Entre deux missions

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  La filature prit rapidement fin. En effet, Brunhild Wotan ne tarda pas à reprendre le chemin de sa maison. Charles, Hubert et Mazarine rentrèrent également, mais cependant en s'inquiétant.

  - Zaza, décida Hubert, c'est toi qui diras à Virginie qu'on a perdu Paul.

  - Moi ? Pourquoi moi ?

  - Ben, oui, argumenta le jeune professeur, soutenant son frère. Vous êtes meilleures amies...

  - Et puis, les filles sont plus délicates que les garçons. Enfin, il paraît, rectifia Hubert. Tu trouveras mieux les mots pour adoucir le choc.

  - Mais, les garçons, contra la violoniste, c'est Charles, le prof de lettre, il connait plus de chose, et...

  - Stop, trancha Charles. Zaza, je suis l'aîné, je suis votre responsable, je suis majeur, c'est moi qui décide, donc je t'ordonne d'aller dire ce qu'il en est à Virginie !

  - Justement, tu le dis toi-même que tu es notre responsable ! Tu dois endosser tes responsabilités et...

  - Zaza, enfin ! répliqua Hubert en se tournant vers elle. Pour une fois que mon cher frère te donne un ordre, tu ne vas quand même pas lui désobéir !

  Mazarine ne dit plus rien, mais elle ne trouva pas cela très juste pour autant. Le reste du trajet se déroula dans un silence sépulcrale, et trop vite à son goût. Elle n'eut pas le temps de réfléchir à ce qu'elle pourrait bien raconter à la danseuse. Déjà, Hubert sautait hors de la voiture pour ouvrir la grille du cinq, Allée des Hespérides. Charles alla garer sa Twingo au milieu du chemin de gravier qui conduisait à la maison. Dès qu'elle les vit, Virginie s'empressa d'ouvrir la porte avec un grand sourire.

  - Salut tout le monde ! clama-t-elle lorsqu'ils furent sortis. Comment ça va ? Moi, super ! Alors, la filature c'est bien passée ? Mission accomplie ?

  Les deux frères encadrèrent Mazarine, et lui donnèrent un léger coup de coude visant à l'encourager à déclarer ce qui s'était passé. La jeune fille brune les fusilla du regard, avant de soupirer. Elle humecta ses lèvres sèches, et commença d'une voix tremblotante :

  - Bon, ben, Vivie, j'ai... une très mauvaise nouvelle... à te... à t'annoncer...

  - Ah, oui ? C'est vrai ? C'est quoi ?

Mazarine aspira désespérément l'air autour d'elle. Elle scruta les alentours, comme si cela allait l'aider à formuler la réponse la plus délicate possible. Elle ressemblait à un poisson hors de l'eau, inspirant avec détresse l'air autour d'elle. Enfin, elle tendit les restes des lunettes de soleil roses en déclarant d'une traite :

- D'abord, je suis désolée, j'ai démoli tes lunettes...

- Ah, heu... Tu sais, c'est pas grave, elles étaient vieilles, et...

- Zaza ! s'exclama Hubert, furieux. Tu sais très bien de quoi on veut parler !

La jeune fille brune le fixa, lassée et profondément agacée. Puis elle aspira à nouveau, et avoua :

  - Oui, c'est vrai. Ce n'est pas de ça que je voulais te parler.

- C'est à propos de quoi, alors ?

- C'est pour Paul... Tu sais, ton frère...

  - Mais évidemment que je sais qui c'est, Paul, Zaza ! Je sais parfaitement que c'est mon frère ! Pas la peine de me le rappeler !

  - Oui... Donc, ton frère, Paul...

  - Accouche, on y sera encore l'année prochaine, à ce rythme.

  - C'est sûr qu'on y sera encore l'année prochaine, vu que je ne risque pas de dire grand chose si tu m'interromps. Donc... Il a... disparu...

  - Quoi ? C'est vrai ! Mais alors...

  Charles, Hubert et Mazarine retinrent leur souffle. Puis, à leur grande surprise, Virginie fonça dans le salon. Elle dit quelques mots qu'ils ne comprirent pas, puis revint en s'exclamant :

  - Mais pas du tout, Paul est dans le salon ! Et il va très bien. Alors je ne vois pas ce que vous me racontez, mais...

Virginie ne put finir sa phrase, bousculée par ses trois amis. Ceux-ci coururent ventre à terre dans la pièce où, allongé sur le canapé, Paul regardait C'est pas sorcier. Il épluchait et en mangeait une clémentine de son jardin. En le voyant là, le jeune professeur particulier devint rouge vif. Il poussa un sorte de mugissement de taureau. Puis il s'approcha à grandes enjambées du frère de Virginie, et lui mit une claque dans la figure.

  - Tiens, de la part de Me Mordaume !

  Paul ne répondit pas, trop ahuri. Personne ne comprenait ce que racontait Charles. Il n'avait raconté à personne l'épisode de la papeterie. En effet, malgré les efforts de son frère et de la violoniste pour qu'il leur narre ce qui s'était passé, il n'avait rien voulut dire, ayant peur d'avoir l'air ridicule.

  - Si tu savais le mauvais sang que je m'étais fait pour toi ! continua-t-il en s'acharnant de plus belle, bien que Paul, plus grand et plus fort, se défendait fort bien.

- Mais qu'est-ce que tu veux à mon frère ? braillait Virginie en sautant sur place, surexcitée. Arrête de le gifler, enfin !

- Il y a, Virginie, gronda Charles pendant que sa proie se libérait, que ton frère ne juge même pas bon de nous rassurer !

  - Pour le coup, c'est vrai, confirma Hubert. Charles a eu tellement la frousse pout toi qu'il a failli tous nous tuer !

  - Et moi, alors ? rétorqua Paul en se levant et en se plantant devant le professeur, se tenant toujours sa joue rouge. J'ai eu la peur de ma vie, quand j'ai vu que vous étiez partis sans moi ! Non mais, la prochaine fois que vous me posez un lapin, je... je... Bref, et la prochaine fois que tu me gifles, Charles, je te renvoie dans ton appartement, mais avec des plumes et du goudron !

- J'aimerais bien voir ça, tiens !

  Les deux jeunes hommes allaient se battre, sauf que Mazarine et Virginie s'interposèrent en prêchant la paix et la sérénité.

La violoniste eut vraiment peur que la situation ne dégénère. Surtout quand Hubert tenta de calmer les deux belligérants en expliquant à son meilleur ami que personne n'avait le droit de se battre contre son grand-frère, à l'exception de lui-même. Elle crut bien que le nigaud allait se prendre une ou deux claques. Heureusement, il n'en fut rien.

Enfin, tout le monde se calma. Paul expliqua alors que son téléphone, à court de batterie, avait juste pu envoyer son message à Mazarine avant de s'éteindre. Il n'avait donc pas reçu celui de la jeune fille. Les personnes présentes lors de la filature comprirent que Paul n'y était pour rien. Le débat allait se clore quand Hubert, avec un grand sourire, demanda :

  - C'est quoi, cette histoire de Me Mordaume ? Tu ne m'avais pas dit que c'était un de tes élèves ?

  En faisant la moue, le malheureux professeur refusa d'abord d'expliquer quoi que ce soit. Puis comme ses compagnons allaient se remettre à scander son nom, il expliqua enfin l'épisode désastreux de la papeterie.

En dépit de toute la compassion que lui portaient ses jeunes amis, ceux-ci ne purent s'empêcher de rire aux éclats, au grand dam de l'enseignant qui se mit à bouder. Quand l'hilarité collective se fut calmée, Paul pensa aux choses sérieuses :

  - Bon, maintenant les gars, j'aimerais bien récupérer mes "chiffons semblables à la défroque de naufragés", comme dirait Me Mordaume.

  Alors qu'Hubert se levait, Charles, lui, demanda :

  - Si ça t'embête pas, Paul, j'aimerais bien garder "mon accoutrement ridicule", comme dirait aussi mon élève.

  - Ah ? demanda Virginie. Pourquoi, tu vas en faire quoi ?

  - Le jeter au feu, pour m'en débarrasser et oublier ce moment extrêmement gênant.

  - C'est pas vrai, le contredit son frère. Moi, je suis sûr que tu vas le garder parce que tu aimes secrètement ta tenue.

  - Eh, c'est pas vrai ! s'indigna le professeur particulier. Tu racontes n'importe quoi, Hubert ! Paul, Vivie et Zaza, ne l'écoutez pas ! Il raconte que des bêtises !

  Pour toute réponse, Hubert donna une claque amicale à son frère avant de filer se changer.

  Le lendemain soir, alors que tout le monde était rassemblé dans le salon, Mazarine reçut un message. Il s'agissait de Brunhild - elles s'étaient échangées leurs numéros, lors de l'un des goûters qu'avait organisé la dame.

"Ma chère Mazarine, disait-elle, pourras-tu venir demain, à quinze heures ? Je serai libre. Ta vieille amie Hild."

  - Tu es sûre que tu dois y aller ? demanda Hubert en lisant le message par dessus l'épaule de la jeune fille. Elle commence à me faire peur, cette petite vieille...

  - Moi aussi, ça m'inquiète de plus en plus, avoua Paul. S'il faut absolument que tu y ailles, je serais plus tranquille si tu y allais avec quelqu'un d'autre...

- Moi, je veux bien, lança Virginie d'une voix stridente. Ce n'est pas une petite vieille qui me fait peur !

- Tais-toi, Virginie, soupira son grand-frère. Bon, Charles, tu en penses quoi ?

  Le jeune professeur grimaça, puis expliqua :

  - Moi aussi, j'ai vraiment peur. A mon avis, tu dois ne pas y aller du tout, Mazarine. C'est plus sûr.

  - Non, contra Virginie, catégorique. Ce serait la pire chose à faire, Brunhild Wotan saura qu'on se doute de quelque chose.

  - A mon avis, elle le sait déjà, médita Mazarine. Ce serait vraiment un coup de chance si elle ne m'a pas reconnue, quand Pierre et moi nous sommes introduits chez elle. En plus, si elle ne m'a pas vue, il se peut qu'elle m'ait entendue. Je ne sais plus si j'ai parlé quand elle était là... Et ça me fait peur, mais on doit trouver Achille et Léopold. On ne peut pas rester là sans rien faire ! Je suis certaine qu'ils sont là.

  - Mais vous ne croyez pas que vous avez fait assez de bêtises comme ça, non ? grommela Charles. N'y allez pas. C'est dangereux ! Et puis... Je suis votre responsable, donc...

  - Charles ! réagit Hubert. Et Léopold et Achille ? On fait quoi ? On les abandonne ? On les laisse clamser ?

  - Non, bien sûr, mais...

  - Alors laisse Zaza y aller, vieux ! C'est le mieux qu'on puisse faire pour eux ! Même, c'est la meilleure solution !

  - Mais, elle ne peut pas y aller seule, c'est trop dangereux ! s'écria Charles, désemparé.

  - Ah, se réjouit Paul. Je vois que ça commence à changer ! Maintenant, elle ne doit plus y aller seule ! Moi, je suis d'accord pour accompagner Zaza, et puis...

  - Mais, si vous n'en revenez pas, tous les deux, je vais faire quoi, moi ? vociféra le professeur, à deux doigts de s'arracher les cheveux.

  - Sinon, déclara Virginie, étrangement calme, en le fixant dans les yeux, il y a une solution toute simple...

  - Tu penses comme moi ? lui demanda Hubert.

  - Hum, confirma la danseuse.

  Et les deux amis, ainsi que Mazarine et Paul, contemplèrent pensivement le professeur. Celui-ci, sous le poids des regards, commença par s'agiter. Enfin, il capitula.

  - C'est bon, j'ai compris. C'est moi qui accompagnerai Zaza, c'est ça ?

- Eh oui, Charles, répondit Virginie, toujours aussi calme.

- Mais c'est une très mauvaise idée ! s'offusqua le professeur, en s'épongeant le front.

- Pourtant, tu y as pensé aussi, remarqua Paul.

  - Oui, mais je suis un garde du corps extrêmement nul !

- Tu n'as pas de bonne volonté, c'est tout ! déclara Hubert.

- Non mais, je t'en prie ! s'offusqua son frère.

  - Allez, Charles, l'encouragea Virginie d'une voix câline. Vas-y ! Je suis sûre que tout va bien se passer ! Si tu veux, on montera même la garde derrière le trou du grillage ! Comme ça, s'il y a un problème, vous criez, on passe par là et on entre vous sauver ! Comme ça, va mieux ? Tu es rassuré ?

  - Tu es sérieuse, pour ton plan ? lui demanda l'homme d'un air intéressé.

  - Ben, heu, je l'ai quand même juste proposé comme ça, hein, mais...

  - Si tu y tiens, proposa Paul, on peut faire comme ça. De toutes façons, deux précautions valent mieux qu'une, et ce n'est pas parce que tu accompagnes Zaza qu'on ne peut pas vous attendre derrière le grillage. Surtout si comme ça, tu es plus rassuré.

  - D'accord, répondit Charles, je marche. Mais franchement, je pense que ça ne va pas marcher, et que c'est fichu.

  - Fais pas ton pessimiste, Charles, le gourmanda Hubert. Tu as déjà dit ça à la filature en voiture et il ne s'est rien passé.

  - Parle pour toi, grogna l'enseignant. Ce n'est pas toi qui t'es pris une claque de la part de ton élève et qui as failli déclencher un carambolage !

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