Nouvelle Tentative

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  Mazarine se réveilla, bailla puis alla s'installer dans la bergère de Virginie. Celle-ci était toujours postée devant la fenêtre du Gîte de Mûshika, et n'avait pas changé de place. Quant à sa propriétaire, elle s'était déjà levée. Elle était sans doute descendue dans le salon. On était déjà le vingt-neuf octobre, et la jeune fille brune se remémora les journées passés.

Cela faisait trois jours que les frères Bourdeaux avaient emménagés chez les Janviers. Ils étaient retournés chez eux dès qu'ils avaient eu l'autorisation de passer le reste des vacances au cinq, Allée des Hespérides, afin de préparer quelques habits.

Ensuite, ils avaient réorganisé la disposition des chambres : Mazarine et Virginie restaient dans la pièce de celle-ci, tandis que Hubert et Paul s'installaient dans la chambre de ce dernier. Quand à Charles, ils avaient tiré à la courte paille pour savoir qui dormirait sur le canapé guère confortable du salon des Janviers, et c'était lui qui avait perdu. Ils avaient monté des sacs de couchages et des couettes supplémentaires de la cave, ainsi que le matelas des parents afin que tout le monde puisse passer la nuit sur un bon sommier (ou presque, dans le cas du professeur particulier...). Ils avaient aussi renoncé à monter la garde du Gîte de Mûshika. L'expérience guère fructueuse de la première nuit ne donnait pas envie de réessayer.

  Etrangement, Brunhild Wotan n'était pas sortie depuis la dernière filature. Elle avait sans doute fait des réserves. A son sujet, Mazarine, Paul et Virginie avaient expliqué tout ce qu'ils savaient à Hubert et Charles, y compris les enlèvements d'Achille et du clochard.

  Mais la jeune fille brune reporta son attention vers le Gîte de Mûshika. Elle saisit les jumelles et observa ce qui s'y passait. Soudain, elle vit Hild tendre la main vers son précieux sac en fourrure.

  - Alerte générale ! cria-t-elle en déboulant dans le salon, où le reste de ses amis prenaient un petit-déjeuner, cuisiné par Hubert et Virginie. Hild s'apprête à sortir !

  - Il n'y a pas une minute à perdre, déclara Paul en repoussant son assiette d'omelette. Vite, Hubert, Charles, aidez-moi à descendre la malle à costume du grenier !

  - Quel dommage, marmonna Hubert, un si bon petit-déjeuner... Moi qui m'étais donné tant de mal à le cuisiner pour vous...

  - Tu nous en fera un autre demain, rétorqua le jeune professeur particulier, guère intéressé par les problèmes de son petit-frère.

  Après avoir descendu en peinant le coffre à déguisement du grenier, Paul courut chercher des habits tels que des jeans déchirés. Il rapporta aussi des tee-shirts ayant comme mention les groupes de rap qu'il affectionnait. Il tendit le tout à ses invités. La violoniste enfila un tee-shirt à tête de mort, un jean passablement usé, une chaîne et de petites bagues assorties à son haut. Ils enfilèrent tous des vestes en cuir, trouvées d'on ne sait où par Virginie qui, pour son plus grand bonheur, joua à la styliste.

Elle commença par installer une perruque aux longs cheveux blonds et lisses sur la tête de son amie. Cela la modifiait complètement. Enfin, elle lui confia une paire de lunette de soleil gigantesque, rose et en forme de coeur. Mazarine la prit en la regardant sous toute ses coutures.

- Heu, Vivie, je ne vais quand même pas mettre ça !

- Pourquoi ?

- Ben, c'est tout sauf discret...

- Justement, c'est le but !

- Si tu le dis...

- Et puis au moins, on ne te reconnaitra pas !

- Ça, c'est sûr.

  Puis ce fut au tour du frère de la danseuse et de ses copains. Virginie ébouriffa les cheveux de son frère, mit une casquette passablement boueuse sur ceux d'Hubert et posa une perruque sur ceux de Charles. Celui-ci resta bouche bée devant le reflet du miroir : il était méconnaissable. En effet, son postiche avait des mèches, certes toujours noires, mais qui faisaient au moins dix centimètres et qui lui balayaient la figure. Désespéré, il soupira sans quitter du regard son double :

  - Je sens que qu'avec un accoutrement pareil, c'est fichu...

  - Vous avez tout ? demanda enfin Virginie sans prêter attention au malheureux professeur, inspectant l'assemblée qui avait des allures gothiques. Et bien, allez-y, et bonne chance ! Mais surtout, n'oubliez pas ; tenez-moi au courant ! Je sens que je vais mourir de curiosité, si vous ne le faites pas !

  Les quatre amis acquiescèrent, puis rentrèrent dans la voiture. Les deux frères s'installèrent à l'avant, le jeune professeur au volant. Les autres se casèrent à l'arrière. La violoniste sortit un bloc note et un stylo afin de prendre des notes sur le comportement de la vieille dame. Paul prit son téléphone pour tenir sa petite soeur au courant. Hubert, lui, se battit avec une carte routière afin de savoir où ils iraient, avant de se rendre compte que c'en était une de l'Allemagne.

  - Suis le trajet sur Goggle Maps, répliqua son frère sans le regarder, le regard fixé sur le goudron de la route.

  - Et ça commence, s'écria Paul, très excité, en guettant Brunhild Wotan.

  Celle-ci sortit de chez elle et descendit l'allée des Hespérides tranquillement. Elle se dirigea vers la rue Cernuschi, avant de se retourner brutalement. Elle lorgna les alentours d'un oeil suspect. Dans la voiture, ce fut le branle bas de combat :

  - Zaza ! hurla Charles, oubliant complètement que celle-ci était déguisée. Cache-toi, la vieille nous regarde ! On est fichus !

  La jeune fille n'eut pas le temps de protester : se retournant tant bien que mal, Hubert attrapa une couverture qui traînait par là et la jeta sur la violoniste. Celle-ci se débattit pour s'en extraire. Mais Paul, étant trop zélé, maintint la couverture sur son amie. Par souci du détail, il manqua même s'asseoir dessus - malgré sa ceinture - pour qu'elle cesse de gigoter. Charles, quant à lui, blanc comme un linge, continuait à faire avancer la voiture car il ne pouvait pas s'arrêter au milieu de la route.

  - Fait le tour du pâté de maison, chuchota Paul. Vu l'âge de Mlle Wotan, il y a des chances qu'elle soit encore là quand on reviendra.

  Le jeune enseignant suivit le conseil. Mazarine, rouge, les cheveux en bataille, put enfin émerger de la couverture qui sentait fort. De toute évidence, son dernier lavage remontait à longtemps. Trop longtemps, même, à son goût. Elle fit remarquer :

  - Dites, les garçons, j'ai failli étouffer ! Vous étiez au courant que je suis déguisée, et qu'il y a peu de chance qu'Hild ne me reconnaisse ? Même moi, j'ai du mal à me reconnaitre quand je me regarde dans le rétroviseur !

  - Non, on avait oublié que Vivie t'avais fait un relooking, répliqua Hubert en se tournant vers elle. Et qu'est-ce que t'as fait, avec tes lunettes ?

La jeune fille, penaude, contempla les lunettes de soleil. Durant son séjour sous la couverture et la bousculade qui l'avait précédé, celles-ci avaient perdues une branche. Elle redressa donc sa perruque sur sa tête, tout en se mordillant les lèvres :

- Oups... J'espère que Vivie n'y tenait pas trop... En même temps, il faut dire qu'elles n'étaient pas très solide... Non ?

- Ouais, confirma Paul. C'était de la pure camelote. Et de toutes façons, vu la poussière qu'il y avait dessus, elle n'a pas dû les mettre depuis longtemps.

Soulagée, elle commença à faire l'inventaire des dégâts. Apparemment, les lunettes n'avaient pas été les seules innocentes victimes du séjour sous la couverture. Le stylo qu'on lui avait confié n'avait rien trouvé de mieux que de déverser toute son encre sur le bloc-note, sa veste en cuir et accessoirement, ses doigts. Afin d'éponger les dégâts, la jeune fille farfouilla dans ses poches pour trouver une serviette en papier. Non seulement elle ne réussit qu'à étaler de l'encre de partout, mais en plus, elle ne trouva pas le moindre paquet de mouchoir.

  - Zut, j'ai pas de mouchoir, j'ai oublié d'en prendre. Les gars, vous n'en auriez pas ?

  - Non, répondirent Paul et Hubert.

  - Moi, intervint Charles, j'ai un paquet de kleenex, mais il est dans ma poche et je ne peux pas lâcher le volant.

  Son frère se chargea de lui faire les poches du jean qui étaient de son côté.

  - Tu te trompes, mon vieux, il n'y a rien.

  - Mais de quel droit tu me trifouilles les cuisses, Hubert ? Gros malin, les mouchoirs sont dans la poche de l'autre côté...

  Hubert s'allongea de tout son long sur le jeune professeur, et commença à lui retourner les poches.

  - Pousse-toi, empoté, râla Charles, irritable à cause de l'angoisse de la filature et de sa tenue dont il avait honte. Tu n'as pas bientôt fini ton numéro ? Je te signale que tu m'étouffes. Tiens, prends plutôt le volant, je prends moi-même de ma poche le... Attends, tu cherchais quoi, déjà ?

  Finalement, quand on eut trouvé le fameux paquet de mouchoir, Mazarine le récupéra en évitant de teindre les doigts d'Hubert. Puis elle sortit un mouchoir avec précaution à l'aide de ses dents, pour ne pas salir les autres serviettes du paquet. Enfin, elle arriva enfin à essuyer une bonne partie de l'encre. Pendant ce temps, la voiture avait fait le tour du pâté de maison.

  - C'est bon, grommela Hubert en jetant un coup d'oeil par dessus son épaule. La banquette a retrouvé sa couleur normale et... Flûte, on a perdu la vieille !

  - Non, elle est là-bas, le rassura Paul.

  Le véhicule se remit à rouler vers Brunhild Wotan.

  - Roule environ vingt mètres derrière Hild, Charles, conseilla Mazarine à mi-voix.

  Mais trop tard : le jeune professeur de culture de l'Antiquité n'y avait pas pensé. Le temps qu'il ralentisse, la voiture avait largement doublé Brunhild Wotan.

  - Bon sang ! s'écria Hubert, qui commençait aussi à craindre que la vieille dame remarque leur manège. Tu pouvais pas le dire plus tôt, Zaza ? A ce rythme là, toute la ville va bientôt nous remarquer, zut !

  - Hubert, fit Paul, calme-toi, on fait comme on peux ! Tu crois que c'est facile, peut-être ! C'est dur pour tout le monde ! Alors mets-y un peu du tien, ou on ne s'en sortira jamais !

  - Mais tu vas pas prendre sa défense, non plus !

  Le dernier mot claqua si fort, que le professeur particulier étouffa un gros mot. Son jeune frère l'avait effrayé, le faisant sursauter. Cela s'en ressentit dans sa conduite. La voiture fit une brusque embardée involontaire vers la gauche, où précisément un bus arrivait. Le malheureux professeur eut tout juste le temps de redresser le volant pour retourner de son côté de la route. Le carambolage fut évité in extremis. Ce qui n'empêcha pas le conducteur du bus de déverser un flot de jurons sur la Twingo et ses occupants.

  - Charles, explosa Hubert, je sais bien que tu es prof de latin-grec, mais franchement, tu peux pas essayer de conduire droit et moins vite ? Et aussi à droite ? J'ai cru qu'on allait tous y rester ! On est pas sur une autoroute, bon sang, et encore moins de l'autre côté de la Manche ! On est sur une route de ville française, alors arrête de conduire à gauche et à tombeau ouvert comme si on était au Gumbal 3000 d'Angleterre !

  - Hé, ho ! Calme-toi, Hubert ! Comment tu veux que je conduise correctement avec un énergumène pareil qui passe son temps à me hurler dans les oreilles ? Et puis arrête de secouer ta tête, on dirait une poule enragée, avec ta frange ! Et calme-toi, sinon, à notre retour, je te donne un contrôle de latin, avec toutes les déclinaisons, et...

  - Mais taisez-vous, supplia Mazarine. Si Hild ne nous a pas déjà remarqué avec nos acrobaties, il ne faut pas non plus qu'elle nous surprenne en train de nous crêper le chignon ! Et puis... Zut, elle s'est retournée, je crois qu'elle nous a vus...

  - Bravo tout le monde, ragea Hubert. On n'est même pas capable de filer discrètement une petite vieille en voiture. Désolé, mais à la fin, sumus pire que les lapinus crétinus, les amicus !

  - Mais taisez-vous et laissez moi mourir en paix !... Heu, conduire en paix, rectifia Charles. Pas étonnant que j'aille dans tous les sens si vous ne me laissez même pas une minute de calme dans ma propre voiture et que mon frère écorche le latin comme personne !

  - Chut, ordonna Paul. Mlle Wotan n'est pas la seule à nous regarder et à nous écouter, toute la rue nous fixe, alors... FERMEZ-LA ! s'égosilla-t-il de toute la force de ses poumons. En plus, la vieille, là-bas, elle vient de rentrer dans la mercerie !

  - Je vais me garer, décida le jeune professeur qui se calmait déjà. Et ensuite, il faudra que l'un de vous deux, les gars, aille suivre Mlle Wotan pour voir ce qu'elle achète. Pas toi, Zaza, j'ai peur qu'on te reconnaisse.

  - J'y vais, trancha Paul. Bon, je prends quoi ?

  - Comment ça ? demanda Hubert. Tu veux te mettre à la couture, vieux ?

  - Mais non, gros malin. Mais je ne peux pas débarquer comme ça, dans la boutique, sans rien prendre, ça ne serait pas très fin. Et la vieille va sûrement soupçonner quelque chose.

  - Prends une pelote de laine pour Holly, lui ordonna Charles.

  - C'est qui, Holly ? interrogea Mazarine.

  - C'est ma chatte. Je l'ai trouvée, un jour, elle se promenait sur le toit en face de mon studio, et elle était maigre comme un lacet. Je l'ai récupérée, et depuis elle squatte le studio. J'ai demandé aux voisins de la nourrir, de lui donner de quoi boire et de changer sa litière, vu qu'on s'est installés chez vous pour les vacances.

  - D'accord Charles, une pelote. Hubert, Zaza ? Autre chose ?

  - Non, merci, ça ira, répliqua la jeune fille brune.

  - Ce serait bien, souhaita Hubert, qu'à un moment, la vieille veuille bien s'arrêter à une boulangerie. Parce que moi, je n'ai pas eu le temps de manger mon petit-déjeuner, au final. Et j'ai faim.

  Paul préféra ne pas répondre. A la place, il sortit de la voiture. Enfin, il entra dans la mercerie à la suite de Brunhild Wotan.

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