L'oeil du désert

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Pilbara, 2023 : "Les sèches et stridentes sonorités des rafales ventées sur le chemin de fer brisé, glace ton sang malgré la chaleur étouffante. Royal te chasse, jamais la hargne d'un reptile ne m'avait tant marqué, plus rapide, plus fort, plus résilient, tu dois te résoudre à souffrir.

C'est au moment où sa gueule béante prétendra pouvoir arracher tes membres postérieurs que tu te devras de le priver de son seul œil encore valide, tu t'en extirpera avec courage et soignera tes blessures au dispensaire des révoltés non loin de là, auxquels, tu leur dira "Échec au Roi".

Kaela, ce moment que je décris est le tien, une chair de vérité me l'a offert, ne résiste pas, s'il te plaît, ne résiste pas.".

L'intrépide aventurière venue chercher des réponses, repose le vieux papier d'eucalyptus vêtu de mystères sur la table poussiéreuse qui semblait l'attendre, un cristallographe est à sa droite, une roche d'un éclat rare y est posée.

Les questions s'accumulent, le périple n'est qu'à son commencement...

La baraque de fortune du vieux dément est complètement désorganisée, on croirait que nul n'y a mis les pieds depuis une décennie à minima, pourtant, sa mort est récente.

Elle visite les lieux, tout en gardant une certaine distance en gage de respect pour la vie et l’œuvre d'un homme qu'elle n'a que peu connu...

Le fouillis ne délivre que peu d'indices quant à la disparition de son grand-père, le seul lui ayant été donné, provient du mystérieux télégramme d'époque transmis par le notaire, celui-là même l'ayant averti de la fin des agissements du révolté aux cheveux grisonnants.

Kaela comprend que rien ne l'y aidera dans cette vieille bâtisse métisse de tôles et de planches, elle en sort frustrée et prend la direction du seul lieu vivant de Townee : Le cercle de jeux.

Malgré une atmosphère étouffante, l'espace vierge de toute constructions humaines qui lui fait face, est une bouffée d'air frais. Le cercle est à quelques kilomètres, le temps d'apprécier le paysage, seul point positif d'une journée jusque là, très pénible.

L'air sec et son compagnon ardent taquine les avants bras nus et bronzés de la jeune femme, le choix d'un ensemble court en toile de jute était pertinent pour s'épargner les souffrances de l'étoile diurne, un peu moins pour les Taipan aux aguets...

L'intrépide progresse sur une terre fracturée et assoiffée, quelques pousses de végétaux résilients y subsistent néanmoins. En tournant la tête, elle ne parvient plus à distinguer l'ermitage abandonné de son filleul, signe d'une avancée même minime.

En effet, la chaleur lui fait perdre, repères spatiaux et temporels, 1 heure en devient 10 et 1 miles, une centaine...

Kaela avance encore, quelques hangars à sauriens, synonyme de fermes d'élevage décorent le paysage, sans compter les empreintes animales suggérant qu'un cours d'eau n'est pas loin, donc Townee non plus. Trois-cent et douze pas plus tard, une route se dessine, elle la suit et à l'horizon, se trouve son objectif, "Enfin !" Se dit-elle.

La petite ville est rythmée par les allées et venues des mineurs d'opales, éleveurs de crocodiles et routiers voyageurs venant s'y reposer, toutefois malgré la présence d'un casino, la débauche n'imprègne pas le lieu, c'est même plutôt calme.

La population, essentiellement des familles de mineurs, n'est pas très avenante, leur silence s'avère glaçant pour beaucoup, et Kaela ne fait pas exception.

Elle se brusque sur le chemin pour ne pas se laisser surprendre par le crépuscule annonçant la domination prochaine de l’obscurité.

Un véhicule de ranger lui barre la route tandis que le conducteur l'accoste :

« Je suppose que vous êtes nouvelle ? » Dit l'homme d'une trentaine d'année au bel aspect.

« Je suppose que vous êtes perspicace ? » Réplique ironiquement l’intrépide.

La fatigue rend Kaela peu tolérante à la bêtise, elle poursuit son chemin en essuyant les étranges regards de la population silencieuse.

Le ranger, visiblement tenace, l'accoste de nouveau et met l'accent sur un point qui intrigue particulièrement la jeune femme :

« Pourquoi ne vous disent-ils pas un seul mot ? »

« Suis-je censée le savoir ? »

« Le silence est d'Opale en ce lieu, jeune demoiselle. » Dit-il mystérieusement d'une malice non-dissimulée.

L'agacement de Kaela est à son comble, elle aperçoit enfin l'entrée du casino et s'y dirige innocemment...

Le cercle n'est qu'un modeste bâtiment muni d'un panneau publicitaire dysfonctionnel du aux caprices d'un groupe électrogène intermittent, davantage occupé à faire fonctionner les machines de jeux.

De multiples bois composent la structure, l'intérieur jouit d'une décoration d'un autre temps, à base de toiles de couleurs, parquet grinçant et tables de pierre polie.

L'une d'entre elles, la plus grande, est en ivoire, on y pratique le Cristal, attraction locale dont la participation ne dépend que d'une bourse d'opales, industrie florissante ayant évité à Townee de finir comme de nombreuses autres bourgades de l'Outback, fantôme…

L'intrépide jeune femme, commande une boisson locale tout en prenant soin d'observer la partie de Cristal qui se joue sous ses yeux.

Chaque participant dépose sa bourse d'opales brutes quotidienne au nombre de cinq maximum sur l'un des coins de la table, le croupier en pioche une au hasard dans chacune et laisse le soin au propriétaire d'examiner la roche choisie.

Il leur demande ensuite un nombre correspondant aux secondes de polissage nécessaires pour atteindre le cœur communément appelé "chair de vérité", l'exactitude du pronostic dépend de l'expérience du mineur.

En effet chaque opale possède une croûte plus ou moins épaisse et tendre selon sa rareté.

Toutes les opales en jeu reviennent au vainqueur du premier tour, joué cinq fois.

Vient ensuite, le second tour, toutes les opales sont polies et peuvent être imprégnées…

L'imprégnation d'une opale, est selon une vieille légende aborigène, le moyen de séparer son âme du corps afin de l'offrir à l'univers, l'esprit peut ainsi voyager à travers le temps et se protéger des faiblesses d'un corps.

Chaque opale a des caractéristiques différentes, les plus rares peuvent accueillir des visions futures, les plus communes accueillent les souvenirs.

Les participants à ce jeu dangereux le savent, imprégner une opale les privera d'un passé agréable ou non, voir même d'une perspective future.

Il n'est possible de consulter le contenu d'une opale imprégnée que par le moyen d'un cristallographe ou d'un "rêveur", le plus souvent aborigène, ce genre d'individu possède une compétence rare et convoitée…

Kaela continue de s'abreuver mais commence à voir trouble, l'intrépide ne s'inquiète pas plus que cela, attribuant l'altération de sa vision à une dose d'alcool plutôt élevée…

Le second tour arrive enfin, les participants se saignent intentionnellement et colorent leurs opales, préalablement épousées par un soluté spécial tenu secret et nécessaire à la méthode. Gagner au premier tour, outre les gains financiers, permet au vainqueur de donner certains types d’opales aux perdants, parmi celles de sa bourse récemment garnie, afin d’avoir accès, en cas de seconde victoire à des évènements précis logées dans les esprits de ses adversaires.

Toutes les opales sont ensuite gravées par le croupier et déposées au centre.

Les chiffres gravés correspondent au désir personnel des participants, ils peuvent être une date de naissance, un porte-bonheur, ou un numéro d’habitation mais bien souvent, ils ne sont rien de tout cela, pour garder le mystère et donc protéger son esprit des vautours malins.

Chaque opale lors de son imprégnation prend une couleur distincte qu'elle perd à la fin du processus. Lorsque le croupier prend une opale au hasard, la plonge dans le soluté révélateur de son éphémère couleur et la montre aux participants, ils doivent donner un chiffre.

Le propriétaire de l'opale devrait se souvenir de la couleur…

Comme pour le premier tour, un pronostic exact est synonyme de gain de l'opale. Mais l'on ne peut pas graver n'importe quel chiffre sur l'opale, la variété de l'opale ne tolère qu'un certain champ de possibilités laissant une chance au non-propriétaire de s'approcher du juste prix.

Kaela, un peu éméchée, observe la détresse d'un homme ayant perdu son opale, elle a un flash, celui de la roche éclatante posée sur le cristallographe de son grand-père.

Elle se lève brusquement et regagne l'ermitage du vieux dément, en pleine nuit, suivie par deux hommes vraisemblablement vierges de toute bonté…

Elle court longtemps dans le froid cruel d'un environnement versatile, mais son corps bien trop atteint par la substance, l'abandonne dans la course.

Elle est rattrapée mais les deux individus ne lui font rien, ils pénètrent la baraque tôlée et cherchent vigoureusement quelque chose aux sons des tables et chaises meurtries.

La jeune femme se traîne jusqu'au cristallographe mais ne voit rien, l'opale n'est plus là, du sang habille la fenêtre poisseuse, les hommes se sont enfuis mais sont vraisemblablement blessés.

L'aventurière éméchée les pourchasse dans la nature nuitée mais arrivée au lit d'une rivière, elle trouve un corps dont l’œil droit est transpercé d'une opale, quasiment exsangue, une dent de crocodile est posée sur sa langue pendue et une araignée-chasseuse morte, siège au creux de ses mains...

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