La Nuit des survivants

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  Pendant deux secondes, personne ne bougea. Le temps semblait s'être arrêté, et les compagnons, pétrifiés. Mais, au bout de quelques secondes, Paul cria :

  - Cachez-vous ! Fuyez, il ne faut surtout pas qu'elle nous trouve ! Et n'utilisez pas l'électricité ! Sinon, Brunhild Wotan va vous repérer !

- Compris ! brailla sa petite soeur, d'une voix que la panique faisait monter dans les aigus.

  - Je m'occupe du collier, renchérit Mazarine. Je viens d'avoir une idée géniale !

  Elle attrapa la casserole où baignait le collier, qui brillait à présent d'une lueur malsaine. Elle se mit à farfouiller dans les tiroirs des Janviers pour dénicher un couvercle. Elle eut à peine le temps de plaquer sur le récipient une planche en bois en dernier recours, que ce fut l'obscurité totale. Apparemment, quelqu'un venait d'éteindre la lumière.

  Ce fut le début d'une pure panique. Pour Charles, Hubert, Paul et Virginie, c'était à celui qui arriverait le premier dans l'escalier pour se réfugier à l'étage. Le plancher trembla, ébranlé par les cavalcades. Par chance, personne ne cria, car chacun savait très bien que cela risquait de les trahir.

  Dans la pagaille ambiante, Mazarine se demanda si quelqu'un allait tomber ou trébucher dans les escaliers. Pourvu que personne ne se fasse mal ! Que feraient-ils si l'un d'entre eux se fracassait la cervelle contre une marche ? Déjà que courir dans les escaliers n'était pas sans risque, qu'est-ce que c'était dans le noir ! Surtout que tout le monde était excité, et n'avait pas toute sa tête. Et si on était au début d'un fait divers sanglant ? La jeune fille voyait déjà les articles dans les journaux du lendemain :

Exclusif : La nuit dernière, durant la soirée des revenants, une dame âgée sans histoire s'est introduite chez ses voisins. Elle les a égorgé les uns après les autres, à l'exception de l'un qui s'est rompu le cou tout seul en se cassant la figure dans les escaliers. La fête, qui était sous le contrôle manifestement peu vigilant d'un professeur particulier de latin et de grec, a été organisée à l'insu des propriétaires de la maison. Ceux-ci étaient partis en vacance chez des amis, en laissant leurs enfants seuls dans la maison. Ils en ont apparemment profité pour inviter leurs amis, avant d'être rejoint par leur sanguinaire voisine qui les a exterminé sans pitié.

  Bientôt, les bruits de bousculade s'estompèrent. Manifestement, le gros du troupeau venait d'arriver aux étages supérieurs. Le silence qui succéda au vacarme était presque plus inquiétant que ce dernier. Mais au moins, il signifiait que tout le monde allait bien.

Mazarine resta donc seule, n'osant pas courir de peur de perdre ne serait-ce qu'une goutte d'eau de la casserole. Elle marcha donc lentement dans le salon, en tenant le récipient avec précaution, comme s'il s'agissait d'une grenade dégoupillée qui allait lui sauter à la figure.

Soudain, un bruit de porte retentit. Terrorisée, la jeune fille comprit que Mlle Wotan venait d'entrer dans le hall de la maison. En paniquant, la violoniste chercha le plus vite possible une cachette. Hélas, sa casserole, et le bruit qu'elle craignait de faire en marchant, limitait le nombre d'abris. Elle réfléchit à toute vitesse, avant de se réfugier derrière la porte d'une chambre qui était ouverte.

Derrière le battant, elle guetta la vieille dame. Elle avait l'impression que toute la maison pouvait entendre son coeur battre, tellement il pulsait fort. Tout à coup, un souffle se fit entendre. C'était Brunhild. Elle passa devant Mazarine sans la remarquer pour autant. Celle-ci la vit à travers l'espace qui accueillait les gonds. L'intruse semblait profondément hagarde, et guère concentrée.

Et elle l'était sûrement, car elle ne prit pas la précaution de vérifier que personne n'était caché au rez-de-chaussé. C'était une chance, d'ailleurs. Si elle avait remarqué l'adolescente, ça aurait été la fin des compagnons. A la place, elle fonça directement à l'étage en courant, lourdaude, dans l'escalier. Elle semblait tenir pour acquis que tout le monde s'était réfugié en hauteur.

Mazarine attendit que la magicienne disparaisse. Elle patienta encore quelques minutes après qu'elle fut partie, avant de sortir. Elle monta alors l'escalier à sa suite et alla au premier étage.

Dans la maison, c'était le calme total. La panique qui s'était emparée des amis s'était décidément estompée aussi vite qu'elle était apparue. Le reste de la bande devait s'être trouvé une cachette dans la gigantesque maison. En tout cas, elle ne vit personne. Elle arriva bientôt devant une porte, où elle entra.

Il s'agissait des toilettes. En effet, elle s'était dit :

  "Hild est là, elle va chercher son pendentif, en priorité dans un endroit où il y a de l'eau, car elle sait qu'on veut détruire le collier. Donc, où est-ce qu'on peut mettre de l'eau sans que ce soit étonnant ?"

  Dans un premier temps, elle avait pensé à laisser la casserole dans la cuisine, comme si elle faisait cuire quelque chose sur une plaque chauffante. Mais c'était trop risqué. En effet, quelqu'un, en courant, pouvait trébucher et se rattraper à la casserole, qui se renverserait inévitablement. Il faudrait donc attendre la prochaine pleine lune, ce qui était impossible. Sans compter qu'Hild pouvait très bien vérifier qu'il n'y avait pas que de l'eau. Dans la situation où la vieille dame était, elle allait sûrement prendre toutes ses précautions et fouiller partout, sans exceptions.

  Sinon, Mazarine avait pensé à la salle de bain, mais c'était trop évident. Là encore, Brunhild avait des chances de trouver le pendentif. Et pour finir, la jeune fille brune avait songé aux toilettes. Elle était certaine qu'Hild ne penserait jamais à regarder dedans. Surtout que si elle tirait la chasse d'eau, il n'y aurait plus aucune chance qu'elle ne récupère le bijou. La magie était pratique et pouvait faire beaucoup de chose, mais elle ne pouvait pas non plus faire des miracles.

  Dans les cabinets, avec précaution, Mazarine immergea la casserole dans la cuvette. Puis elle laissa le collier tomber au fond, veillant avec soin à ce qu'à aucun moment, il ne soit en contact avec l'air. Quand ce fut fini, elle prit la casserole, ouvrit la fenêtre et la lança par l'ouverture dehors. Elle atterrit quelques mètres plus loin, dans un bruit assourdissant qui brisa le silence de la nuit. Malgré l'obscurité, Mazarine devina qu'elle avait atterrie chez les voisins qui habitaient au trois. En effet, quelques jours plus tôt, elle avait remarqué chez eux une grande table en métal, qui devait beaucoup résonner lorsqu'on posait les objets dessus.

Elle connaissait certaines personnes qui allaient avoir une drôle de surprise, le lendemain matin, en voyant leur table...

Mlle Wotan ne risquait pas de découvrir le pot aux roses. En plus, avec un peu de chance, elle irait vérifier s'il n'y avait personne là-bas, à cause du bruit.

  Une fois cela fait, elle consulta l'heure sur sa montre. Il était cinq heures vingt. La jeune fille savait qu'en ce moment, le soleil ne se levait qu'après sept heures. Elle fit un rapide calcul, avant de soupirer. Il restait encore une heure quarante environ à attendre ! Elle n'avait malheureusement pas son téléphone. Elle devait l'avoir oublié dans le salon, durant la fièvre du moment. Elle ne pouvait pas non plus appeler la police.

Enfin, elle appuya sur le bouton de la chasse d'eau pour faire partir le collier.

  Aussitôt, le bruit de l'eau rompit à nouveau le silence de la nuit. Même, en comparaison, dedans, il fit presque un boucan apocalyptique. Quelque part dans le noir, un ricanement s'éleva.

  - Je le sais, que vous êtes là ! Allez, venez ! Si vous êtes sages et que vous me rendez mon collier, je vous offrirais des bonbons !

"Bon sang, se dit Mazarine en frissonnant, je n'avais pas du tout pensé au bruit de la chasse d'eau ! Ce n'est pas possible d'être bête comme ça ! Quand à Hild et son histoire de bonbons, elle nous prend vraiment pour des imbéciles !"

  La violoniste hésita quelques instants, puis décida de changer de cachette. Elle se précipita dans la chambre la plus proche, qui celle de Paul. Elle ouvrit le placard d'un coup sec puis se jeta dedans, avant d'en refermer le battant. Soudain, elle se rendit compte qu'il y avait déjà quelqu'un ; il s'agissait justement de Paul.

Mais ni l'un ni l'autre ne protesta. Ils n'en n'eurent pas le temps. A la seconde suivante, armée de la poêle à frire abandonnée par Hubert, Mlle Wotan entra dans la pièce. Les deux amis ne perdirent pas une miette du spectacle. A travers un interstice entre les deux battants, ils pouvaient voir que la lune, éclaboussant la pièce de lumière argentée, éclairait le tout presque comme en plein jour. La scène se déroulait devant eux comme s'ils étaient au théâtre.

Soudain, l'attention de la vieille dame se porta sur le bureau de Paul.

  - Ah, jeune homme ! Sors de là, et tout de suite ! Car si je viens te chercher, je te garantis que tu vas le regretter !

  Les deux compagnons échangèrent un regard surpris. Apparemment, ils n'étaient pas les seuls à avoir trouvé refuge dans la chambre. Mais qui était-ce ? Brunhild avait dit "jeune homme". S'agissait-il de Charles, ou de Hubert ? De leur emplacement, ils ne voyaient pas qui était là. Le lit faisait de l'ombre. Pendant ce temps, la vieille dame continuait de parler au bureau de Paul.

  - Allez, dépêches toi ! Et plus vite que ça !

Toute trace de la charmante vieille dame que Mazarine avait connu s'était évaporée. Il n'y avait plus qu'une vieille créature décharnée, effrayante, aux yeux injectés de sang. Les narines gonflées à bloc, repoussante, la violoniste ne pouvait s'empêcher de se demander comment elle avait fait pour témoigner de l'amitié à la magicienne répugnante.

  Soudain, de l'ombre régnant sous le bureau du frère de Virginie, en soupirant, Hubert s'extirpa laborieusement, avant de se relever. Mlle Wotan s'approcha de lui puis, sans crier gare, lui asséna un grand coup de poêle à frire.

  - Fripouille, ça, c'est pour le coup d'hier !

  Hébété, Hubert la regarda comme s'il lui était poussé un nez supplémentaire. Il était tombé par terre, davantage à cause de la surprise que de la douleur. Là, il observait sans comprendre son agresseur. Celle-ci, l'air d'être dominée par la rage, éructa :

  - Tu ne comprends pas ? Tu as oublié ? Rappelles toi, hier après-midi, vers quatre heures ! Quand tu t'es attaqué par l'arrière, avec traîtrise, à la pauvre vieille dame que je suis ! Dans une situation où j'étais sans défense à cause de ce fichu poivre ! Souviens-toi du vase de Soissons, ordure ! Ah, on était fier, hein ? Mais on fait moins le malin, maintenant, sans ses amis, n'est-ce pas ?

  Elle lui donna un nouveau coup de poêle à frire. Par chance, l'autre n'eut pas l'air de trop en souffrir. Mazarine supposa que la magicienne était si énervée, qu'elle ne faisait même plus attention en visant. La vieille dame continua de vociférer :

  - Et ça, c'est pour le coup suivant ! Ah, désolée mais quand on est énervée, ça soulage ! Et maintenant, dis-moi ce que tu as fait de mon collier !

  - Quel... Quel collier ?

  - J'ai entendu des bruits de cavalcade il y a même pas vingt secondes, et elles allaient ici ! Il y avait au moins une personne qui courait ! Je suis certaine qu'elle s'est occupée du collier, et que cette personne, c'est toi ! Alors, dis-moi tout de suite ce que tu en as fait !

  - Pas touche à mon frère !

  Surprise, Brunhild Wotan se tourna vers le nouvel arrivant. Paul et Mazarine reportèrent leur attention vers la porte. Charles venait d'arriver. Eberluée, la sorcière resta de marbre devant l'apparition, sans obéir.L'enseignant clama alors à nouveau :

  - Lâchez-le, vous dis-je !

  Hélas, la magicienne ne mit que quelques secondes à réagir. Elle donna un semblant de coup de pied à Hubert afin de l'éloigner, et attrapa son frère en criant :

  - Tu as gagné, l'helléniste, c'est toi que j'interroge. Après tout, tu sauras sans doute mieux que l'autre dire ce que vous avez fait de mon pauvre collier : il est complètement stupide ! Alors, tu parles tout de suite ou je dois user de mes pouvoirs ?

  La colérique vieille dame attrapa le professeur, et le secoua de toutes ses forces. Celui-ci, trop peu costaud, ne réagit pas. C'était que Brunhild montrait une force incroyable, pour son âge. La tête de sa victime ballottait d'avant en arrière, pendant qu'elle lui crachait des propos afin qu'il avoue où se cachait le collier. Mazarine, qui assistait à toute la scène, serait tombée par terre si elle n'était pas déjà assise sur une pile de pull. Elle était horrifiée à l'idée que ses amis se fassent brutaliser pour avouer quelque chose qu'ils ne savaient pas. Sans compter qu'elle sentait que c'était de sa faute, puisque c'était elle qui s'était occupée du collier.

  Quant à Paul, il ne supportait pas plus qu'elle de voir ses amis se faire torturer. Mais contrairement à elle, il réagit. Sans crier gare, il jaillit du placard comme un coup de vent et décocha un coup de poing à la vieille dame qui en tomba par terre. Puis, oubliant complètement la violoniste, toujours dans son placard, il prit chaque frère par la main.

  - Fichons le camp !

  Ils s'enfuirent et ne tardèrent pas à disparaître. Le vacarme de leur course s'estompa dans la maison dès lors silencieuse. La jeune fille, toujours cachée, observa Hild. Apparemment, la magicienne n'avait pas remarquée la violoniste toujours tapie dans le placard.

La vieille dame soupira, puis se tourna vers la fenêtre. Elle l'ouvrit, malgré la fraicheur de l'automne. Elle inspira l'air parfumé de la nuit. Mazarine se tendit ; Brunhild ne faisait pas attention, c'était le moment de s'en aller !

Mais au moment où la jeune fille brune s'apprêtait à sortir de l'armoire, la vieille dame se détourna brusquement de la fenêtre. En soupirant, fatiguée, elle se laissa tomber sur la chaise de bureau de Paul.

  Mazarine se laissa elle aussi retomber, mais sur la pile de pull. Terrifiée, elle se mordit les lèvres. Heureusement qu'elle ne s'était pas relevée un peu plus tôt ! Elle n'osait même pas imaginer ce qui aurait pu se passer !

  Et Mlle Wotan restait toujours sur sa chaise de bureau, sans bouger, sans parler. La fugitive consulta sa montre, aux aiguilles heureusement phosphorescentes. Il était six heures. Cela faisait une demi-heure qu'elle était coincée dans ce placard ! Dans une heure, leurs tourmentes seront finies !

Hélas, sa joie fut ternie lorsque, essayant de bouger pour adopter une position plus confortable, elle se trouva toute raide. En grimaçant, elle espéra que Brunhild se déciderait bientôt à partir de la pièce. Car si elle restait une heure de plus enfermée dans ce placard exigu, qui sentait le renfermé, elle allait devenir folle !

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