Le forgeron

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Le garde se retourne, fait quelques pas vers son camarade.

Une boule au ventre, Fille franchit d’un bond la poterne et plonge vers le premier couvert qui se présente à elle. Cachée sous une charrette à l’arrêt, les yeux clos, les poings serrés, elle tente de reprendre le contrôle sur son coeur qui bat la chamade.
C’est folie que de quitter ses appartements sans y être explicitement autorisée. Mais si elle doit attendre le bon vouloir de sa maîtresse, il coulera bien de l’eau sous les ponts avant qu’elle ne puisse voir Gunnar. Il faut parfois savoir forcer le destin.

Un coup d’oeil vers la poterne. Aucun des deux gardes n’est visible.
D’un pas leste, Fille s’éloigne en direction de la cour intérieure du château. Elle y débouche très vite.
Bien qu’ici rien n’évoque la cohue de la ville, il règne une activité certaine, mais point de désordre. Tout semble organisé. La vingtaine de personnes qui s’affairent semblent toutes savoir exactement ce qu’elles font.
Elle repère très vite les feux du forgeron.
Un homme qui semble taillé dans un bloc de granite surveille le déchargement d’un chariot de bois.
Elle s’approche.

— Le bon jour Maître. Je cherche Gunnar.

L’homme la toise, intrigué.

— Le bon jour jeune damoiselle. Que lui voulez-vous à Gunnar ?

— C’est un ami, je ne l’ai plus vu depuis bien longtemps.

— Eh bien vous tombez mal. Il est parti livrer des cognées à Bihr-Kelder.

Fille peine à cacher sa déception. Bihr-Kelder est une grosse bourgade, sise au coeur de la forêt, à deux jours de cheval de Saad-Ohm. Le village est connu pour abriter une important corporation de bûcherons. Une telle malchance lui fait monter les larmes aux yeux.

— Eh bien, vous semblez fort déçue jeune fille ! Mon Gunnar fait tourner bien des têtes, la vôtre ne semble pas avoir été épargnée.

Fille a bien du mal à décider si le sourire du Maître Forgeron se veut goguenard ou au contraire, compatissant. Elle hésite à aborder de front ce qui l’amène. Après tout, elle n’a rien à perdre.

— Il m’a dit que vous pourriez m’aider.

Sans vraiment hésiter, elle raconte succinctement son histoire. La rencontre avec Gunnar. Le mystérieux symbole encré dans sa chair.
D’un geste, elle écarte sa tunique, dévoilant le tatouage. Le colosse émet un sifflement.

— Il est de toute beauté. L’artiste qui vous a encrée ne doit pas être bien loin, je reconnaitrais sa patte entre mille.

— Gunnar m’a dit qu’il avait vu de tels symboles sur un sabre que vous aviez forgé.

— Tout à fait. La gravure m’avait alors donné bien du fil à retordre. Ce ne sont pas des symboles, ce sont des mots. Une forme d’écriture très ancienne. La légende dit qu’elle daterait d’avant l’avènement du monde.

Le sang de Fille se fige dans ses veines. Une piste, enfin ! Toute excitée, elle interrompt l’homme.

— Qu’est-il écrit ? Qu’est-il écrit ?

Elle trépigne.

— Je n’en sais rien jeune fille. Cette langue m’est inconnue. Je doute d’ailleurs que vous puissiez trouver ici quelqu’un qui puisse la déchiffrer.

La déception est à la mesure de l’espoir que le forgeron avait suscité un instant auparavant. Immense.
L’homme semble terriblement désolé de ne pouvoir l’aider, elle devine que sa contrition n’est pas feinte. Mais déjà, elle rebondit :

— Pour qui avez-vous forgé cette arme ? Un guerrier ? Un notable ?

— Gunnar vous l’a dit. Pour un ami. Le Commandant de la garnison d’Al Hudud.

Al Hudud ! Les confins ! La dernière ville sous le joug de l’Ordre avant les Territoires Interdits. La cité la plus septentrionale des terres habitées. La malchance s’acharne aujourd’hui sur Fille. Il lui faudrait d’innombrables jours pour rejoindre cette ville oubliée de tous. Deux, trois lunes, peut-être plus. Qui plus est, le voyage ne manquerait pas de se révéler extrêmement dangereux. D’autant que même si elle partait sous peu, elle atteindrait son but au plus fort de l’hiver. Et les Dieux savent à quel point l’hiver est rude dans les Terres Sombres. Il se dit d’ailleurs que pendant trois lunes, le jour ne se lève jamais, baignant la contrée d’une pénombre glaciale d’où elle tire son nom.
Peste, les obstacles semblent se dresser devant elle comme le maïs au coeur de la belle saison !
L’artisan esquisse un sourire.

— Vous m’avez l’air si déçue. Mais si je puis me permettre …

— Oui ?

— Je doute qu’un soldat, même de haut rang comme mon ami, puisse vous être d’une aide quelconque. Ce … langage … est aussi ancien que complexe. Cherchez plutôt auprès des érudits. Vous trouverez plus de réponses au sein d’une bibliothèque que dans une place forte.

— Une bibliothèque ? Que voulez-vous dire ? Elles sont interdites !

— Foutaise. Les institutions publiques le sont, mais même si leur contenu a été brûlé, de belles pièces ont survécu et demeurent jalousement gardées par de doctes savants ou des sages discrets. C’est là qu’il vous faut chercher.

D’emblée, l’image de Tabor caressant ses précieux ouvrages lui revient en mémoire. Père, me pardonnerez-vous un jour ma fuite ? Elle chasse vite ces pensées déprimantes. Y aurait-il plus d'amateurs d'hommes sages, à l'image de Tabor, dispersés aux quatre coins du royaume, qu’elle ne l’aurait pensé. La voix du forgeron la tire de ses pensées.

— Je ne peux rien faire d’autre pour vous jeune fille.

— Je vous remercie Maître, vous m’avez sans conteste prodigué un début de piste. Et de précieux conseils. Saluez Gunnar pour moi. Dites-lui que je sers au château.

— Je n’y manquerai pas. Mais qui dois-je mentionner ?

— Fille. Je suis juste Fille.

L’homme observe un instant la silhouette gracile s’éloigner.
Quelle étrange jeune fille. Sacrément jolie en outre. Décidément, Gunnar lui cache bien des choses.

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