...

  - Ah, oui, c'est vrai, répliqua la danseuse, néanmoins bien décidée à ne pas lâcher l'affaire.

  - C'est vrai ? s'enquit Rob, curieux. Mazarine t'a parlé de nous ? Elle disait quoi, de nous ?

  - Que votre place était dans un zoo ! cracha son interlocutrice aux cheveux de blés, sans état d'âme.

  - Vivie, t'es folle ! s'affola la violoniste, complètement paniquée. Je n'ai jamais dit ça !

  - T'es qui, toi ? demanda Théa, en se plantant devant Virginie. T'as pas bientôt fini de nous prendre pour des crétins ?

  - Désolée, rétorqua la danseuse en s'inclinant narquoisement devant elle. C'est la première chose qui vient à l'esprit, quand on vous regarde...

  - Vivie ! Tais-toi, fiche le camp ! s'étrangla Mazarine. On va mourir !

  - Bande de crétins ! s'égosillait cependant la belliqueuse danseuse. Je vous conseille de dégager, j'ai pas que ça à faire ! Je sais pas vous, mais moi, j'ai du boulot, j'ai du pain sur la planche ! Alors fichez moi le camp, et plus vite que ça ! Non mais !

  - Vivie, zut ! Je ne vois plus Hild, elle en a profité pour s'enfuir !

  - Quoi ! Je rêve ! Vous avez entendu, les zouaves ? On a perdu la trace de Brunhild Wotan, à cause de vous ! Vous vous sentez malins, j'espère, espèces de sales clowns ! Si Achille et Léopold meurent, espèce de gros dégoûtants, ce sera de votre faute ! Allez, viens, Zaza. On a un milliard de choses à faire, on ne va pas gaspiller notre temps ici. Surtout si on doit rester avec ce troupeau de porcs !

  Impériale, elle partit la tête haute sans plus accorder une seconde de plus au "troupeau de porcs". "Les sales gros clowns" s'écartant d'eux même de la danseuse, hébétés, Mazarine n'eut qu'à se glisser dans sillage de son amie pour s'éloigner le plus vite possible de "la bande de crétins".

  Les deux filles rentrèrent rapidement au 5, allée des Hespérides. Virginie était toujours d'humeur massacrante. Paul s'étonna de les voir déjà rentrer. Pierre, qui ne supportait pas l'attente, était aussi là. Sa présence surprit les deux filles. Mais en les voyant, il demanda :

  - Ben, Vivie, Zaza, que faites-vous là ? Nous n'avons pas vu Mlle Wotan rentrer !

  - Notre enquête a été compromise par les imbéciles qui peuplent la classe de Zaza ! fulmina sa petite soeur. Ah, franchement, ma pauvre Zaza, je te plains de côtoyer des andouilles pareilles !

  - Ce n'est pas grave, répondit la violoniste. Nous n'aurons qu'à recommencer la prochaine fois.

  - Vous pourriez être plus explicites ? réclama Paul, complètement perdu.

  - En fait, expliqua la danseuse, on a vu Brunhild Wotan entrer dans le marché central. On allait la suivre, sauf que des élèves de la classe de Mazarine était là, ils ont commencé à nous embêter. Le temps qu'on s'en débarrasse, la vieille avait pris la poudre d'escampette.

  - Dites, demanda pensivement Paul, après qu'un ange soit passé. Vous ne trouvez pas qu'à chaque fois que nous essayons de filer Mlle Wotan, il y a problème ?

  - Oui. Mais, à mon avis, quand c'était toi qui l'avais filé, répondit Pierre, elle se sentait trop surveillée. Alors que là, je ne vois vraiment pas la classe de Zaza trafiquer avec Brunhild Wotan afin de kidnapper leur star...

  - Oui, c'était de la malchance, approuva Virginie.

Mazarine réfléchit, puis déclara après avoir longuement médité :

- Il faudrait que, la prochaine fois, nous ne soyons pas dans une situation qui nous permette d'être facilement abordé. Comme ça, nos enquêtes seraient beaucoup plus efficaces.

  - J'ai une idée ! hurla Paul. Je vais arranger ça !

  Il courut s'enfermer dans sa chambre, et se mit à téléphoner.

  - Qu'est-ce qu'il va faire ? demanda Virginie.

  Mais ni Mazarine, ni Pierre, n'avait de réponse à la question qu'elle posait.

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