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Sybil contourna la maison et gara la voiture dans la cour, à l’arrière. Plutôt que d’escorter son invitée jusqu’à la porte, elle souleva le volet du garage, juste assez haut pour les laisser passer, puis le laissa tomber dans leur dos. Elle se glissa dans la pénombre jusqu’à la porte de la buanderie, restée déverrouillée. Le battant ouvert, sa main palpa le mur de pierre jusqu’à l'interrupteur. Elle alluma la lumière qui, dès lors, invita Julia à la rejoindre dans la maison.

— C’est bien prudent de faire ça ? s’inquiéta l’invitée.

— Toujours mieux que de passer la nuit dehors. Après deux ou trois verres, je ne trouve plus la serrure.

Sans faire cas de l’air réprobateur dont la toisait sa conquête, Sibyl lui indiqua obligeamment la salle de bains, attenante à la chambre à coucher. Elle lui résuma du mieux qu’elle put la rangée de jets massants de la douche à l’italienne, puis la laissa à sa toilette.

Tandis que la belle lavait le sang et la sueur qui maculait sa douce peau, Sibyl s’étendit sous les voiles pourpres du lit à baldaquin. Son corps las s’enfonça dans la mollesse du matelas. Aspiré. Avalé.

Une autre couche.

Le rouge de son foulard qui lui glissait des clavicules, comme Gabrielle le lui ôtait.

Une main de coton rampée jusqu’à son cœur.

C’est une abomination

Les feux des Enfers qui leur brûlaient aux lèvres, les diables sous leur peau, tous gorgés de luxure, à murmurer par elles. « Oui, tu es mon abomination. »

… où tu mourras je mourrai, ibique locum accipiam sepulturae.

Enterrée. Sa gorge serrée n’attirait plus un souffle. Ses mains s’accrochèrent aux couvertures, tâchant de l’extraire à sa tombe de satin. Sibyl convulsait, à deux doigts d’étouffer.

Tout n’était qu’ombre à ses yeux. Le noir néant. Et les coulées de sel ravinant son visage figé.

Dans ce vide infini, une mort tendre l’enveloppa. Des chairs nues à la senteur de noix de coco. Les mains noires, plaquées contre sa face, balayèrent le chagrin de ses joues.

Une haleine chaude à son oreille.

— Lucie ? Lucie ! Lucie !

Dans une bouffée désespérée, Sibyl revint à elle. La vue encore brouillée de milliers d’étoiles sombres, elle se cramponna au buste à peine séché de Julia.

— Ne me laisse pas… D’accord ? … Je ne veux pas… mourir seule…

Sans comprendre, ni même essayer, la brune pressa front contre front leurs figures. Les paupières tombèrent, les nez se devinèrent, par frôlements répétés, jusqu’à ce que les bouches, enfin, se livrent l’une à l’autre.

Julia débarrassa avec soin son amante de l’armure de sequins qui, depuis trop longtemps, entravait leurs désirs. Ses paumes fermes embrassèrent fiévreusement chaque côte en saillie qui gondolait le corps maigre offert à son étreinte. Sa bouche bientôt les rejoignit, passant de la joue au cou, de ses petits seins à son nombril sec ; tout à l’inverse de l’entre-cuisses qui accueillit ses baisers, sa langue, ses doigts. Un tourbillon d’huile bouillante, d’envies irrépressibles. Une tornade de chairs lui emportant la main.

Face à sa véhémence, durement contenue, Sibyl ne rencontrait que la puissante douceur de sa partenaire. Chacune de ses caresses s'accompagnait d’un murmure prévenant, d’une parole d’affection. Des mots. Tellement. Un flot de chuchotements qui la crispa d’abord, mais qui n’avait rien de latin. Alors, elle le laissa rouler sur elle, lui effleurer le cœur comme les ongles son sanctuaire. L’un d’eux la griffa. Certains mots la heurtèrent, là même où elle ignorait que logeait une douleur.

— Tu as mal ? demanda encore Julia.

— Non, mentit-elle.

Pas pour faire bonne figure ; mais parce que, soudain, cette poignée de maux lui était précieuse. Une à une, ces modestes brûlures forgeaient la clé d’un plaisir plus intense. Elle en réclamait encore. Encore…

— Encore !

Son buste tremblant sombrait dans la jouissance comme dans une nouvelle tombe. Sibyl se retint au bras noueux qui s’enroulaient en elle. La vue brouillée d’un autre fourmillement, elle palpa à tâtons l’écorce flasque de Julia. Elle enroba de ses jambes frêles le fessier pulpeux, d’une main la nuque qu’elle attira plus près. Enfin, dans un effort de souplesse, elle faufila l’autre contre le membre acharné qui domptait sa libido, contre le duvet soyeux qui colorait le pubis de Julia, contre le clitoris enflé par l’envie.

La blonde contint sa transe, le temps d’articuler :

— Jouons à un jeu. Tu veux bien ? Appelle-moi Sibyl et traite-moi… comme si je résistais… comme si tu t’en fichais.

Julia se figea un instant, les sourcils levés, s’assurant du regard : « C’est vraiment ce que tu veux ? ». À quoi sa partenaire répondit d’un hochement de tête.

Alors les doigts se tendirent. Et la fougue redoubla.

Alors les ongles ripèrent, les langues avides se délièrent, se perdirent, les dents jouèrent des crocs.

Alors elles se dévorèrent de volupté et d’impatience, de frustration, et d’amour, et d’égoïsme, et d’autres choses encore qu’elles ignoraient.

Alors elles se donnèrent l’une à l’autre, à fond, autant d’orgasmes qu’elles le purent.

Et pendant une heure, deux heures, au-delà, plus rien d’autre n’importa.

Ni les cris, ni les noms, ni le sang, ni l’endroit.

Ni le jour nitescent, ni les perles de rosée.

Alors les muscles s’engourdirent.

Alors elles s’essouflèrent.

Évanouies, à l’aube, sans vouloir se lâcher.

Fin de la 1ère partie.

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