Chapitre 3 ou "Alice"
- T’en penses quoi toi, des meyers ?
La question de Geneviève me sortit de la torpeur dans laquelle je m’étais enfermée depuis hier soir. Je rouvris mes yeux et mes oreilles cessèrent de siffler. Je la dévisageai. Encore hagarde et confuse.
Elle passa sa main sur sa jupe pour la remettre en place et nettoya d’un geste gracieux sa veste. La chaleur bourgeonnante du printemps ne l’avait pas débarrassée de ses 3 couches de vêtements habituelles, elle semblait avoir tout le temps froid. Je suppose qu’un corps aussi fin et long est difficile à chauffer. Moi, je n’avais jamais froid mais l’hiver me rendait somnolente, comme si j’étais un écureuil plongeant dans l’hibernation. Le printemps me réveillait et m’émerveillait. Ce qui n’était pas le cas de Geneviève dont le nez et les yeux, chaque année, rougissaient avec le pollen. Elle a dû même, une année où les tilleuls étaient particulièrement agressifs, aller au lycée en voiture.
La rue du Chat qui Vole étant bordée de ces arbres. D’ailleurs, une des jonctions de la rue se nommait l’impasse des Tilleuls. Drôle de nom pour une impasse sans arbres. En plus, personnes ne savait trop à quoi elle servait. Ce n’était ni une impasse pour entrer dans un bâtiment ni une impasse poubelle. Juste une espèce d’espace entre deux maisons dont une 3ème plus grande derrière faisait office de mur et empêchait la pauvre impasse d’être une ruelle. Personne n’y allait jamais. A quoi bon ? Pour y faire quoi ? Même les résidents des deux bâtiments adjacents ne l’utilisaient pas pour y mettre leurs encombrants. C’est comme si tout le monde s’était mis d’accord pour l’éviter.
C'est surement pourquoi les meyers en avait fait leur “base”. Je venais de remarquer que, tout comme hier, l’impasse des tilleuls était couverte d’une bâche blanche qui faisait office de tente d’un petit groupe de personne. Ils avaient installé une petite table avec deux petites chaises à l’extérieur, surement pour manger à la lumière du soleil de printemps. Eruk y était assis, adossé à la chaise, un coude sur la table et tenant sa tablette. Il me vit et haussa le menton sans exprimer de sourire, un peu comme s’il me prenait de haut. Ses yeux brillèrent un peu. Peut-être à cause de la lumière du soleil mais l’angle ne correspondait pas. Je pris Geneviève par le bras pour nous éloigner plus vite. Je haïssais cet air insolent qu’il arborait.
- Je me demande comment les meyers peuvent être puissant. Dit enfin mon amie après un long silence pensif et une fois que nous étions hors de portée des oreilles indiscrètes des meyers.
- Pardon ?
- Xéréolas, leur président, il a dit hier qu’il ne faut pas énerver les meyers. Ça veut dire qu’ils ont quelque chose qui terrifie les autres peuple. Tu crois qu’il parlait de quoi ?
- Je ne sais pas. Peut-être des armes ?
- Oui effectivement, individuellement ils peuvent être dangereux avec des armes. Mais ça me semble improbable qu’ils aient pris des armes avec eux alors qu’ils ont des intentions pacifistes. Même pour l’auto-défense, non ? Dit-elle en prenant son menton dans sa main.
- Oui, cela aurait pu être mal pris. C’est donc un attribut que partage les meyers...
- Peut-être que cela à un rapport avec leur traducteur ?
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Eh bien. Je ne suis pas la scientifique entre nous deux mais il a dit que leur traducteur faisait en sorte que nous percevions leur langue dans la nôtre. Et que donc lui parlait en meyer mais nous avions l’impression qu’il parlait en français.
- Oui, j’ai compris la même chose.
- Mais cela demanderait que nous aillions un récepteur, non ? Je veux dire, lui il a un traducteur donc je suppose que sa technologie doit permettre de traduire instantanément ce que nous nous disons en meyer mais nous nous n’avons pas de traducteur.
- Oui, effectivement, il nous manque le récepteur donc son traducteur doit émettre en français. Mais c’est juste...
- C’est comme si c’était magique.
Elle l’avait dit. Avec son allure presque féérique, il était normal de penser que Geneviève croyait en tous cette fantaisie et elle lisait, effectivement, beaucoup de livre de ce genre, livres auxquels je l’avais introduite mais elle avait un esprit redoutablement logique et faisait presque cruellement la part des choses entre la réalité et l’univers imaginaire. Elle sourit presque comme folle.
- HAHA ! T’imagines Agathe ? Ils ont peut-être de la magie ? Si on était dans un livre, cela mélangerait la fantaisie et la science-fiction ! HAHA ! Des aliens magiciens ! Ça ne se vendrait jamais !
- N’importe quoi. Ils ont juste une technologie très avancée. C’est tout. Puis on ne peut pas sortir tout le temps du “ta gueule, c’est magique”.
- Et pourquoi pas ? En plus, ça expliquerait pourquoi les meyers sont dangereux individuellement, ils contrôlent une sorte de magie puissante et dangereuse.
- Ou une technologie puissante et dangereuse !
Elle rit et ouvrit un livre de philo. Sûrement du Kant[1]. Souriant doucement, j’avais l’impression qu’elle se moquait de moi, mais ses yeux trahissaient un peu de pitié. Je haïssais cette attitude. Je haïssais tout son être tout comme je l’aimais. Je me consumais dans mon propre paradoxe et la psy qui me servait d amie ne se rendait compte de rien.
Nous arrivâmes au lycée sans échanger un mot de plus. Je me dirigeais vers ma salle de cours et elle vers la sienne sans même m’adresser un regard, juste un salut. Et je regardais sa tête blonde s’éloigner.
Arrivée dans ma classe, je m’assis à ma place habituelle, celle à côté du mur extérieur, et commençais à déballer mes affaires. On m’aborda pour me demander avec excitation si j’avais vu le journal hier. Je répondis que oui et que je n’en croyais toujours pas mes oreilles.
- Apparemment il y en aurait dans notre ville.
- Oui ce n’est pas le groupe de gens dans l’impasse là ?
- Oui c’est ça. Je les ai pris pour des membres d’une secte hier.
- Hein ? Pourquoi ? Intervins-je alors que je ne m’immisçait pratiquement jamais dans les conversation.
- Bah tu ne trouves pas que ça fait très secte leur idéologie de paix ? Puis ils sont vraiment bizarres. Ils sourient sans vraiment le penser j’ai l’impression.
- Comme s’ils nous prenaient de haut ?
- Exactement, confirma Mathis sans cacher sa gêne. Puis la violence est dans la nature animale. C’est bizarre qu’ils disent que c’est pratiquement écrit dans leurs gènes. C’est comme si un chef de secte leur avait inculqué cette fausse information.
- Mais ce n’est pas mieux comme ça ? Intervint Alix en rajustant une barrette dans ses cheveux frisés et tressés. T’imagines ce qu’on serait devenus s’ils n’étaient pas pacifistes ? Tu crois que c’est vraiment mauvais d’être dans une secte si c’est pour devenir meilleur ?
- Haha tu devrais les rejoindre. En plus ils ont dit qu’ils partageaient un lien particulier avec les terriens.
- Ils sont à demi humain je pense.
La classe se tue à ma théorie. On me fixa.
- Vous ne trouvez pas que c’est quand même étrange qu’ils nous ressemblent autant ? Même si certains traits comme la bipédie ou l’allongement de la boîte crânienne sont pas étonnants à retrouver chez eux aussi.
- Parce que c’est ce qui a permis à notre ancêtre de devenir plus intelligent. Oui je comprends ou tu veux en venir. SVT basique[2].
La classe hocha la tête à l’unisson, nous avions fait une sortie au musée anthropologique en première et cela avait passionné, à la grande surprise des professeurs, une grande partie de la classe. Comme nous n’étions qu’un petit village de campagne, nous nous connaissions bien et ce genre d’expérience restait gravée. Surtout que la prof en première était tout aussi passionnée par ce chapitre obligatoire dans le programme de SVT.
- Mais c’est drôle que nous aillions autant de caractéristiques en commun. Les yeux, la bouche, la longueur des bras ou même le nombre de pair de seins.
- Ou l’apparition de cheveux.
- Oui mais on partage beaucoup de points communs qui ne sont pas « obligatoires ». Comme les oreilles de cette forme, la couleur des yeux, la bouche ou encore juste une paire de seins.
- Mais en même temps il y a beaucoup d’autre trait qui diffèrent comme leur oreilles, répondit Thomas en se les touchant pour les montrer.
Il nous fallait des explications.
- Bah j’ai remarqué qu’ils ont les oreille pas de la même forme. Comme celles des elfes du Seigneur des Anneaux. Mais en beaucoup moins longs, un peu comme des demi-elfes.
- Ouais maintenant que j’y pense, le président avait les oreilles pointues mais beaucoup d’humains ont des oreilles pointues aussi ça ne veut rien dire.
- Ou peut-être que ceux que tu as vu sont des meyers.
- Pff. Regardez Alice, elle a les oreilles pointues et ce n’est pas une meyer.
- Bah en fait si. Je suis une meyer.
Un autre silence s’installa dans la salle et les regards se tournèrent vers Alice qui rougit à cette attention soudaine. Alice n’était pourtant pas un modèle de pacifisme bien que personne ne l’ait vu déclencher quelle que dispute que se soit ou s’énerver plus que gentiment.
- Je suis une fille de réfugié de guerre. J’avais 3 ans quand on a quitté ma planète natale. Alors je n’en sais pas plus que vous sinon que je fais partie de ce peuple.
- Nan mais Alice, le problème est que tu nous as laissé théoriser alors que tu as sûrement tellement de réponses à nos questions.
- Oh doucement j’ai appris hier que les meyers étaient des aliens. Moi je croyais que c’était une espèce de tribu asiatique !
Elle croisa les bras pour essayer de cacher sa gêne et son désarroi d’être la cible de tous les regards. Ses yeux bleus reflétaient une insolence insouciante non dissimulée. Soudain, comme si un éclair de génie venait de la frapper, elle écarquilla les yeux et s’écria en se levant :
- Mais votre histoire de demi humains ça me rappelle cette histoire que mes parents me racontent tout le temps ! Hm. Genre une meuf est arrivée sur la planète par erreur et là-bas elle est tombée super amoureuse d’un gars. Et Boom ! Mariage ! Boom ! 8 enfants ! Les 8 fondateurs du peuple meyer commandés par leur Mère qui n’était qu’amour et pardon. Un truc comme ça !
- Donc les meyers ne sont pas peuple natif de cette planète mais bien le mix de terriens et du peuple natif. Tu en sais plus Alice ?
- Euh. Mes parents vénèrent littéralement cette meuf et quand ils jurent ils ne s’adressent pas à un dieu mais à la lumière.
- Le meyer que j’ai rencontré hier aussi a sorti un truc genre « que la lumière te garde ». Ajoutais-je en prenant mon visage dans ma main. Oh et « que Lotussia me pende si je mens
- Voilà !! Lotussia !! C’est le nom de la meuf !!! Cria Alice en agitant ses mains. Ça ne fait pas grave asiatique comme nom ?!
Elle sourit et rit avec innocence.
- Alice. Mais du coup. Tu vas repartir sur l’autre planète ? Le président a dit que les meyers seront rapatriés. Demanda son amie, une fille aux cheveux bien trop courts teints en vert portant toujours des chemises à flanelle.
- Je ne sais pas. Je connais plus ici que ce pays. J’ai toujours vécu ici et non pas sur je ne sais quel planète grouillant d’un peuple dont je ne sais rien... Si mes parents décident de partir alors je n’aurais pas d’autre choix, mais je préférerais rester…
Certains connaissaient Alice depuis la maternelle et s’imaginaient mal de la voir partir. Toujours gentille et serviable sans pour autant se faire trop remarquer, elle avait le charme discret d’une jeune fille sans histoire. Notre classe, voir notre promo, comme chaque promo dans notre lycée de campagne perdue, pouvait être schématisée comme une chaine de maillon et Alice était comme l’un de ces maillons. Si elle partait, une partie de la chaine manquerait aussi. Peut-être que c’est pour ça que nous avions même du mal à la croire être une meyer.
- Je suis désolée… J’ai toujours cru que quand mes parents me parlaient du peuple meyer, c’était une petite tribu perdue au fond l’Asie. Avec les petits rituels bizarre et la religion pacifiste et tout… Quand je les ai confrontés hier, ils n’ont même pas compris parce qu’ils ne le cachaient même pas. Tellement pas qu’ils n’ont jamais pris le temps de vraiment m’expliquer mes racines.
- Je me disais aussi que tes parents étaient un peu zarb sur les bords. Comme n’appartenant pas à notre société sans pour autant essayer de s’intégrer. Puis ils se plaignent tout le temps en disant « Arg les terriens ! », ça aurait dû tiquer chez moi aussi.
- Tu crois que ça vient de là aussi ?
La prof entra sans que nous puissions continuer, elle portait sa robe pourpre, c’était pour les jour de grandes annonces.
- Je suppose que vous avez vu le journal de 20h. Etant votre professeur de physique chimie, je vous avais expliqué que bien que fines, les chances de retrouver une vie extraterrestre n’était pas nulles ! J’avais raison !
- Madame, vous saviez pour les meyers ?
- Haha, j’aurais aimé mais non ! Avez-vous des questions sur les meyers ? Bien que je ne sois pas vraiment là plus à même pour vous rassurer, j’aimerais vous rassurer comme je le peux.
Alice leva la main.
- Vous en connaissiez, avant, des meyers ?
- Non, pas à ma connaissance. Après je ne vois pas comment les différencier des terriens.
Toute la classe se tut et on décida que notre prof, bien que très sympathique et pédagogue, n’était pas assez compétente pour nous éclairer. Le cours commença alors.
[1] Bah oui Zoé, y a des gens qui peuvent lire en marchant !
[2] Je tiens à remercier mon horrible professeure de SVT en terminale pour m’avoir traumatisé. Sans vous, je n’aurais pas toutes ses connaissances et n’aurais même pas penser à sortir cet argument. (Mais j’aurais préféré ne pas être traumatisée et commencer à pleurer dès qu’on me crie dessus alors permettez-moi de vous haïr encore du plus profond de mon cœur)
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