Mise au point

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  Au bout d'une heure, Paul sortit enfin de sa chambre. Il était temps : Pierre allait enfiler son manteau et partir. Au cours de l'heure écoulée, lui et les deux filles avaient formulés des hypothèses sur l'identité de l'interlocuteur de Paul. Mais ce fut sans succès. Personne ne voyait à qui le jeune homme blond pouvait demander de l'aide. Heureusement, celui-ci consentit à éclairer leur lanterne.

  - Vous savez, jusque-là, nous n'avons pas eu de chance avec les filatures. On se faisait toujours aborder au bout de vingt minutes. Donc, je me suis dit : comment faire pour ne pas être embêté par ce problème ?

  - Laisse-moi deviner, répondit Pierre. Tu vas louer un drone pour suivre la vieille à distance ?

  - Euh, non, quand même pas. En fait, Vivie, tu te souviens de Hubert Bourdeaux ?

  - Non, je ne... Ah, si, je m'en souviens ! De temps en temps, tu l'invites à jouer aux jeux vidéos, car il est en pensionnat au lycée et qu'il s'ennuie.

  - Ouais. Donc son frère Charles a vingt-trois ans, et il a passé un concours pour décrocher un nouveau boulot. Il l'a eu donc ses parents lui ont offert une récompense : une voiture.

  - Et tu veux que, la prochaine fois, on suive Brunhild en voiture ? s'ébahit Virginie.

Son grand-frère confirma sa supposition d'un signe de tête.

  - Mais... Ils ont accepté de te la prêter ? enchaîna Mazarine, incrédule.

  - Faut pas exagérer, non plus ! Non, quand même pas ! Je leur ai demandé s'ils voulaient bien faire nos chauffeurs, afin qu'on puisse suivre Mlle Wotan en voiture : comme ça, aucun risque d'être abordé par des badauds ! D'ailleurs, j'ai fait un appel d'une heure pour les convaincre, ils avaient trop peur que ça tourne au vinaigre.

  - Je les comprend, marmonna Pierre.

  - Je les ai invité pour après demain. Comme ça, on pourra décider de comment on fera la filature, et de qui on emmènera...

  Comme tout semblait avoir été dit, Pierre prit congé en promettant de revenir demain avec Solveig. En effet, celle-ci venait de rentrer de son séjour. Pendant ce temps, Mazarine mit la main à la pâte pour cuisiner le déjeuner, tandis que Paul et Virginie commençaient le ménage. Ils ne firent rien d'autre de la journée pour l'affaire "BW".

  Le lendemain, Pierre et Solveig arrivèrent de bonne heure. Tellement tôt, d'ailleurs, que lorsqu'ils sonnèrent, Mazarine, Paul et Virginie dormaient encore. Après avoir fait un brin de toilette, les trois paresseux commencèrent à discuter avec les deux visiteurs.

  Solveig était ravie de revoir ses amis. Les retrouvailles faites, ils s'attelèrent à un premier problème : que faire lorsque Mlle Wotan invitera la violoniste ?

  - Tu devrais peut-être refuser, avança prudemment Pierre.

  - Non, contra Virginie. Ce serait la pire chose à faire, car Brunhild saura que Zaza se méfie.

  - Pas si tu sors un problème médical, s'entêta Pierre. Je sais pas, dis que tu es malade, ou fait semblant de t'être cassé la jambe. Ou casse la pour de bon.

  - Quand même pas, reprocha Paul. Et imagine ce que diront ses parents, si leur fille se retrouve à l'hôpital. Ils traiteront les miens d'incapables, se rendront compte qu'en fait, ils sont même pas là, et ça virera à la catastrophe. Non, il ne faut pas refuser l'invitation. Tu seras obligée d'y aller, et tu devras te débrouiller pour tenter de trouver Achille.

  - Cela ne va pas être facile, grimaça la violoniste. Déjà qu'en temps normal, c'est Hild qui mène la conversation, ne comptez pas sur moi pour la forcer à dévoiler ses secrets.

  - Au lieu de parler attaque, intervint Solveig, parlons défense. Moi, ce qui me fait surtout peur, c'est que Zaza va être face à une vieille dame pas si fragile et dangereuse. Il faudra qu'elle puisse se protéger. Là, je parle d'objets pouvant lui permettre de se défendre. Encore une fois, ce ne sera pas non plus de manière à ce qu'elle puisse se battre éternellement. Ce serait impossible, surtout si les rats s'y mettent. Mais il faudrait quelque chose qui lui permette de se protéger, le temps qu'elle nous envoie un message d'alerte.

  - Laisse-moi récapituler, réclama la violoniste. Tu veux que, si je me sente agressée, je vous envoie un message par téléphone avant de donner par exemple des coups de couteaux à Hild, le temps que vous rappliquiez ? Désolée, mais ça ne va jamais marcher. D'abord, je serais incapable de me battre, physiquement et moralement. Je ne suis pas un assassin. Et ensuite parce que, si jamais je donnais un coup de poing, je me ferais surtout mal à la main. Et pour mon adversaire, je pense que ça ne lui ferait ni chaud ni froid. Ensuite, le problème est encore et toujours les rats.

  - Ne t'inquiète pas, je ne comptais pas te transformer en meurtrière. Non, ce à quoi je pensais est plutôt quelque chose comme du poivre. Parce que c'est très facile à transporter, et que ça va neutraliser tout le monde en quelques instants, sans pour autant se transformer en bombe atomique.

  - Pas bête, approuva Paul. Tu n'as pas d'autres idées du genre ?

  - Heu, j'aurais bien proposé de l'eau pour tenir tout le monde à distance, sauf que ça ne va pas être facile de transporter un tuyau d'arrosage dans une maison...

  Les amis passèrent l'heure suivante à chercher d'autres objets pratiques pour l'éventuelle expédition. Ils commencèrent par trouver un couteau suisse, non pas pour lacérer de potentiels agresseurs avec, mais plutôt pour que, des fois qu'elle trouve Achille et Léopold, elle puisse les détacher rapidement. En effet, il se pouvait qu'ils soient attachés. Ainsi, elle pourrait défaire leurs liens facilement. Et pour finir, il convinrent qu'elle devrait s'équiper d'une corde au cas où.

  Le lendemain, Hubert et Charles Bourdeaux s'ajoutèrent à la liste des visiteurs, déjà composée de Solveig et Pierre. Ils vinrent en voiture.

Hubert avait l'âge de Paul. Il possédait aussi des cheveux noirs, ainsi qu'une frange qui lui donnait l'air nonchalant et ironique. Il adorait agiter celle-ci lorsqu'il parlait. Ses yeux gris-vert pétillaient de malice. Il était de taille moyenne, mais cependant plus grand que son aîné Charles.

Celui-ci était petit, avec des cheveux également noirs et légèrement bouclés. Mais il n'arborait pas de frange. Autre différence avec son frère, ses yeux à lui hésitaient entre le noir et le marron. Ses lunettes en écaille lui donnaient un air sérieux et discipliné, ce qui augmentait le contraste entre les deux frères. Mais tous deux étaient soignés et bien peignés. Ils étaient ce qu'il est convenu d'appeler "de charmants jeunes hommes, bien élevés". Tous deux étaient sympathiques et s'entendaient à merveille, bien que leur caractères soient dissemblables. Et s'ils se disputaient, leurs discordes ne leurs servaient qu'à mieux se réconcilier.

Les présentations faites, Charles leur montra sa voiture.

  - En fait, indiqua-t-il, papa et maman m'ont promis une voiture si je réussissais mon concours. Je l'ai eu, sauf qu'ils m'ont offert une Twingo d'occasion.

  - Et c'était quoi, le concours ? demanda Virginie.

  - Je voulais devenir et suis devenu professeur particulier de langue et culture romaine et grec.

  - Ah oui ? demanda Mazarine. Moi, au collège, je fais du latin, sauf qu'on y apprend surtout du grec ancien. La prof le préfère au latin. Moi aussi, d'ailleurs. L'alphabet est différent, c'est plus amusant. On étudie aussi l'Iliade. Enfin, l'histoire elle-même, hein, pas en grec, on en est pas encore là.

  - Oui, moi aussi, je préfère le grec. C'est un autre alphabet, c'est plus exotique, et puis c'est passionnant de...

  Le jeune professeur parlait avec une telle passion de la matière qu'il enseignait que Paul préféra l'arrêter, avant qu'ils ne passent la journée à l'écouter parler des civilisations disparues.

  - Merci, Charles, tu feras sûrement un prof super. En attendant, il faudrait qu'on t'explique le plan. Le but, comme je vous l'avais dit, est de filer Brunhild Wotan.

  - Tu es sûr que tu avais besoin de nous et de la bagnole, pour ça ? demanda Hubert. A pied, c'est bien aussi, les filatures. En plus, c'est plus écolo.

  - J'en suis bien conscient, et on a déjà essayé, vieux, répondit Paul. Sauf que c'était pas gagné. La dernière fois, ça s'est fini en bagarre entre ma petite soeur et des crétins qui se promenaient dans le coin.

  - On voit que vous avez besoin de notre aide, remarqua Hubert.

  - Vous ne voudriez pas qu'on en discute à l'intérieur ? proposa Virginie, toujours serviable. Si vous voulez, on a du jus de pamplemousse bio. On le fait nous même avec les pamplemoussiers qui poussent dans le jardin.

  - Heu, rectifia Paul, devant l'âge des nouveaux arrivants. On a aussi de la bière, des fois que vous préféreriez...

- Non, merci, répondit Charles avant que son frère ne puisse dire quoi que ce soit. Du jus de pamplemousse, c'est très bien.

  Finalement, tout le monde s'installa devant la table basse, avec un verre de jus de fruit. Les deux Bourdeaux ne cessaient de regarder de droite à gauche, comme s'ils cherchaient quelque chose. Finalement, Hubert demanda :

  - Et vos vieux, ils sont où ? Ils sont cool, pour vous laisser inviter autant de monde.

  - Ils n'en savent rien, ils sont partis en vacance, les éclaira Paul. Alors évitez de leur rapporter, ce serait sympa de votre part. Et vous, en vacance, vous faites quoi ? Vous restez en pensionnat ?

  - Non, répondit Charles. D'une part, le lycée ferme pendant les vacances, et ensuite, moi, je l'ai fini. Du coup, Hubert passe ses congés chez moi, il n'a pas voulu rentrer chez papa et maman. J'ai un petit studio en centre ville.

  - Sinon, commença son frère, vous comptez sur nous pour jouer les chauffeurs. Je veux bien, mais il faudra peut-être vous déguiser, pour éviter que Mlle Wotan ne vous reconnaisse. Et aussi, j'espère que vous ne comptez pas tous participer à la filature, ça ne rentrera jamais dans la voiture. C'est une Twingo, je vous rappelle.

  Après maintes propositions, il fut finalement décidé que Mazarine et Paul accompagneraient les deux frères lors de la fameuse filature. Malgré leur curiosité, Solveig et Pierre préféraient rester chez eux, car leurs parents étaient là. Et Virginie, un peu déçue, accepta de rester à la maison. En effet, Mazarine et Paul craignaient une nouvelle scène semblable à celle du marché. Ensuite, ils se demandèrent en quoi il fallait se déguiser.

  Solveig proposa :

  - Vous ne voudriez pas faire semblant d'être une bande de jeunes, avec la musique à fond et qui se promène en voiture ? Parce que Brunhild Wotan sait très bien que ce n'est pas le genre de Zaza, et elle ne se méfiera jamais. D'autant plus que, si on vous remarque, mieux ce sera. On ne se doutera jamais que c'est vous.

  - Non, quand même pas ! s'inquiéta Charles, regardant avec inquiétude son élégant veston. Ce n'est pas seulement le contraire du genre de Mazarine, c'est aussi tout l'opposé de mon genre à moi ! Je ne vais quand même pas faire ça !

  - Allez, si ! supplia Hubert, avec un grand sourire. Tu verras, il n'y aura rien de tel qu'un changement de style ! Tu vas voir, on va bien s'amuser !

  - Mais je ne pourrais jamais ! Imagine que... Que je rencontre l'un de mes élèves ! C'est impossible, je vais me faire mettre à la porte s'ils me voient me promener en ville habillé avec des tee-shirts déchirés, et...

  - Justement, argumenta Virginie en faisant son plus beau sourire. Ils ne te reconnaîtront jamais, si tu te déguises ! Comment veux tu qu'ils fassent le lien avec toi habillé élégamment et un jeune avec des cheveux longs et un pantalon en pattes d'eph' ?

  - Mais, protesta Charles, retirant ses lunettes pour s'éponger le front, je n'ai pas de pantalon comme ça et encore moins de cheveux longs !

  - Nous, si, dans la malle à costume du grenier. Papa était comédien, l'informa Paul en souriant de toutes ses dents. On a plein de perruques, du maquillage, des costumes... Allez, laisse-nous faire, je t'assure, tu ne te reconnaîtras pas !

  - Mais, je ne vois pas, de toutes façons, pourquoi je participerais à ce projet foireux qui...

  - Allez, fais-le, supplia Mazarine. Pense à Léopold et à Achille !

- C'est vrai, ça ! renchérit son petit frère. Si ça se trouve, ils sont en train de clamser ! Tu ne vas pas rester là les bras ballants !

  Finalement, le malheureux professeur consentit à aider ses jeunes amis. De toutes façons, ils ne pouvaient pas faire autrement puisqu'il était le seul à avoir son permis de conduire. D'autant plus que lesdits jeunes amis, pour l'encourager à accepter, s'étaient mis à scander son nom. Ils ne s'arrêtèrent que lorsque Charles accepta, et hurlèrent de joie.

  - Bon, j'accepte, mais je vous préviens : avec un plan pareil, ce sera fichu !

  - Mais, déclara son frère en lorgnant Paul et Virginie d'un oeil malicieux, je viens de penser à une chose. Notre studio est bien loin du Gîte de Mûshika, et nous risquons de mettre une heure à arriver. Et bien entendu, Mlle Wotan ne nous attendra pas !

  - Laisse-moi deviner, l'interrompit Paul. Tu veux passer les vacances ici avec ton frère ?

  - Ouais, surtout que son studio n'est pas très...

  - D'accord, répondit Paul, tellement content de voir Charles coopérer qu'il se fichait d'avoir des invités supplémentaires, d'autant plus qu'il s'agissait de ses amis. Faites comme chez vous !

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