Chapitre 1 ou "ils sont parmi nous"

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La rue du Chat qui Vole, qui part du lycée Jacques Prévert et va jusqu'à la gare, fait plus de 2km. C'est alors un peu ridicule d'encore l'appeler rue. Il y a, pourtant, les deux sens de circulation et même une ligne de bus qui y passe. Mais celui-ci passe trop tard pour aller au lycée le matin et passe trop tôt pour revenir à la maison le soir. Il me faut donc aller tous les matins à pieds. Comble de malchance : c'est en pente. Ainsi rentrer du lycée à pied est un véritable plaisir mais la montée une torture. Même en montant celle-ci depuis 3 ans, je n'ai jamais pu m'y habituer. Enfin bon, elle reste une rue normale dans une ville perdue au nord de ce pays et je n'étais pas la seule à souffrir cette pente.

Il y avait, entre autres, Geneviève qui voulait devenir psy. Je n'ai jamais compris si elle voulait dire psychologue ou psychiatre. Tout le monde disait que c'était dommage, qu'une belle fille comme elle aille s'enfermer pour étudier la nature humain. A ceci elle ne répondait pas grand-chose. Elle éludait la question, elle avait choisi : se serait psy. Mais je n'ai jamais compris si c'était psychologue ou psychiatre. Je pense qu'elle non plus.

Moi, j'étais forte en maths et je n'étais pas jolie. Alors personne n'a opposé de résistance quand j'ai voulu faire un cursus scientifique. Ils étaient trop occupés à se demander comment la belle Geneviève faisait pour être mon amie. Ils ne la connaissaient pas : elle était aussi belle que bizarre. En 3 ans je n'ai jamais su deviner ce qui lui passait par là tête ou ce qu'elle pensait vraiment. Elle pouvait rester silencieuse pendant des heures et soudainement parler sans s'arrêter, quoique c'était rare, elle n'était pas du genre à faire la conversation. Ça m'arrangeait puisque j'adorais parler. Tous les jours j'inventais un nouveau sujet de conversation, parlant presque de tout et de rien. Des fois elle se contentait de m'écouter en hochant la tête, des fois nous débattions.
Les sujets pouvaient être variés : botanique, philosophie, science, série télévisée, livres, théorie de fan, maths ou même la coupe de Laurent Delacouverture au journal.

- Vie extraterrestre : amie ou ennemie ?

- Hm.

- Je pense que si un jour une civilisation plus avancée que la nôtre nous rencontre, elle décidera de nous anéantir. Pour éviter qu'en plus de la Terre, on n'aille casser autre chose.

- Donc pour toi, ils préfèrent nous annihiler que de nous enseigner ?

C'était une occasion rare. Elle venait de lancer un débat dès ma première phrase. J'ouvrais la bouche presque béante pour répondre mais elle me coupa en plantant ses yeux noisette dans les miens.

- Une civilisation ferait tout ce chemin pour nous tuer ? Tu crois vraiment qu'elle perdrais son temps et sa technologie à nous détruire ? Imagine la situation contraire : nous sommes la civilisation avancée et c'est nous qui découvrons une planète habitée par des idiots. Tu les tuerais toi ?

Je ne savais pas que le feu pouvait être sépia. Il me brûlait de l'intérieur. Ses yeux me brûlaient. J'avais l'impression d'avoir déclenché quelque chose de plus grand que moi. Une passion plus grande que mes connaissances, un bout de Geneviève jusqu'alors caché.

Je voulu répondre mais un garçon d'à peu près notre âge s'approcha en nous faisant signe. Je ne le connaissais pas. Et je ne l'avais jamais vu dans notre lycée de campagne. Il sembla s'excuser du dérangement et tendit une tablette tactile parsemée d'images basiques comme une pomme et deux personnes discutant entre elles. Il passa sa main derrière sa tête brune puis la remit dans la poche de sa veste en cuir. Quelque chose n'allait pas chez lui. Peut-être sa façon de se tenir, comme s'il nous faisait trop confiance à nous, des inconnues. A sa façon de parler, des fois en notre langue, des fois dans une sorte chaos écliptique mais quelque part doux, comme s'il remplaçait les mots qu'il ne connaissait pas par leur équivalent dans sa langue natale, je devinais qu'il n'était d'ici. Geneviève aussi et elle déclencha ce que j'appelle le mode « prof » : elle croise les doigts entre ses deux mains et, avec une patience infinie, commence à écouter les personnes.

- Si j'ai bien compris, tu veux qu'on t aide à remplir ce formulaire ?
Demanda ma fine amie d'un air autoritaire, sûrement quand même vexée d'avoir été arrachée à notre débat.

Le garçon hocha la tête en souriant. Je frémissais à la vue de celui-ci, comme si une terrible malice se cachait derrière ce visage amical. Geneviève commença à pointer des images et les exprimer en mot.

- Je dirais « discuter » pour cette image. Qu'en penses-tu, Agathe ?

- Je ne sais pas. Allons-nous en Geneviève, j'ai un mauvais pressentiment...

- Allons, il nous demande juste de l'aider pour apprendre du vocabulaire.

- Oui, intervint le garçon dans me laisser le temps de répondre, et il y a un loto à la fin. Pour venir visiter mon pays.

- Tu peux organiser une telle chose tout seul ?

- Organiser ?

Geneviève tripota quelques secondes la tablette et pointa du doigt une image sur laquelle une personne semblait organiser des documents.

- Organiser.

- Ah ! Merci. Non, je ne suis pas tout seul. J'ai un professeur et j'eglorkem d autre élèves comme moi.

- Accompagné tu veux dire ? Puis votre professeur ne vous a pas enseigné lui-même certains mots ?

- Non. Il apprend aussi. Il est plus comme un chef de chantier. Moi un ouvrier.

- T'es payé au moins pour faire ça, demandai-je. Parce qu'il t a quand même demandé de parler à des inconnus dans un pays que tu ne connais pas !

- Inconnus ?

Je soupirai et pris moi-même la tablette. C'était un système plutôt bien fait, on pouvait faire une recherche dans le menu en haut, plusieurs petites icônes symbolisaient des concepts comme « action », « objet » ou même « concept ». Je cru même reconnaître une section « argot ». Je cliquais sur « objet » puis « personnes » et enfin, comme j'avais le choix entre « métier », « groupe/famille » ou « divers », sur « divers » et je scrollais jusqu'à trouver l'image d'une personne au visage flouté et une sorte de point d'interrogation. Je pointai l'image au garçon sous l'amusement évident de mon amie, plus qu'heureuse que je me sois prêtée au jeu. Il me remercia et repris la tablette.

- Si vous gagnez, c'est moi qui partirai avec vous en voyage. C'est mon seul paiement. C'est pour ça que je fais ça gratuitement...

- Tu es donc un bénévole ?

- Tout à fait, acquiesça-t-il tout en tripotant sa tablette, cherchant sûrement l'image pour bénévole.

Je pris ma fine amie à part, difficile d'être discrète avec son mètre 76 mais le garçon comprit que cette conversation ne le regardait pas.

- Je ne pense toujours pas que ce soit une bonne idée. Et nous sommes en retard pour le lycée !

- Il y a des gens dans la rue, il ne peut rien nous arriver. Puis ce n'est pas si tu allais rater un cours important...

Je jetai un coup d'œil à la rue. C'est vrai qu'il y avait du monde. Et j'avais sport. Le garçon me transperça de ses yeux bleus comme le ciel dégagé d'un été trop chaud. Malgré une première impression d'un gentil et convenable être, quelque chose n'allait pas : une énergie inconnue mais brûlante au fond de ses yeux, peut être juste le reflet du soleil, sec et aveuglant. Je n aimai pas ce garçon, du moins je n'aimais pas la peur viscérale qu'Il m inspirait. Et sa façon de me regarder, comme s'il me scannait, essayait de voir au plus profond de mon être. Il possédait de grands yeux globuleux et ronds comme ceux d'un poisson rouge. Bien que creusé de cernes comme si leur propriétaire dormait mal, ils reflétaient une animosité sauvage. Ça allait plutôt bien avec son style, un tee-shirt bleu et un gilet en cuir, un jean et des baskets rouges. Il faisait « faux bad boy », le genre de personne qui essayent trop c'être cool. Mais chez lui, dans son regard plutôt, je croyais distinguer l'intention contraire, cacher son côté indiscipliné. Il reprit enfin la parole en doucement.

- Les gens comme moi. Nous n'aimons pas faire du mal. Nous sommes profondément...

- Pacifiste. Ton peuple est profondément pacifiste, compléta Geneviève d'un ton presque doux.

Elle se tourna vers moi et eu comme un sourire, mais je n'en compris pas la signification, elle ne souriait jamais aux blagues et aux gens, qu'aux situations. Peut-être étais-je jalouse de ce mec inconnu qui, en quelques phrases, faisait à mon amie ce que je me tuais à faire chaque jour.

- Et quel est ton peuple ?

- Oh remplissez mon formulaire et vous le saurez très vite ! Notre président va rencontrer votre chef quand on aura fini sûrement.

Geneviève se mit à la tâche. Je restai la bouche grand ouverte. Comment ça votre président va rencontrer le nôtre ?! Hein ?! Quoi ?! Mais de quel pays es-tu ? C'est quoi cette histoire ?

Je me rapprochais de ma grande amie et l'agrippais par la manche de son manteau en peau de vache. Elle prit sa longue natte blonde qui pendait dans son dos et la coinça sur son épaule. C'était geste presque inconscient qu'elle exécutait très gracieusement quand elle réfléchissait. Ses grands yeux noisette brillaient, les joues rouges et sa main tenait une mèche derrière son oreille. Je n'aimai cet inconnu, comment peut-il réussir à l'intéresser comme ça ?!

- Merci beaucoup. Je vais envoyer les mots aux autres. Oh il faut que je iemac ceux trouvés par mes amis.

- Vous êtes combien ?

- Ici 10 environ. Vous avez un grand pays alors peut être un autre groupe dans le sud.

- C'est fou que tu n'aies pas d'accent alors que je viens de t apprendre ces mots !

- Ce n'est pas moi qui les dis. Je continue de parler le meyer moi.

Geneviève n'eut même d'ouvrir la bouche que notre interlocuteur reçut ce qui nous sembla un appel depuis un appareil dans son oreille, sûrement un écouteur Bluetooth d'un kit main libre. Il fit un geste de la main comme pour s'excuser.

- Jilf. Ça va ? Pourquoi tu me téléphone ? Une majvers ?! Grosse ? Bien sûr que je vais la iemac. Faut que j'envoie moi aussi. Toi tu es où ? Japon ? Han la chance... moi je suis bloqué dans un pays tout sale. Je te promets on est arrivé et tout étais sale. Mais même le ciel ! Au Japon aussi ? Attends mais t'as rendu Yiel aussi ? Il est en Chine lui ! Il a fait une dichjury ! Lotussia me pends si je mens ! Attends je te rappelle je dois terminer ma fiche. Oui oui je iemac la majvers. Ok. Ok. Que la lumière te garde aussi Jilf.

Il planta ses yeux calmes comme la mer lors des nuits sans nuages dans les miens et glissa son doigt vers le bas de sa tablette comme nous le faisons sur nos propres téléphones pour recharger une page web.

- C'est quoi cette histoire ? Vous êtes une sortes de Wakanda ? Demandai-je presque en regrettant d'avoir sortie une référence pop en sachant inconsciemment qu'Il ne comprendrait pas la référence.

- Wakanda ? Ria le garçon aux éclats dévoilant deux dents du bonheur.
Non mais c'est cool comme nom de pays. Laissez-moi mettre à jour mon traducteur et j essayerais de tout vous expliquer.

- Un traducteur ?

- Oui. Vous avez aussi un traducteur imasten, non ?

- Un traducteur instantané. Corrigèrent les lèvres roses de mon amie presque à son insu.
Oui sur internet. Mais ce n'est pas aussi instantané que toi.

- Je vois. Dommage pour vous. C'est tellement plus pratique, je parle en meyer et vous vous entendez votre langue ! Ah. C'est bon j'ai tous les mots.

- Donc vous êtes dispersés dans le monde entier pour rajouter des mots dans la base de données de votre traducteur ? Comprenais-je d'un coup, comme un éclair de génie.

- Exactement. Le plus important c'est la grammaire, vous avez tellement de langues différentes ici... Ah, si vous pouviez renseigner ici votre nom, prénom et votre adresse.

Il tendit la tablette à Geneviève qui souriait doucement, ressemblant un peu à l'étrange garçon. Il me sourit et je sentis comme un éclair me traverser. Il passa sa main dans sa poche, en sortie un petit paquet rectangulaire aux couleurs pastel surmonté d'un petit logo rouge tout à fait adorable et me le tendit en me disant que c'était son goût préféré. Je pris le bonbon, un peu reluctante, et le déballais. Il sentait bon.

- Je n'accepte pas les friandises des étrangers.

- Je m'appelle Eruk. Si ton amie gagne, je voyagerais avec vous. J'ai un bon sentiment. Je pense que vous allez gagner.

Il sourit et se prit un bonbon pour lui-même tout en me fixant comme pour m'analyser, scruter tous les recoins de mon corps. Cet étranger semblait plus hypnotisé par moi que par ma magnifique amie, habituellement cible de tous les regards. Je n'étais pas habituée à ce qu'on me regarde aussi longtemps. Voyant ma gêne, il reprit la discussion.

- Tu veux m'apprendre des mots aussi, pour doubler les chances ?

- Je préférais ne pas donner mon adresse à des inconnus...

- Allons, je suis un Meyer, je ne peux viscéralement pas te faire du mal.

J'allais demander en quoi faire partie d'une nation rendait bon mais je fus (encore) interrompue par une jeune fille lui ressemblant par le regard et le sourire calme et bienveillant qui lui faisait signe. Elle s'approcha du garçon, vraisemblablement dérangé par sa présence, demanda s'il avait fini sa fiche et dit qu'il faisait vraiment trop sale dans ce pays. Elle remarqua enfin notre présence, à Geneviève (qui ne passait vraiment pas inaperçue avec son mètre 80 et sa beauté) et moi, et passa sa main derrière ses oreilles. Geste qui devait désactiver leur traducteur puisque que je ne compris plus rien de ce qu'ils se disaient. Enfin, elle jeta un coup d'œil vers moi et repassa sa main derrière sa tête.

- Ouah, euh, puis-je demander votre nom ?

- Agathe. Et le vôtre ? Qui êtes-vous ?

- Vous ressemblez à... Qui ? Je ne sais pas. Mais j'ai l'impression de vous connaitre. Pas toi Eruk ?

- Euh. Je...

Il balbutia alors que le sang lui montait à la tête.

- Oui ! C'est ça ! Agathe, votre visage me rappelait celui d'une connaissance, laquelle je ne sais pas, mais surement ça ! Ha !

Son amie le dévisagea comme s'il venait de vomir. Il serra sa tablette et remercia une dernière fois Geneviève de son aide. Elle devait avoir terminer une fiche entière car Eruk eut l'air content en voyant son écran. Il remercia mon amie et commença à essayer de s'esquiver.

- Venez-vous en paix Meyers, demanda-t-elle plus comme une affirmation que comme une question, en levant le menton comme ces reines pharaons devant ses sujets ignares.

- Nous viendrons toujours en paix, répondit Eruk en s'éloignant. Jamais nous ne frapperons les premiers.

- Gare à notre réponse cependant.

Se permit de rajouter sa collègue.

Ils s'éloignèrent et, cachés par un groupe de passants, disparurent.

Nous n'avons pas reparlé de ceci au lycée ni au retour. C'est comme si Eruk et sa collègue, ces deux « Meyers » n'avaient jamais existés et notre discussion n'avait été qu'un rêve, un mauvais rêve. Ou un super rêve pour Geneviève.

De retour chez moi, je les chassai de mon esprit comme on chasse les cauchemars et m'allongeai dans mon lit, pensive, même inquiète sur la réaction de Geneviève. Je n'avais pas apprécié que ce gars que nous ne connaissions ni d'Eve ni d'Adam l'intéresse à ce point. Mais, en même temps, Je la comprenais, le regard azur du jeune garçon avait quelque chose d'hypnotisant. Mais il me terrifiait. Je surpris mon corps à trembler doucement et me levais pour l'arrêter. Non décidément je ne pouvais pas me calmer. Peut-être en parler avec ma mère me ferait sentir mieux ?

Je descendais avec cette pensée et trouvais la femme brune qui me servait de mère dans le salon, devant notre plutôt vieille télé, la bouche béante. Les yeux écarquillés à la vision d'un homme brun aux yeux émeraude lançant le même regard assuré qu'Eruk. En titre d article du journal de 20h : « Ils sont parmi nous ».

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