Le château (3/3).

6 minutes de lecture

(Edit 1 février 2024 : encore une fois, aucune modification majeure à ce chapitre, simplement un changement de temps de narration, du présent au passé)



Fille ne pouvait cacher son admiration devant le travail du Maître.

C’était une oeuvre d’art qu’elle avait sous les yeux. N’était la rougeur de la peau autour du serpent, la scène eut semblé avoir été encrée d’une seule pièce. Rien ne laissait imaginer que le reptile avait été apposé a postériori sur et autour du seigneur-tigre. Il semblait sortir du sexe de la dame et s’enroulait autour du puissant félin, Fille en ressentit un réel malaise, presque une nausée. Mais la gueule du serpent était plus impressionnante encore. Grande ouverte, elle arborait des crochets démesurés et effrayants. Ils semblaient sur le point de mordre le téton de Dame Layna, de le déchirer sans pitié pour y répandre son mortel venin.
Fille ne put réprimer un frisson.

— Après avoir nettoyé l’encrage, tu lui appliqueras les deux onguents.

— Tu sais pourtant que je ne suis pas douillette, fit la dame à l'encontre de l'artiste.

— Je le sais ma Dame, mais si le second onguent permet d’apaiser votre tourment, le premier facilite la fixation de l’encrage et vous prémunira contre d’éventuelles impuretés. D'une négligence pourrait résulter une infection voire une mauvaise fièvre.

Dame Layna n’insiste pas et se laisse volontiers aller sous les douces mains de Fille. Elle soupira d’aise lorsque cette dernière étala la préparation sur son bas-ventre.

— Que ne veux-tu donc me la confier …

— Nous avons déjà clos cette discussion, ma Dame.

— Tu es têtu et buté comme …

— Maître …

L’encreur tressaillit lorsque Fille interrompt la Dame. Elle allait finir par leur attirer des ennuis !
Mais la déesse invita la jeune fille à continuer.

— Maître … je pourrais rester, fit cette dernière.

— C’est hors de question. Et ce n’est pas discutable.

Toujours allongée nue sur l’étoffe, la créature se releva sur ses coudes.

— Laisse-la parler.

— Je … je pourrais servir Dame Layna.

Tout d'abord, le Maître n’osa parler tant il était furieux, inquiet peut-être. Tout son être était tendu comme un arc, il fit quelques pas dans la pièce, se retourna.

— Tu rentres avec moi. C’est ainsi et tu n’y pourras rien changer.

— Quelle autorité as-tu donc sur elle ? Est-ce ta fille ? Ta nièce ? De quel droit lui imposes-tu ta volonté.

— Je l’ai recueillie et me suis engagé à la protéger.

Une joute verbale s’engagea entre l’homme et la divine créature. Mais me Maître s’enfonçait dans l’incohérence. Il s’énervait, perdait pied, s’embrouillait. La dame, elle, demeurait étrangement calme. Elle alignait ses arguments avec un bon sens et une intelligence sans faille. Elle reprit, d’une voix douce et posée, s’adressant à l’artiste.

— Je pourrais te faire mettre aux fers et m’emparer de ton petit trésor sans même me justifier. En faire ma servante ou une putain toute acquise à mon plaisir. Ou même une esclave. Mais je ne le ferai pas. Je veux que nous trouvions un terrain d’entente.

Le Maître s’enfermait dans son mutisme tandis que Fille reprenait espoir. Elle devait rester au château si elle voulait avoir une chance de revoir Gunar. Il était la seule piste qui pourrait l’amener à la signification de ce symbole qu’elle portait encré dans sa chair.

— Vous pouvez-vous en aller tous les deux. Je te donne jusqu’à demain soir. Discutez-en. Prenez votre décision en bonne entente. Si ta petite protégée souhaite me servir et que tu l’y autorises, ma porte lui est ouverte. Dans le cas contraire, fais en une apprentie ou une fermière, libre à toi.

— Comme il vous plaira ma Dame. Mais ma décision est prise, elle reste avec moi.

— Il ne s’agit pas de ta décision mais de la sienne. Elle est assez grande pour se prononcer. A son âge, beaucoup de jeunes filles ont déjà été engrossées, certaines plus d’une fois. Elle ne t’appartient pas.

— Je vous promets d’y réfléchir, ma Dame.

— Va-t-en donc avant que je ne change d’avis et ne te fasse mettre aux fers Cet encrage a beau être de toute beauté, je pourrais envoyer des éclaireurs aux quatre coins du district ou des espions au sein même de la Fédération. L’un d’eux me trouvera bien un artiste aussi talentueux que toi, ta côte ne manquerait alors pas de s’effondrer.

Elle frappa deux fois dans ses mains, les lourdes portent s’ouvrirent en grinçant. Lorsqu'elle les raccompagna jusqu’aux battants, elle ne tenta nullement de dissimuler sa nudité aux deux soldats de faction, se pavanant éhontémment devant les deux sbires qui n’osaient croiser cependant la regarder. Le regard du Maître s’assombrit encore. Cette femme était une démonne, une sorcière malfaisante. A son contact, Fille allait pourrir comme un fruit sain le faisait au contact d’une pêche gâtée.

***

Sitôt franchies les murailles du château, Fille fut contrainte de trottiner tant le pas du Maître se faisait hâtif et saccadé. Il fulminait, enrageait même.

— Petite sotte, quelle mouche t’a piquée ? Tu n’as aucune idée du guêpier dans lequel tu t’engages. Tu n’es rien pour cette femme, rien ! Au mieux, tu seras un jouet parmi d’autre dont elle se lassera en moins de quelques lunes. Et quand elle en aura assez, elle te vendra comme esclave ou te donnera en butin à quelque escadron de soldats ! Si elle ne te fait pas couper la tête juste par caprice !

Fille tenta de tout lui raconter. La fenêtre, Gunar, la piste. Une fois rendus, le Maître s’était un peu calmé mais il affichait toujours un air sombre et contrarié.

Tous deux s’assirent de part et d’autre de la lourde table. Le Maître avait maintenant l’air ma abattu.
Un lourd silence pesa dans la pièce à vivre.

— On raconte qu’elle fornique nuit et jour, avec des hommes, des femmes, de très jeunes gens. Des esclaves même. Que quand un de ses amants vient à la décevoir, elle l’égorge de ses propres mains. On dit aussi qu’elle s’abreuve du sang de jeunes esclaves femelles pour rester jeune. Que son sexe peut secréter à l’envi du nectar ou du venin et que rien qu’en serrant les cuisses autour du dard de son amant, elle peut le foudroyer dans l’instant avec son poison intime.

Fille éclate de rire.

— Allons donc, comment pouvez-vous croire pareilles sornettes ? C’est tout simplement impossible.

Le Maître se renfrogna. Il était à court d’argument, Fille en profita pour renchérir :

— Ce ne sont que légendes et balivernes. Qu’elle soit cruelle ou insatiable, passe encore. Mais je ne crois pas aux démons. De toute manière, c’est ma seule chance de pouvoir approcher Gunar. Laissez-moi partir.

Un long silence s’installa à nouveau. Le Maître, prostré, semblait résigné, si pas vaincu.
Quand il releva la tête, ce fut pour jouer sa dernière carte.

— J’ai eu une fille. Une enfant vive et espiègle, pleine de joie et de vie. Elle était ma lumière, ma raison d’être. Sa mère est. Morte en la mettant au monde.

Fille retint son souffle.

— Elle venait de fêter ses treize printemps. C’est à peu près l’âge que tu avais quand tu m’as vendu ces pots de miel et que je t’ai encrée. Nous rentrions d’une tournée aux confins des territoires de l’Ordre. En traversant les forêts noires, nous nous sommes arrêtés pour laisser les chevaux se désaltérer. Je les entendus au loin, les aboiements des chiens et les cris des hommes. Des chasseurs. Au bord de la rivière, un faon blessé est apparu.

Tétanisée, Fille n’osait interrompre le Maître. Ses yeux étaient embués et sa voix se brisa.

— J’ai hésité un instant. Le temps d’un souffle. Lila - c’est son nom - s’est précipitée pour aider le faon. L’animal, blessé et acculé à la rivière, n’a pas même pu fuir. C’est à cet instant que les chiens sont apparus. Ils nous ont cernés, tous crocs dehors. Mais ils n’approchaient pas. Jusqu’à ce que les chasseurs arrivent.

Fille ne voulait pas entendre la suite. Les chasseurs qui enjoignaient à la fillette de s’écarter, le Maître qui tentait de la raisonner et de l’attirer à lui. La petite accrochée au cou de l’animal, sanglotante. Ses hurlements quand les chiens la mirent en pièce. Le couteau du Maître qui s’enfonçait dans les flancs d’un premier chien puis d’un deuxième. Le coup de massue, le Père cloué au sol, groggy, incapable de bouger, les hurlements de la fillette, encore.

— Elle criait, ou plutôt elle hurlait. J’ai tenté de me relever, de faire de mon corps un rempart. Mais j’étais si engourdi par le coup que je ne sentais plus ni mes bras, ni mes jambes. Ils ont laissé les chiens la dévorer, riant et criant, se repaissant du spectacle. Ils ont tué le faon et ne l’ont même pas emporté.

Les larmes coulaient le long de ses joues. Fille, elle, osait à peine respirer.

— Ce sont des gens comme ça qui règnent sur l'Ordre. Même si nous sommes bien loin de la capitale, ceux qui peuplent ce château ne doivent pas être bien différents. Et ce n’était qu’une partie de chasse. Ma fille était à peine plus jeune que toi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire J. Atarashi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0