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Des talons résonnèrent contre le sol lustré du séjour. Le corps de la belle blonde se raidit, en alerte. Soudain redressée, elle s’arracha prestement à la main suintante de son amante. Elle la tira par le bras et chuchota :

— Ne dis rien, fais comme moi.

Effarée, Constance suivit le mouvement. Toutes deux roulèrent hors du lit et se glissèrent sous le sommier. La porte de la suite s’ouvrit, un jet de lumière éructé par l'entrebâillement. Des escarpins s’avancèrent. Ils furent bientôt si proches que la jeune femme put entrevoir l’éclat émeraude des pierres qui les ornaient.

— C’est ta nana ? chuchota-t-elle d’une voix à peine audible.

Pour seule réponse, la douce Lucie plaqua sa main contre sa bouche.

— Qui est là ? tonna la femme, debout devant les draps défaits, encore humides et chauds.

Le sang de Constance ne fit qu’un tour. Il afflua, de ses muqueuses excitées à son cerveau grinçant.

« Une petite amie jalouse ne demanderait pas qui, mais avec qui. »

Non. C’était trop saugrenu. Ça ne pouvait pas être… Alors que fichaient-elles planquées sous le lit ? Constance tentait de refouler la crainte qui lui tordait les boyaux lorsque la femme confirma tous ses doutes sur un ton menaçant :

— Montrez-vous immédiatement, ou j’appelle la police.

La brune remua, l’autre la retint. La lutte fut brève. L'étreinte chétive de Lucie ne pouvait endiguer la résolution de Constance. La jeune femme se glissa hors de leur cachette, abandonnant contre le sol froid sa compagne encore nue. C’est dans semblable tenue d’Eve qu’elle se redressa, tirant contre son torse le drap satiné, et fit face à l’inconnue qui venait de rentrer. La quadragénaire, d’une élégance désarmante, la fixait avec stupeur.

— Qu’est-ce que vous foutez chez moi ? vociféra-t-elle.

Ne sachant que répondre, l’intruse maquilla son embarras en une semblable peur. Bras crispés, corps prostré, lèvres tremblantes : gestuelle calculée d’une proie aux aboies. Aucun innocent ne chercherait à se justifier, songea-t-elle dans ce court laps de temps. Aussi opta-t-elle pour une parade plus sûre.

— Qu… qui êtes-vous ? demanda-t-elle en imitant la confusion de la véritable maîtresse de maison.

— J’appelle la police !

Voyant la femme brandir son téléphone, Constance se jeta à plat-ventre contre le matelas.

— Non ! implora-t-elle. Vous… c’est… j’ai… loué cet AirBnB. Je n’ai rien fait de mal…

Ce mensonge ne les sauverait pas, elle en avait conscience.

— AirBnB ? répéta la propriétaire, incrédule.

— Mais oui, soutint la voleuse. J’ai loué cette villa sur l’appli… Quelqu’un était là, hier, pour la remise des clés. Un homme… les cheveux noir corbeau. Il… portait… une gourmette. Je vous jure que je…

— Vous avez une réservation ? insista la femme suspicieuse.

Constance avisa son sac, à l’entrée de la pièce. Si elle demandait à la propriétaire de le lui avancer, le poids du bagage à main trahirait assurément son larcin. Vite, une diversion.

— Je… Oui, bien sûr… C’est…

— Montrez-la-moi.

— C’est ma… Écoutez, il y a une autre femme toute nue, là, sous le lit. Vous voulez bien vous tourner, au moins, le temps qu’on se rhabille ?

La quadra gardait le regard braqué sur elle. Évidemment, elle n’allait pas se retourner au risque de les laisser se barrer par la fenêtre, ou pire, de la prendre à revers.

— Eh bien ? Elle va se montrer ?

À contrecœur, la seconde squatteuse s’extirpa de sous le lit. Aussitôt qu’elle découvrit ses côtes apparentes et son pubis rasé, la propriétaire détourna légèrement les yeux, gênée. Constance en profita pour ramasser ses vêtements. Sa camarade resta interdite. Ses yeux allaient et venaient entre la robe à sequins, en boule sur un siège, et la moue de la brune. Elle l’implorait du regard.

« Évidemment, la robe non plus n’est pas à toi… »

Constance soupira. Elle colla ses fringues dans les bras de sa compagne d’infortune et, les pupilles insistantes, lui intima de les enfiler. Elle reprit son bégaiement pour endosser la faute :

— Le propriétaire… je veux dire, l’homme des clés, il m’a dit de faire comme chez moi, de me servir, que tout était… à disposition. Alors j’ai… Désolée pour la robe, elle n’est pas abîmée.

Elle resserra le drap contre ses seins. La femme la fusillait du regard.

— Eh bien ? Où est votre valise ? Vous êtes bien venues avec une valise, non ?

— C’est que…

Où diable l’autre avait-elle caché ses bagages ? Constance avait retourné la demeure de fond en comble, vidé les placards. Elle n’avait rien vu qui ressemble aux affaires dissimulées par une usurpatrice. Il y avait bien une pièce qu’elle n’avait pas fouillée…

— Dans la buanderie.

Elle esquissa quelques pas pour sortir de la chambre et, l’air de rien, attrapa son sac au passage. L’œil inquisiteur, la propriétaire escorta les deux délinquantes jusqu’à la pièce du fond. Lucie traînait les pieds dans ses vêtements trop amples. Constance manquait de prendre les siens dans sa toge de literie.

La lumière se fit sur le local exigu. Un soupir de soulagement ébranla les narines de la brune, dès qu’elle découvrit le gros sac de voyage posé sur la machine à laver. Il était resté ouvert, quelques habits chiffonnés entre les rangées de dents de la fermeture éclair. Constance s’avança, y piocha fissa un t-shirt à coupe droite et une jupe fluide. Les prunelles intransigeantes de la quadragénaire ne lui laissant aucun répit, elle rentra le ventre et se tortilla du mieux qu’elle put dans le XS étriqué de la blonde brindille. Le tissu serré lui compressait les seins, elle respirait à peine.

À présent que la gêne s’estompait, la méfiance de la proprio se faisait plus aiguë.

— C’est un drôle d’endroit pour poser ses bagages, non ?

— Je…

Elle jeta un coup d’œil à la soi-disant Lucie. Celle-là fixait le sol, penaude.

— J’ai loué cette villa pour lui faire croire que j’étais riche, affirma Constance. Je voulais l’impressionner… Vous pouvez me croire ou pas. De toute façon, maintenant qu’elle sait, elle va me jeter. Putain de fausse annonce… Regardez…

Misant tout sur son jeu d’actrice, la jeune femme dénicha son téléphone dans son sac, sans rien déranger de son précieux butin, et chercha l’appli que, fort heureusement, elle n’avait pas supprimée.

L’important, pour bien mentir, c’est de croire en son histoire, de se la raconter encore et encore, jusqu’à être capable de l’interpréter. Tout en cherchant l'icône, Constance imagina les détails d’une annonce à laquelle elle aurait répondu. Elle se prépara à trouver la villa dans la liste de ses voyages. Elle se convainquit que le lien du logement devait s’y trouvait puisque, bien sûr, elle l’avait réservé.

C’est sans le moindre effort qu’elle tomba des nues en découvrant la liste vide.

— L’annonce a… été supprimée ?

Le ton était impeccable ; sa langue rodée aux mensonges les plus habiles, plus encore qu’aux baisers. Combien en avait-elle séduites et détroussées ? Celle-là succomberait, elle aussi, à sa moue ingénue et à sa voix cassée.

« Les femmes comme toi adorent se sentir supérieures, sentir que les autres sont bêtes, à leur merci… Les femmes comme toi savent se montrer clémentes, rien que pour brosser leur ego. Et surtout, les femmes comme toi n’utilisent pas AirBnB. »

— Merde, merde, merde… Putain d’arnaque ! Comment j’ai pu… Qu’est-ce que je vais faire ?

Elle fondit en larmes, sur commande. Une comédienne née ! Le scepticisme de la quadra laissait peu à peu la place à une sorte d’agacement.

« Ouais, mes petits problèmes de pauvre, ça t’exaspère, hein ? »

— Combien ?

Lucie releva la tête. Constance réprima un sourire victorieux. Elle fit semblant de ne pas comprendre.

— Comment ça ?

— Combien vous avez payé ?

— Trois-mille. Des mois de salaire…

— Vous auriez mieux fait d’acheter les services d’une fille plus jolie, non ?

La langue pressée contre le palais, elle se retint d’imploser.

« Jouer les victimes… ne pas s’emporter… »

— Suivez-moi.

Constance ferma le sac qui n’était pas le sien, le hissa sur son épaule. Elle poussa par la taille sa conquête de la veille, tout juste dénigrée. Puis, du même pas traînant, elles rejoignirent la femme à son secrétaire. Sans un mot, cette dernière remit un chèque entre les doigts de la brune. Elle ordonna :

— Maintenant fichez le camp.

— Désolée pour le dérangement…

En sortant dans la cour, en grimpant sur le siège passager, puis tout le temps d’un trajet qui semblait une errance sans destination, Constance conserva la même mine déconfite. Au bout d’une trentaine de minutes, la conductrice stationna le long d’un trottoir de la banlieue de Ceslieux, non loin des berges Ouest.

— Désolée pour tout ça, lâcha-t-elle. Où est-ce que je te dépose ?

— J’en sais rien… C’était quoi le plan, hein ?

Aucun mot ne remua les lèvres de Lucie, même pas une tentative.

— C’est quoi ton vrai nom ?

Il n’y eut que le silence. Du moins, jusqu’à ce que la pluie s'abattre violemment sur le pare-brise. Elles demeurèrent ainsi, cloîtrées dans leur mutisme, incapables tant d’avouer la vérité que de l’extorquer à l’autre. Puis le vent s’emballa. Une poubelle s’envola au milieu de la chaussée. Bientôt, la grêle suivit. Ne manquait qu’une tornade…

— C’est vrai qu’ils annonçaient une tempête, souffla la fausse Lucie.

— Ça va être moi la tempête, si tu ne t'expliques pas, putain !

— J’ai rien à expliquer.

La tête entre les mains par-dessus le volant, celle qui portait sa combi évitait à tout prix son regard. La caisse grinçait de partout. Alors Constance se décida :

— Allez, démarre avant qu’on prenne la flotte. Je t’indique le chemin.

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