Prison dorée

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Troisième jour.

Le verrou glissa une fois encore. Mais ce n’était plus la petite esclave qui apparaissait dans l’embrasure de la porte. L’homme était si massif qu’il occupait tout l’espace entre les deux chambranles.

— Suis-moi.

Sa voix était aussi fluette que sa stature était imposante. Fille ne se fit pas prier, en un tournemain son baluchon valsa par-dessus son épaule. Dans le couloir, la lumière était si vive qu’elle peina à garder les yeux ouverts. Mais petit à petit, elle s’en accommoda et suivit le mastodonte qui se traîneait en se dandinant d’une jambe sur l’autre. Il avait manifestement du mal à mouvoir ses deux quintaux de graisse, Fille n’osa imaginer la descente ou pire, la montée des escaliers. Devant elle, le crâne chauve se balançait de gauche à droite au rythme des pas pesants.

Les deux gardes ne leur accordèrent pas un regard lorsqu’ils quittèrent le couloir.
Très vite, la montagne de chair se montra prolixe.

— Je suis Dwan. C’est moi qui suis en charge de ta formation. À partir de ce jour, tu fais partie de la maison de Dame Layna. Tu seras affectée au deuxième cercle et à ce titre, tu es assignée à son service personnel. J’ignore comment tu es parvenue à obtenir ce traitement de faveur. Comment t’appelles-tu ?

— Je suis Fille.

— Fille ? Qu’est-ce donc pour un nom ?

— Je sais. Cela peut paraître bizarre. Mais c’est le mien.

— Va donc pour Fille. Voici tes quartiers.

La pièce était spacieuse, propre et lumineuse, sans luxe ostentatoire. Comme celle de Dame Layna, elle était divisée au moyen de draperies, plus épaisses et moins colorées toutefois que les riches tissus qu’elle avait pu voir quelques jours auparavant. Elle découvrit son lit, sobre mais moelleux à souhait, y posa son paquetage. Elle exprima tout haut son contentement. Elle n’avait nullement apprécié son séjour dans la prison.

— Ne t’y fie pas trop. À dater de maintenant, tu appartiens à Dame Layna. Point de verrou ici, mais ne t’avise pas de quitter l’étage ou tu retourneras illico dans les loges silencieuses qui, crois-moi, sont un palace à côté des prisons. Dis-toi que nombre de servantes ou serviteurs seraient prêts à tout pour accéder au privilège qui est le tien maintenant.

— Ils ne dorment pas tous ici ?

— Le deuxième et le premier cercle seulement. Les membres du premier cercle ont un appartement individuel. Ceux du troisième logent dans les parties communes, ils n'ont pas à entrer en contact avec les maîtres. Les esclaves sont parqués dans les niveaux inférieurs.

Fille frissonna en pensant à la jeune fille mutilée.

— On leur coupe la langue ? Pourquoi ? C’est monstrueux.

— On les sélectionne et on les taille en fonction des tâches auxquelles ils sont destinés. Mais évite ce genre de réflexion si tu ne veux pas qu’on te la coupe à toi aussi.

— Quand verrai-je Dame Layna ?

— Quand elle aura besoin de toi. Prie pour que ce soit le plus tard possible.

Fille expliqua à l’eunuque qu’elle l’avait déjà rencontrée, qu’elle était ici à sa demande. Qu’il lui fallait la voir, qu’elle voulait découvrir le château, qu’elle ne comptait pas rester enfermée dans cette prison dorée, qu'elle ...

— Tu parles beaucoup trop. Je ne sais pas ce que Dame Layna a pu te raconter. Mais tiens-toi à carreau. Fais-toi discrète, invisible même. Ne lui adresse jamais la parole sans y être invitée. Ne la regarde pas dans les yeux. Seules les membres de la cour en ont le droit. Fais un pas de travers et tu seras durement punie ou pire, tu seras marquée au fer rouge et tu finiras esclave.

***

Les jours qui suivirent furent consacrés à l’apprentissage. Dwan multipliait, les consignes et les conseils, ne lui épargnant absolument rien. Le protocole, les exigences de Dame Layna et du Légat, les us et coutumes entre serviteurs, l’organisation du château, de la cour, de l’ État. Les penchants des uns, les manies des autres, rien n’était laissé au hasard. Sans oublier bien sûr une foultitude d’informations factuelles : l’organisation de la blanchisserie, l’entretien des appartements ou encore le service des repas.

— Quand pourrai-je sortir ?

— Que veux-tu dire ?

— Sortir. J’aimerais visiter la cour du château.

— Tu n’as aucune raison de sortir. Tu es affectée au service personnel de Dame Layna. Tu ne sortiras que quand elle le fera elle aussi, et uniquement si elle a besoin de toi. Les soldats, le personnel affecté aux tâches extérieures, les intendants sortent. Le personnel du premier cercle aussi. Mais pas toi.

— Est-ce que vous sortez, vous ?

— Non, jamais.

— Comment puis-je intégrer le premier cercle ?

Dwan éclate de rire.

— Tu ne doutes de rien, petite.

— Vous ne répondez pas à ma question.

— C’est uniquement lié au bon vouloir de Dame Layna ou du Légat. Il n’y a pas de règle. Un caprice de la favorite ou une pulsion du Légat peuvent te propulser dans le premier cercle. Mais le plus dur est d’y rester. S’ils se lassent de toi ou si tu les déçois, tu tomberas plus bas que terre. À jamais.

— Vous voulez dire que je serais … rétrogradée ?

— Non. On ne réintègre jamais un cercle inférieur. Si tu viens à faillir, tu es vendue comme esclave ou exécutée, en fonction de l’importance de ta faute.

— Suis-je donc condamnée à vivre ainsi jusqu’à la fin de mes jours ?

— Non bien sûr, si c’était le cas les couloirs grouilleraient de serviteurs vieillissants. Ceux qui s’acquittent correctement de leur tâche font l’objet des bonnes grâces des Seigneurs, certains sont gratifiés d’une petite bourse qui leur permet de ne pas mener une existence de mendicité, voire pour certains membres du Premier Cercle d’acquérir une petite ferme. Mais ils sont beaucoup plus rares que ceux qui finissent sous la hache du bourreau.

— Je dois voir Dame Layna.

— Malheureuse, ton souhait sera exaucé bien plus vite que tu ne le penses. Ton apprentissage touche à sa fin, tu commences ton service dès demain.

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