Le dernier combat
Le ring improvisé, une surface de terre battue maculée de sang et de viscères, était un champ de bataille. Des morceaux de chair volaient, projetés par des coups sauvages, des cris rauques perçaient l’air épais et saturé d’une odeur pestilentielle. L’amitié, ce lien ténu qui nous unissait autrefois, avait été anéanti par la terreur et la soif de survie. Il ne restait plus que la violence brute, la peur viscérale, la lutte pour l’existence.
Je me suis battue. J’ai tué. J’ai brisé des corps, j’ai senti le craquement des os sous mes dents, le goût du sang chaud, sur ma langue. Des visages que je connaissais, des créatures que j’avais côtoyées durant ces longues années d’enfermement, des amis avec qui j’avais partagé la douleur et la souffrance... Ils sont tombés sous mes griffes, victimes de ce rituel barbare, de cette lutte pour la survie. Ce n’était plus moi qui agissais, mais la bête, la monstruosité qui habitait mon corps, obéissant à un instinct primaire, impitoyable. Eux ou moi. Il n’y avait pas d’autre choix.
Les manches se sont succédées, un défilé macabre de morts et de blessures. Nous n’étions plus que quatre, les derniers survivants de cette boucherie. Trois combats restaient. Trois combats qui décideraient de notre destin. Et puis, le sort s’acharna : mon adversaire… Elle était là, devant moi, dans toute sa fragilité apparente. Sous cette peau décharnée, ces membres difformes, ces yeux vides rongés par la pourriture, il y avait une familiarité, un souvenir lointain, presque oublié. C’était elle, la vieille femme, la grand-mère… celle qui m’avait tendu la main, hésitante, le jour où j’avais été enfermée dans cet enfer. Elle était l’une de nous, piégée comme moi, transformée comme moi… Elle n’hésita pas. Elle se jeta sur moi, une furie déchaînée, ses griffes acérées déchirant ma chair déjà abîmée.
Le combat fut bref, brutal, une danse macabre de monstruosités. Ses doigts, osseux et noueux, s’agrippèrent à mon cou, serrant avec une force surprenante, tandis que ses dents, jaunies et pointues, s’enfonçaient dans ma chair. Je sentis une douleur lancinante, une sensation de brûlure froide qui se propagea dans mon corps. Je lui répondis avec une violence inhumaine, mes griffes lacérant sa peau pourrie, arrachant des lambeaux de chair et de muscles. Son sang, épais et noirâtre, jaillit, arrosant mon visage déjà maculé. Nous roulâmes dans la boue, un amas de chair décomposée, de membres brisés et de cris gutturaux.
Le goût de son sang, âcre, emplit ma bouche une sensation visqueuse et répugnante qui me fit frissonner de dégoût. Ses yeux, autrefois empreints de douceur et de compassion, se vidèrent de toute expression, ne laissant place qu’à une profonde obscurité. Ses membres se décomposaient sous mes coups, se séparant en un déluge de pourriture, une pluie immonde de chair et d’os, laissant derrière elle une mare visqueuse et putride, un mélange de sang, de bile et de matière organique en décomposition avancée.
Une odeur nauséabonde, suffocante, emplit l’air. Je respirai difficilement, le cœur battant comme un tambour de guerre. L'horreur de la scène m’envahissait, une vague de nausée me submergeant. Je vis ses intestins, dégoulinants et verdâtres, se déverser sur le sol, une masse gélatineuse et putride qui ondulait lentement sous le poids de sa propre décomposition. J'eus un haut-le-coeur, le goût amer et écœurant du sang et de la pourriture me brûlant l'arrière-gorge.
Ses derniers souffles, des râles gutturaux et suffocants, s’échappèrent de sa gorge déchirée. Elle s’effondra, un amas informe de chair en décomposition, laissant derrière elle le souvenir d'une grand-mère aimante, remplacée par le cauchemar d'une créature monstrueuse. Je me levai, les mains et les griffes couvertes de son sang et de ses entrailles, l'odeur âcre de la mort me collant à la peau. Le silence retomba, lourd et oppressant, un silence brisé seulement par le bruit de ma respiration saccadée et le martèlement de mon cœur qui résonnait dans mes oreilles.Le silence qui suivit la mort de ma dernière adversaire fut assourdissant. Deux cadavres jonchaient le sol, victimes de leur propre combat.J'étais la gagnante. La liberté m’était promise.

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