Envol

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(Edit 1 février 2024 : hormis le passage du présent au passé, ce chapitre comporte quelques adaptaions visant à corriger au moins partiellement quelques les incohérences relevées par entre autres Lauent VDH, L'Olivier Inversé, Roro ... merci à vous et à tous les autres. Pas d'impact majeur sur l'histoire).

Ce fut le cœur lourd que Fille se leva. Elle avait mal dormi, le dilemme l’ayant tourmentée toute la nuit. Bien que sa décision fut déjà prise, elle éprouvait une petite mais réelle appréhension à quitter la relative sécurité que lui offrait le maître-encreur pour s'engager dans cette nouvelle aventure. C'était cependant la meilleure façon d'avoir accès au château et par la même, à Gunar, pour enfin peut-être trouver un début de piste. En outre, le Maître-Encreur avait été suffisament clair : il était prêt à l'héberger pour une lune. Au-delà, Martha serait de retour et les services de la jeune fille lui serait probablement plus dispensables. Mais dans l'intervalle , il comptait manifestement sur elle pour l'assister. Si elle partait maintenant, il en éprouverait peut-être quelque embarras.

Allons donc ... c'eut été pareil si tu n'avais pas frappé à sa porte !

Et puis il y a en elle cette force, ce besoin impérieux qui la poussait à aller de l’avant. Elle ne savait pourquoi, mais elle devait le faire. Elle devait chercher. Elle pouvait presque entendre la voix en elle qui la haranguait.

Qui es-tu ? Cherche ! Tu dois savoir !

Elle avait pensé quitter la maison discrètement au milieu de la nuit, mais s'était ravisée. Elle ne voulait pas rajouter au mal-être provoqué par sa fugue, sa fuite lorsqu'il s'était agi de quitter Tabor. Quelle ingrate elle avait fait ! Les larmes aux yeux, elle devait se rendre à l'évidence : elle était lâche et égoïste. Epuisée, elle s’était rendormie peu avant le point du jour. Elle partirait, oui, mais pas sans dire adieu à son protecteur.

Tôt réveillée, elle avait mis un point d'honneur à attendre son hôte avant de se sustenter, aussi fut elle soulagée lorsqu'il la rejoignit. Ses traits s’affaissèrent quand il la vit. Il avait compris. Nul besoin de mots quand la déception est à ce point prégnante. Ils partagèrent le pain et un reste de fromage, sans échanger un mot. Fille fixait le fond de son écuelle depuis un moment quand le maître brisa le silence.

— Ta décision est prise.

— Oui Maître.

— C’était une affirmation. N’y a-t-il rien que je puisse dire pour te retenir ?

— Non. Je suis désolée. Vous avez été bon pour moi. Mais je dois partir. J’ai … j’ai cette voix qui me dit que je dois y aller. Trouver qui je suis.

— Que les dieux te protègent. Tu n’as aucune idée du nid de vipères dans lequel tu mets pieds.

— Je saurai m’en préserver. Et je reviendrai.

— Tu ne reviendras pas. Ils vont te détruire. Te tuer ou te briser. Ou pire, te gâter et te pourrir au point que tu te perdras toi-même. Ou alors tu m’oublieras. Mais je serais bien mauvais de t’en vouloir. Après tout, tu n’es qu’une lumière venue adoucir ma routine. Bien fou celui qui croit pouvoir retenir la lumière. Tu ne me dois rien.

Fille se leva.

— Je reviendrai. Demain, dans dix lunes ou dans cent, mais je reviendrai.

Il ignora ses paroles. Lorsqu’elle fit mine de franchir la porte, il la retint.

— Ma porte te sera toujoujours ouverte. Demain ou un autre jour.

Les adieux furent silencieux. Une dernière étreinte, un dernier regard.
Fille s’éloigna alors, son bâton à la main. Son balluchon étaitt léger, il tenait dans une besace.

Et sans un regard en arrière, elle disparut.

***

— Laissez-moi passer, je suis attendue. C’est Dame Layna qui m’a faite mander !

Les soldats s’esclaffèrent.

— Allons donc, qu’a-t-elle à faire d’une gueuse telle que toi ? Va-t-en, ou il t’en cuira !

Fille pesta contre les deux rustres. Le plus malingre des deux, qui était aussi le plus laid, la poussa brutalement et lui jeta une pierre sous le regard hilare de son confrère. Elle enrageait.

— Je suis venue ici hier. On m’a accompagnée jusqu'à une poterne. J’ai passé la journée chez Dame Layna. Deux gardes en hallebardes gardaient sa porte. L’un d’eux avait la peau aussi noire que le charbon !

Les deux sbires marquent un temps d’arrêt. Ils hésitent, se tâtent. Se concertent.

— Attends là et ne bouge pas d'un pouce !

Au bout d’un instant, un sergent arriva. Il semblait hésiter quant à la conduite à tenir, s’enquit de son nom, se moqua, s’absenta, revint avec deux autres soldats.

— Conduisez-la au château. Le Chambellan veut la voir.

***

L’homme était austère, grand et sec.
Tout de noir vêtu, il ressemblait à ces immenses corbeaux décharnés qui, en fin d’hiver, luttaient pour tenir jusqu'au retour des beaux jours. Quand ses yeux perçants la scrutèrent, Fille réprima un frisson.

Elle comprit cependant qu’elle était attendue et en fut d'autant soulagée. Elle ne passa guère plus de quelques instants avec le corbeau, celui-ci avait manifestement des tâches plus importantes qui l’attendaient. Elle ne comprit d'abord pas non plus qui était censée venir la chercher, avant l'arrivée de la femme qui se présenta et s’inclina devant l’homme en noir. C’était elle probablement qui venait la prendre en charge. Tout aussi maigre que son supérieur, elle lança à Fille un regard dédaigneux. Presque dégoûté. Elle arborait un visage ordinaire, un peu flasque, des rides peu profondes mais nombreuses indiquaient une femme entre deux âges. Elle aboya un ordre et Fille lui emboîta le pas au travers de couloirs interminables et d’escaliers aux marches innombrables.

— Quand verrai-je Dame Layna ?

La mégère ne prit pas même la peine de répondre. Elles débouchèrent dans un immense couloir gardé par deux soldats encore. Ils portaient la même livrée que ceux qui hier montaient la garde devant les appartements de la Dame, si ce n’était que le blason qui ornait leur poitrine était gris et non pas jaune. Des dizaines et des dizaines de portes numérotées bordaient les deux côtés du couloir. La femme se dirigea avec assurance vers le milieu du couloir. Dans la tête de Fille, un signal d’alarme retentit. Chacune des portes était munie d’un lourd verrou. Tous étaient fermés.

La dame s’arrêta devant l'une d'elle, toute pareille aux autres. Elle tira le verrou et ouvrit le battant. Elles parvinrent toutes deux dans une petite pièce, éclairée uniquement par la lumière diffuse en provenance du couloir.

Deux lits sommaires et deux coffres de rangement étaient disposés le long des murs de gauche et de droite. Contre le mur du fond, une petite table et une chaise jouxtaient une tablette un peu plus basse surmontée d’une bassine. Dans le coin, au fond à droite, un pot de chambre.

— Je … ce n’est pas ce que Dame Layna m’avait promis.

— Eh bien tu t’en plaindras donc à elle, fit la mégère d’un ton moqueur.

— Quand la verrai-je ?

— Quand elle le décidera. Demain. Après-demain. Ou à la prochaine lune. Qui sait ?

Elle se retira et ferma la porte derrière elle, plongeant la pièce dans le noir absolu.

Un claquement sec accompagna le verrou lorsqu’elle le tira.

Puis un chuintement libèra l’ouverture d’un judas. Un étroit rayon de lumière perçait l’obscurité épaisse, la pénombre était cependant si dense que les yeux de Fille tardèrent à s’en accommoder.

Elle guetta les pas qui s’éloignaient en martelant la pierre et tenta d’ouvrir la porte qui bien entendu, résista à ses efforts.

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