Le test (1/3)

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C’est en courant que Fille traverse les couloirs qui séparent les chambres des domestiques des appartements du Seigneur et de sa Favorite. Dwan a été très clair: Dame Layna voulait la voir sur le champ ! A cette heure de l’après-midi, que la Favorite avait pour habitude de consacrer à ses affaires et à la Cour, c’était tout à fait exceptionnel. C’est toute essoufflée qu’elle franchit la porte en bousculant presqu’au passage un des deux hommes de faction.

Layna est debout devant une fenêtre, perdue dans ses pensées, les yeux fixés sur l’horizon grisâtre, annonciateur de l’hiver imminent.

— Vous m’avez fait mander, ma Dame ?

Surprise, sa Maîtresse fait subitement volte-face. On la croirait prise en défaut, comme si ce bref instant de rêverie constituait un aveu de faiblesse.

— Oui. Viens. Nous sortons !

— Nous sortons … mais …

Elle n’a pas le temps de terminer, Layna a déjà franchi la porte sous le regard surpris des gardes.

— Je … je n’ai ni cotte ni manteau.

La Courtisane lui lance un bref regard, jauge sa tenue. Fille porte une de ces tuniques qu’elle affectionne tant, une tunique courte et légère, laissant nus ses bras et ses jambes jusqu’à mi-cuisse.

— Tu seras très bien ainsi. Allons, pressons !

Fille doit trottiner pour la suivre. Quatre gardes armés les accompagnent. Où diable sa Maîtresse est-elle donc si pressée de se rendre ? Elles franchissent la poterne, débouchent dans la haute-cour qu’elles traversent prestement. Il fait froid et venteux, une fine bruine cinglante les cueille au passage. Fille ne peut s’empêcher de frissonner tandis que sa Maîtresse, bien couverte, ne semble pas même remarquer les frimas.
La jeune fille lance une oeillade à la forge. Pas trace de Gunnar, ni du forgeron. Les portes sont closes, ils doivent être à l’intérieur, bien au chaud.

Elles parviennent dans la basse cour dans laquelle une dizaine d’hommes armés s’affrontent. Une rixe ! Mais très vite, Fille comprend que de bataille, il n’y a point. Ces hommes s’exercent.

Layna apostrophe le plus âgé d’entre eux, un homme déjà fort grisonnant et de stature moyenne.

— Voici la fille, Maître.

L’homme se tourne, salue Layna qui enchaîne :

— Fille, voici Akhan, le Maître d’Armes du Légat lui-même.

L’homme dévisage la jeune fille. Son visage n’exprime ni surprise, ni amusement. Impassible. Il claque des doigts, celui qui semble l’assister se dirige vers une claie ou gisent une petite dizaine d’épées. Il en saisit une, la tend à son Maître qui la refuse.

— Celle-ci est trop lourde. Donne-lui la plus légère !

Entretemps, les gardes ont tendu une toile carrée au-dessus de la Favorite, chacun d’entre eux maintient tant bien que mal un pieu plus grand qu’eux, ancré au sol, formant ainsi une sorte de tonnelle. Fille, elle, subit les assauts de la pluie.

L’assistant revient avec une épée, elle semble plus petite. Le Maître la soupèse. Satisfait, il la tend à la jeune fille.
Cette dernière interroge Layna du regard, qui lui répond d’un simple signe de tête, en relevant le menton pour lui signifier de s’exécuter. Le Maître d’arme hèle un des hommes, qui sort du rang. C’est un gaillard à l’apparence solide et au visage déterminé. Il s’avance, épée à la main. Akhan se tourne vers la jeune servante.

— N’aie crainte, vos armes sont émoussées et leur fil a été limé. Montre nous donc ce que tu sais faire …

La jeune fille n’ose protester. Elle se met en garde, mal assurée. Ses sandales glissent dans la boue et l’épée est encore trop lourde à son goût. Elle est aussi mal équilibrée, elle peine à maintenir l’arme correctement.
Mais déjà son adversaire lui assène un coup puissant. Elle le pare de justesse, le choc résonne dans tout son bras droit. Elle manque de force et surtout d’entraînement. Elle prend le sourire goguenard du bonhomme pour un moment d’inattention et tente de lui asséner un coup, une taille au flanc droit. La parade est si violente qu’il s'en faut de peu pour quelle ne lâche son arme. L’homme riposte, deux, trois, quatre coups qu’elle parvient à parer toujours plus difficilement avant de tomber à la renverse sous la pression de l’assaut. Penaude, elle git dans la boue, l’assistance est hilare et son adversaire, content d’amuser la galerie, fait déjà mine de quitter le terrain. Un coup d’oeil à Dame Layna lui révèle à quel point elle est contrariée. Pire, l’humiliation semble plus grande encore pour la Concubine que pour la gamine assise le cul dans la boue.

Alors elle se relève, assure sa prise sur son épée.

— Eh toi, on en a pas fini !

L’homme se retourne. Il la contemple sans même prendre la peine de se mettre en garde. Lorsque telle une furie, elle fond sur lui, l’épée levée pour le fendre en deux comme une bûche, il ne tente pas un geste. Au dernier moment, vif comme l’éclair, il fait un pas de côté. Et quand la donzelle déséquilibrée et emportée par son élan passe à sa hauteur, du plat de son épée, il lui assène une formidable tape sur les fesses.
Fille s’étale de tout son long dans la boue. Son visage heurte durement le sol. Sonnée.

Les éclats de rire fusent. L’humiliation est totale.
Des larmes de rage se mêlent à la boue qui lui obstrue les yeux. Elle se relève en titubant, avise son épée au sol, se penche pour s’en emparer.

— Cela suffit !

L’ordre vient de Dame Layna. Fille baisse la tête. Trempée jusqu’aux os, couverte de boue, elle n’en mêne pas large. Déjà la rage fait place à la résignation. Les larmes coulent sans retenue le long de ses joues. Mais ce sont maintenant des larmes de honte. A l’abri sous sa tonnelle improvisée, Layna fulmine tandis que les hommes rient à gorge déployée en évoquant cette nouvelle botte que déjà ils baptisent le « claque-fesse ».

Même les quatre soldats qui maintiennent les pieux de la tonnelle peinent à retenir un sourire.

Layna leur lance un regard noir et se tourne vers Fille.

— Nous rentrons ! Tu t’es suffisamment donnée en spectacle

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