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— Alors, glissa la voix mielleuse de Julia à son oreille, qu’est-ce que tu vas faire avec 1500€ ?

Sibyl contemplait l’horizon turquoise, improvisé à même le carreau du petit appartement.

— Mon contrôle technique, haussa-t-elle les épaules.

Un rire ébranla le rictus que forçait Constance.

— Sans rire !

— Sans rire, se renfrogna Sibyl. On ne peut pas l’encaisser. L’autre vieille pie aurait nos coordonnées, et bonjour les ennuis.

La lèvre de son hôte s’étira. Une pie, quelle drôle d’idée ! Cette quadra friquée tenait plus de la huppe, volatile exigeant mais somme toute quelconque. La jeune femme, par contre, se voyait bien en pie : un oiseau moqueur attiré par tout ce qui brille. Quant à la jolie oie qu’elle avait rapportée jusqu’à son domicile, c’était à coup sûr un paon ; un bel oiseau vaniteux aussi peu méfiant qu’une cocotte.

— Tu aimes les oiseaux ? interrogea-t-elle son invitée.

Sibyl haussa un sourcil.

— Pas spécialement.

Gracile et squelettique, sa main se baladait sur le bustier brodé de pierres semi-précieuses qui habillait le mannequin rembourré.

— Tu fais vraiment de la couture, nota-t-elle.

— Et tu étudies vraiment l’architecture, si j’en crois le bordel dans ta caisse.

— À quel point on s’est menti, tu penses ?

Se pouvait-il que cette mijaurée craque vraiment pour elle ? Constance ne l’espérait pas vraiment. Elle préférait l’argent aux femme et n’avait aucunement l’intention de s’enticher d’une SDF.

Cela dit, et même si, étrangement, la moins bien lotie des deux ne donnait pas l’air de s’en alarmer, Constance était bel et bien à 1500€ près.

— Je ne sais pas toi, confessa-t-elle, mais moi, je n’ai rien à voir avec mon profil Tinder.

— C’est faux.

— Je ne suis pas romantique, ou prévenante, ou patiente. J’en n’ai strictement rien à faire de briser ton petit cœur et d’ailleurs, si tu ne t’étais pas fait passer pour une pleine aux as, je ne t’aurais jamais calculée.

Sibyl n’était pas dupe. Du moins, peut-être l’aurait-elle été si, tout au long de ce piquant discours, son ventre n’avait pas pétillé comme une coupe de champagne. Elle avait toujours eu plus d’instinct que de jugeote.

Cette femme-là lui avait concocté des plans farfelus, montré un ciel miroitant et offert le dîner.

Cette femme-là avait pris le blâme, à sa place, et affronté la mort, chassé les spectres du passé.

Cette femme-là l’avait fait jouir, trop de fois pour compter, avait couvert son corps ingrat d’une tendresse infaillible et lui avait fait oublier, l’espace d’une nuit, qu’elle n’était pas la riche Lucie.

Cette femme-là avait pris le blâme à sa place, s’était dressée en bouclier contre celle qui menaçait de démolir leurs personas. Elle leur en avait créées d’autres, en quelques minutes de temps, simplement pour que le jeu se poursuive.

Cette femme-là, pourtant, avait chiffonné son rôle, à l’insant même où elle lui avait ouvert la porte de chez elle.

Et cette femme là, maintenant, la méprisait sans retenue.

Dans l'alcôve azurée de ce faux ciel d’été, ce n’était plus une femme qui lui faisait face, mais un jeu de memory. Constance, Julia, deux pièces d’un même puzzle. Aucune n’était l’authentique, car l’une n’allait pas sans l’autre.

Aussi loin qu’elle se rappelait, pourtant, Sibyl n’avait jamais aimé les puzzles. C’était un miracle qu’elle soit si habile à crocheter les serrures. Dextérité qu’elle mettait plus volontiers sur le compte de ses frasques sexuelles que de sa piètre logique.

— Tu sais jouer aux échecs ? hasarda-t-elle au lieu de tourner sept fois sa langue dans sa foutue bouche.

— C’est comme les dames ?

— Non. Les dames portent le nom des jolies filles. Alors que les échecs, c’est un jeu dont rien que le nom suffit à enfoncer le perdant. Quand on te dit “Échec et mat !” ça revient un peu à te rire en nez, genre “T’es vraiment une ratée !”

Constance recula d’un pas dans le salon et agrippa sa tasse, comme si cela allait l’aider à garder sa contenance. Inexplicablement, les mots de l’étrangère lui bousculaient le cœur comme un boulier.

Elle avala fissa une gorgée tiédie. Trop tiède pour remettre tout son sarcasme d’aplomb.

— Bah voyons ! se gaussa-t-elle. On savait toutes les deux que tu ne brillais pas par ton estime perso, mais là, c’est le pompon ! T’es en train de me dire que des putains de fous et de dadas en bois suffisent à décider que ta vie c’est de la merde ?

La langue de Sibyl balbutia une réponse qu’elle-même ne comprit pas.

Constance se mordit la lèvre, tic qu’elle dissimula illico dans le creux de son mug.

Merde. Cette blondasse mythomane pouvait être sacrément mignonne.

Ce n’était pas le moment.

— On a toutes les deux besoin de ce fric, trancha-t-elle. Alors voilà ce qu’on va faire : tu vas rester chez moi le temps qu’on trouve comment le blanchir. Tu peux rester chez moi autant que tu veux, mais à deux conditions.

— Lesquelles ? demanda Sybil en reprenant place auprès de son hôte, au salon.

— Tu dormiras sur le canapé. Et ce n’est pas gratuit.

— Très bien. Je resterai à deux conditions.

Constance eut beau la toiser d’un regard outragé, sa complice ne se démonta pas.

— Lesquelles ?

— Je veux ton code wifi et la robe sur-mesure que tu m’as promise.

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