L'Aube des survivants

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  La vieille dame, avachie sur la chaise, regarda sa montre. Le bruissement engendré par ce geste réveilla Mazarine qui, depuis maintenant un bon moment, somnolait. L'attente et la fatigue avaient vaincu sa crainte, et elle s'était assoupie. Par chance, elle ne ronflait pas. Heureusement, d'ailleurs ! Ce serait vraiment bête, de se faire prendre pour une telle chose !

De son côté, Brunhild blêmit.

  - Bon sang, déjà six heures ! Il ne me reste plus qu'une heure pour retrouver mon collier... Je n'aurais jamais dû attendre qu'ils se décident à dormir ! Mais en même temps, je ne pouvais pas me savoir, qu'ils avaient décidé de passer une nuit blanche... Mais si j'avais su, je serais venue dès minuit. J'aurais gagné un temps inestimable... Bon, j'en ai déjà gagné un peu en coupant la connexion internet et l'électricité, ils ne peuvent plus appeler personne. D'ailleurs, c'est tout ce que ma magie me permet de faire, maintenant ! Au fur et à mesure que le temps passe pendant que je suis loin de mon bijou, mes pouvoirs me quittent... Bon, maintenant que je vais mieux, je ferais mieux de me mettre à la recherche de mon collier. Il ne me reste plus qu'une heure ! Et je dois le faire payer à cette fichue bande de gamins !

  La vieille dame sortit de la chambre en grommelant toujours bas. Mazarine écouta les pas qui s'éloignaient, puis soupira. Elle s'apprêta à sortir de l'armoire, pour bouger et étendre ses membres raides. Mais elle décida d'attendre quelques instants supplémentaires au cas où.

Elle fit bien ; quelques secondes plus tard, elle entendit des bruissements s'estomper. Elle en déduisit que Brunhild avait fait semblant de s'éloigner, des fois qu'un dernier fugitif serait caché là. Sa théorie fut confirmée lorsqu'elle entendit des cris à l'étage du dessus. Maintenant, il n'y avait plus de risque ; la vieille dame était définitivement partie.

Enfin tranquille, elle préféra paresser encore un peu dans sa cachette. Du fait de sa nuit blanche, elle commençait à avoir une très grosse envie de dormir. Elle devait lutter pour ne pas s'allonger sur les habits de Paul, et faire un bon somme. L'endroit, auparavant étroit à ses yeux, lui paraissait à présent agréablement chaud et douillet.

Soudain, d'autres cris retentirent. Elle se redressa d'un coup sur son séant. Que pouvaient bien faire ses amis ? Malgré sa fatigue, elle préféra savoir où ils en étaient. Elle tendit la main pour pousser le battant du placard. Quand il fut suffisamment ouvert pour la laisser passer, elle s'extirpa du meuble à quatre patte. Elle attendit un peu, le temps que son corps se dégourdisse, puis fit quelques pas sur le seuil de la chambre.

Elle hésita. Où aller ? Elle songea à aller en haut, pour savoir comment s'y déroulaient les événements. Pour finir, elle décida plutôt d'aller au rez-de-chaussée, vérifier si personne n'était là. Elle s'aventura dans le salon, avant d'entendre des pas. Elle s'empressa de se réfugier dans le placard où Charles avait trouvé son parapluie, pour agresser Me Mordaume. Depuis sa cachette, elle vit que c'était seulement Virginie. Elle l'appela :

  - Psst, Vivie ! Par ici !

  La danseuse allait pousser un cri de frayeur, mais elle reconnut rapidement sa meilleure amie. Elle s'écria - mais pas trop fort, pour ne pas être surprise - :

  - Zaza, je suis tellement contente de te voir ! Mais allons plutôt dans le jardin pour discuter, je connais une super cachette !

  Docile, Mazarine suivit sa meilleure amie dehors. Mais avant, la jeune fille blonde prit la clef de la serrure, sortit puis ferma la porte avec.

  - Bonne idée, Vivie, approuva la violoniste. On sera tranquilles, comme ça. Mais si les autres veulent sortir ?

  - Tant pis pour eux. De toutes façons, ils ne penseront pas à aller dehors. Il n'y a que moi qui connaisse cette cachette, parce que c'est moi qui l'aie construite.

  La danseuse mena sa copine derrière un buisson de camélia.

  - Là, chuchota-t-elle, on sera tranquille. Zaza, tu peux m'expliquer comment tu t'es débrouillée, quand Paul a éteint la lumière ?

- C'était lui ? Je ne savais pas.

- Oui, mais peu importe. T'en as fait quoi, du collier ?

  - Je m'en suis débarrassée, mais je préfère ne pas te dire où. Tu comprends, avec Hild, je préfère faire attention... Elle serait capable de te battre pour savoir où il est. Après, je me suis cachée dans la chambre de Paul, dans son placard. Il était aussi là. Pour finir, il y a eu petit problème avec Hild et ton frère est parti je ne sais pas où avec Charles et Hubert. Moi, je suis restée cachée dans l'armoire. Hild est restée là une demi-heure sans bouger. Elle s'est mise à parler toute seule, elle disait qu'elle avait coupé internet pour pas qu'on appelle les secours. Elle avait aussi coupé l'électricité...

- Ah ! réalisa son interlocutrice. Je comprends, maintenant, pourquoi ça ne marchait pas, quand on voulait appeler la police !

L'autre la regarda, surprise. L'adolescente blonde expliqua :

- Avec Charles, on a essayé à tour de rôle d'appeler quelqu'un - les voisins, les pompiers, la police - mais ça ne marchait pas. Mais bref. Ensuite, qu'est-ce qui s'est passé ?

- A la fin, Mlle Wotan est repartie à la recherche de son cher collier. Quant à moi, je suis descendue et je t'ai trouvée. Et toi, t'as fait quoi ?

  - Moi et Charles, au début, nous ne nous sommes pas quittés d'un pas. On s'est mis dans la salle de bain. Je me suis allongée dans la baignoire et lui dans la douche, avec le rideau tiré. Ça allait très bien, jusqu'à quand j'ai été prise d'une crise d'éternuement. Là, ça a été un peu flou... On a déguerpi de la salle de bain. J'ai dévalé les escaliers, et j'ai perdu l'autre.

Un silence suivit ses propos. Ni l'une ni l'autre ne savait plus quoi dire.

Mazarine ne put s'empêcher de frissonner. Il faisait un froid polaire. En sortant, elle n'avait évidemment pas pris son manteau. Mais hors de question d'aller le chercher. A la place, elle contempla le ciel. Elle le voyait à travers les feuilles de camélia. Il n'y avait pas encore de fleur, ils étaient seulement en automne. Elle n'apparaîtrait qu'en janvier. Virginie rompit soudain le silence.

  - On fait quoi ? On rentre ?

- Je pense pas. C'est dangereux...

  - Mais, protesta la danseuse, je commence à avoir froid ! On n'a pas pris de manteau, et on risque bientôt de se transformer en blocs de glace ! Et je veux savoir ce qui se passe à l'intérieur ! conclut-elle, tel un enfant gâté qui voulait avoir quelque chose.

  Soudain, dans la maison, quelqu'un poussa un cri. La personne qui le proférait était si effrayée qu'il était impossible de savoir qui était le propriétaire de cette voix. Les deux filles réagirent héroïquement au quart de tour, mais aussi sottement :

- J'y vais !

  - Moi aussi !

- Allons-y ensemble !

- Et vite !

- Faut se grouiller !

- On a peut-être besoin de nous !

Elles coururent à en perdre haleine jusqu'à la porte. Elles la réouvrirent et entrèrent. Virginie referma le battant, puis mit la clef dans sa poche. Au même instant, quelqu'un qu'ils n'identifièrent pas dans l'obscurité se rua vers eux en hurlant :

  - Tout le monde dehors ! La monstresse débarque ! Fichons le camp !

  La personne, qui dévalait manifestement les escaliers, sauta soudain une marche et tomba sur les deux copines. Les minutes qui suivirent furent floues, pour Mazarine. Il y eut quelques secondes de pagaille, où tout le monde roula pas terre, emmêlé dans un méli-mélo de jambe et de bras. Vu le bazar qu'il y avait, la violoniste se demanda si ce n'était pas une personne mais plutôt le reste de la bande qui venait de dégringoler littéralement les escaliers.

  Il fallut ensuite plusieurs minutes supplémentaires pour que tout le monde puisse se démêler, se relever et enfin reprendre ses esprits. Il s'avéra que la personne qui venait de tomber sur elles n'était autre que le professeur particulier de langues mortes.

  - Mais, enfin, Charles ! siffla l'adolescente blonde, furieuse. Qu'est-ce qui te prends ? Tes parents ne t'ont pas appris, quand t'étais jeune, qu'il ne fallait pas courir dans les escaliers ? Et puis...

  - Dehors, je vous dis ! haleta l'enseignant avec une respiration saccadée, comme s'il venait de courir le marathon. Mlle Wotan est là !

  - Bon, déclara Mazarine. Vivie, tu as la clef, tu peux...

  - Non, rétorqua celle-ci. Lorsque Charles est tombé sur nous, les clefs sont parties de ma poche !

  - Ben, il n'y a qu'à allumer la lampe, qu'on les retrouve et qu'on puisse sortir ! s'exclama l'enseignant, excédé.

Il se mit à appuyer sur l'interrupteur. Mais ce fut sans résultat. Frappée, Mazarine s'exclama :

- Attendez ! Je me rappelle, Brunhild avait dit qu'elle avait coupé l'électricité ! On ne peut pas allumer les lampes !

  - Alors on est fichus, conclut Charles en se laissant tomber sur le canapé.

  - Mais non, fit la jeune fille brune avec un grand sourire pour rassurer le professeur. Et où ils en sont, les autres ? Tu sais ce qu'ils sont devenus ?

  - Qu'importe, puisqu'on est fichus !

  - Mais c'est très important ! s'écria Virginie. On est fichus, peut-être, mais avant de mourir, j'aimerais autant savoir ce que fabrique mon frère !

  - Tu vois. Même toi, tu dis qu'on est fichus ! insista l'enseignant. Alors, franchement...

  - Bon, s'énerva la violoniste. Dis tout de suite que tu ne sais pas ce que les autres font, ce sera plus rapide. Moi, en tous cas, je monte là-haut pour voir ce qui se passe, que ça te plaise ou non !

  Elle joignit le geste à la parole, et grimpa les escaliers quatre à quatre. Soudain, il y eut des cris, des bruits de cavalcades. Elle vit descendre l'escalier tout d'abord Paul, hurlant, si terrorisé qu'il ne la remarqua même pas, puis Hubert. Ce dernier roulait sur les marches plus qu'il ne les descendait. Il avait du perdre son équilibre, alors qu'il courait.

  Mazarine s'immobilisa dans un recoin sombre. En effet, c'était au tour de Mlle Wotan de débarquer. Elle criait à s'en casser la voix. La collégienne attendit que la vieille dame enragée ait fini de passer après ses amis avant de reprendre son chemin. Comme ce à quoi elle s'attendait, Brunhild ne remarqua pas plus que les deux garçons sa présence. Lorsqu'elle fut loin, la violoniste monta les marches sur la pointe des pieds.

  Si, tout à l'heure, elle avait eu envie de dormir, maintenant, elle avait tellement peur qu'elle oubliait toute fatigue. L'adrénaline la maintenant en pleine forme.

La jeune fille hésita quant au choix de sa nouvelle cachette. Enfin, elle alla dans la chambre de Virginie, défit les draps, prit les housses de couette et les assembla de manière à faire une corde. Pour parfaire la mise en scène, elle noua l'une des extrémités à la chaise de bureau. Elle ouvrit ensuite une fenêtre et mit dehors la corde improvisée, de manière à faire croire qu'elle était sortie par là. Enfin, elle se réfugia derrière la porte qu'elle laissa ouverte.

  Pendant ce temps, en bas, les cris n'avaient pas cessé. Au contraire. A les entendre, la violoniste pu réaliser à quel point cela aurait été une mauvaise idée, pour elle, que de rester au rez-de-chaussée. Pour commencer, il y avait eu des hurlements déformés par la peur au point qu'elle n'arrivait pas à identifier qui les poussait. Ensuite, il y avait eu des raclements étranges, des chocs, comme si ses amis essayaient de faire une barricade.

  Puis, vingt minutes plus tard, c'est à dire vers six heures et demie, plus rien. Il n'y avait plus eu de bruit. Mazarine n'arrivait pas à savoir si c'était une mauvaise chose ou non. Enfin, cinq minutes plus tard, elle entendit des bruits de pas. C'était Brunhild qui montait. En même temps, elle l'appelait :

  - Mazariiiiiine... Tu es où ? Tes amis vont bien, ils m'envoient te chercher !

  "Dans ce cas", pensa la jeune fille furieuse, "qu'ils viennent me voir eux même !"

  Soudain, la vieille dame entra dans la salle. l'adolescente sentit son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine. Mlle Wotan avait-elle devinée où se cachait la fugitive ? Mais il n'en fut rien. Elle ne vit que la mise en scène de Mazarine, avant de tomber dans le panneau.

  - Oh, la sale gosse ! Elle s'est enfuie ! Si jamais je la retrouve, je... Je préfère ne pas savoir le traitement que je lui prodiguerai ! Mais il sera la pire des illusions que je n'ai jamais faite !

  La magicienne partit aussitôt. Intérieurement, la violoniste se félicita de sa ruse. Elle somnola une demi-heure encore, ne sachant que faire. Puis, à sept heures cinq, le soleil commença à se lever. Elle descendit lentement les escaliers.

Mais, à l'instant où elle fut en bas, elle regretta de n'avoir pas patienté ne serait-ce qu'une minute de plus. Apparemment, la nuit n'était pas finie. Les yeux creusés de cernes, la vieille dame était toujours là. Elle maintenait Charles, Hubert, Paul, et Virginie dans un cercle de feu vert. La jeune fille s'empressa de remonter les escaliers, mais trop tard. Brunhild Wotan l'avait vue.

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