3. Ici
Véronique vient ici trois fois par semaine, le mardi, le jeudi et le samedi. Pas toujours aux mêmes horaires bien entendu, la salle est occupée le soir les mardis et les samedi notamment. Il y a des cours et des répétitions.
Véronique ne vient pas pour danser elle. Elle est payée pour récurer le parquet, frotter les vitres et les miroirs, lustrer la barre de maintien et faire en sorte que les deux douches et les toilettes restent accueillantes pour celles et ceux qui viennent chaque semaine entraîner leur corps à encaisser cet art aussi physique que spirituel.
Elle commence toujours par sortir tout son matériel du petit local à côté des douches, puis vérifie qu'il n'y a aucune toile d'araignée au plafond. Mais elle ne les enlève pas toujours s'il y en a, elle aime bien ces petites bêtes, elles sont utiles et discrètes, assez discrètes en tout cas tant qu'elles n'ont pas tissé une toile de quinze mètres de long au-dessus des danseurs et danseuses. Ce soir, il n'y a pas de toiles apparentes. Elle donne donc un petit coup de chiffon sur les quelques endroits où la poussière pourrait venir s'accumuler, quelques plaintes, le rebord des fenêtres, la petite table avec la grande enceinte qui sert certainement à inonder la pièce des œuvres classiques les plus connues et d'autres musiques plus contemporaines sans doute.
Et la double barre.
Cette double barre sur laquelle elle pose sa main et sent ce bois presque chaud, très douce au toucher, aucune écharde, aucune bosse ou presque, cette barre lui rappelle tant de souvenirs.
Véronique était danseuse. Voyant ses copines de collège partir avec leur sac rempli d'affaires de rechange pour les cours de danse du mercredi après-midi, toutes les semaines, elle a décidé de demander à se mère une dernière fois pour lui payer l'inscription. Mais le refus qu'elle obtint n'était pas celui auquel elle avait eu droit jusqu'alors, c'était un refus qu'elle s'était décidé à outrepasser en se promettant de tout mettre en œuvre pour arriver à atteindre son objectif. Elle avait alors travaillé dur. A l'aide d'une entente mise en place entre sa mère et elle, elle s'était d'abord occupée de tâches conséquentes dans la maison. Mais sa famille ne possédant pas beaucoup d'argent, les limites de ce qu'elle pouvait tirer de ces opérations furent bien trop vite heurtées. Elle frappa aux portes voisines et obtint après quelques semaines et de nombreux travaux la somme nécessaire. Tous les ans pendant cinq ans elle prit le temps, après l'école et après les cours et avant d'aider maman à la maison, de faire le tour de sa petite ville afin d'accomplir ses différentes missions.
Très vite, elle prit goût à la danse. Très vite, elle se rendit compte qu'elle ne venait plus aux cours pour faire comme ses copines, ni simplement pour les suivre. Elle s'y rendait parce qu'elle en avait désormais besoin. Chaque pas qu'elle posait au sol, chaque pose qu'elle tenait malgré les tremblements de son corps fragile, chaque figure qu'elle passait enfin après des mois d'entraînement seule dans sa chambre, chaque respiration dans la belle salle de danse étaient autant de manière de hurler sans bruit.
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