La veille de pleine lune
Je ne me rappelle plus rien de ce qui s’est passé ensuite. Quand je repris connaissance, je me trouvais dans une chambre, blottie dans les bras de Rian. Ses yeux étaient emplis de regrets, son visage marqué par une profonde fatigue. « Je suis désolé, mon cœur, je ne voulais pas… mais ils m’avaient énervé », murmura-t-il, sa voix à peine audible. Il avait refermé la porte à clé, nous enfermant dans une sorte de bulle protectrice.
Une douleur lancinante me perçait la tête, des vertiges m’assaillaient. Je me sentais faible, brisée. Nous sommes restés longtemps ainsi, enlacés dans le silence, le temps semblant s’étirer indéfiniment. L’obscurité s’installa progressivement, la nuit tombant sur l’auberge isolée. Je regardais par la fenêtre, observant le ciel étoilé, et je constatai que c’était la veille de la pleine lune. Une inquiétante sensation de malaise me serrait la gorge. L’atmosphère était pesante, lourde d’une attente angoissante.
Un sifflement aigu, perçant, fendit le silence de la nuit. Le son résonna dans ma tête, un coup de tonnerre interne qui me fit perdre l’équilibre. Je vacillai, cherchant instinctivement du regard Rian. Ses yeux étaient dilatés, emplis d’une terreur indescriptible. Il me tenait, me soutenant tant bien que mal, son visage décomposé par l’horreur.
Puis, la terreur se concrétisa. Je sentis une pression inouïe, une douleur déchirante qui me traversa de part en part. Mes bras commencèrent à gonfler, la peau se distendant de manière grotesque, se couvrant de pustules purulentes qui éclataient, laissant échapper un liquide visqueux et nauséabond. Mes doigts se déformaient, s’allongeant, se tordant en des griffes difformes et acérées. Mes jambes, elles aussi, se transformèrent, l’os se brisant sous la peau qui se déchirait, laissant apparaître des muscles noueux et démesurés, recouverts de plaies béantes. La chair se décomposait à vue d’œil, se liquéfiant, se ramollissant, exhalant une odeur pestilentielle qui me brûlait les narines. Mes os craquaient, se déformant dans un concert de crépitements horribles, ma silhouette humaine se contorsionnant dans une parodie de mon corps d’avant. Mon visage se transforma, les traits se brouillant, le nez s'allongeant, les yeux exorbités, injectés de sang, se recouvrant d'une membrane verdâtre et visqueuse. Des appendices charnus et répugnants, semblables à des tentacules, jaillirent de mon dos, se tordant et se contorsionnant. Une substance gluante et noirâtre commençait à suinter de toutes mes blessures, formant des flaques au sol. Une odeur de mort, d’infection et de pourriture emplissait la pièce, une odeur si nauséabonde qu’elle me brûlait les poumons. Mon corps, autrefois humain, n’était plus qu’une masse informe et dégoûtante, un amalgame de chair décomposée, de pus et d’os brisés. Chaque mouvement était un supplice, un agonie lente et inexorable. La vue de mon propre corps, devenu monstrueux et difforme, me causa une douleur insupportable, qui s’ajoutait à la douleur physique intense. Le regard de Rian, témoin impuissant de cette métamorphose épouvantable, me hantera à jamais.
La faim, une faim dévorante, une rage primitive, me consumait. La bête, cette chose monstrueuse qui occupait maintenant mon corps, prit le dessus. J’aperçus Rian, se débattant faiblement, ses yeux fixés sur moi avec une horreur muette. La pulsion de le dévorer, de le réduire en miettes, était irrésistible. Une frénésie animale me prit. Je me jetai sur lui, mes griffes déchirant sa chair, mes dents croquant dans son corps avec une violence inhumaine. Le goût du sang, chaud, combla ce vide abyssal qui me rongeait de l'intérieur. Quand j’eus fini, mon corps, saturé, éprouvait un étrange calme, une satisfaction.
Puis, je les vis. Les propriétaires de l’auberge, debout dans l’encadrement de la porte, leurs visages illuminés par un sourire sadique et cruel. La fille, la même qui m’avait offert ce gâteau exquis, tenait un sifflet entre ses lèvres. Un sifflet identique à celui qui avait déclenché ma transformation. Un rire sardonique jaillit de sa bouche.
Je bondis, l’instinct de les tuer, de les déchiqueter comme j’avais déchiqueté Rian, me poussant à l’extrême. Mais elle siffla. Un son aigu, perçant, qui fit vibrer mon être jusqu’à la moelle. Mes membres se raidirent, paralysés. Je restai figé, impuissant, sous son regard triomphant. Elle maîtrisait mon nouveau corps, me contrôlait comme une marionnette.
Elle me traîna, sans résistance de ma part, vers une trappe dissimulée sous le plancher. Des marches descendaient dans l’obscurité. L’odeur de pourriture, d’humidité et de… chair, était insupportable. Elle m’ouvrit une porte. Une cave immense, lugubre, s’étendait devant moi. Des dizaines de cages, entassées les unes contre les autres, s’alignaient le long des murs. À l’intérieur, des créatures, des horreurs informe et répugnantes, hurlaient, gémissaient, se tordaient dans l’agonie. Des êtres comme moi, des victimes de ce rituel épouvantable. Des versions différentes, plus ou moins déformées, plus ou moins décomposées. Certaines semblaient humaines, mais altérées. D’autres étaient des chimères, des assemblages de chair et d’os brisés, de muscles disproportionnés et de membres tordus.

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