Le test (2/3)

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Layna quitte les lieux d’une démarche décidée mais visiblement nerveuse, et Fille lui emboîte le pas, honteuse. Accompagnée des quatre gardes, elles quittent la basse cour sous les moqueries des escrimeurs que le Maître d’arme tente de calmer.

Fille n’ose regarder vers la forge, elle prie pour que les Dieux lui épargnent cette humiliation supplémentaire : passer sous les yeux de Gunnar, crottée comme la dernière des souillons et les yeux rougis par les larmes. Car cela n’est pas elle. Ce n’est pas elle !

Elle relève la tête. <annotation id="2794397">Ce n’est pas moi, ça !

— Ce n'est pas moi !

Son murmure se perd dans le vent et la bruine. Elle arrête un des soldats, s’empare d’un des perches qui servait à tendre la tonnelle. Elle l’arrache à la bâche. Elle est suffisamment épaisse et longue, la dépasse de deux têtes au moins. Elle n’est peut-être pas fait du meilleur bois, mais devrait être suffisamment solide face à une épée bien émoussée. Elle fait volte face et sans rien dire repart vers la basse cour.

Layna la hèle.

— Fille ! Fille ! Reviens ici !

Mais la jeune servante n’a aucune intention d’obtempérer. C’est maintenant Dame Layna, furibarde, qui trottine derrière elle pour tenter de la rattraper, mais Fille presse le pas encore, jusqu’à rejoindre le petit groupe à l’entraînement.

— Eh ! Eh toi !

L’homme se retourne, c’est maintenant de la pitié qu’on peut lire dans son regard. Il n’a pas envie d’humilier plus encore la petite jeune fille trempée qui se tient face à lui, les pieds dans une marre de boue, la main sur son bâton ancré sur le sol.

— Oui, c’est à toi que je parle !

Le Maître d’arme fait mine d’intervenir mais Layna, qui les a rejoints, l’arrête d’un geste de la main.

Lorsque son adversaire s’approche, l’épée au bout du bras, Fille saisit son bâton à deux mains par le milieu, Une main à hauteur de sa tête, l’autre bien en avant, à hauteur du plexus, son arme improvisée pointe vers les jambes de l’homme. Sa garde est trop basse, pense-t-il. Il attaque sans crier gare. Au lieu de tenter de parer le coup, Fille esquive dans un mouvement circulaire en faisant tournoyer son bâton qui vient entraver la marche de l’escrimeur. Celui-ci trébuche, se rattrape de justesse en posant un genoux au sol. Au même moment, la jeune servante effectue un tour complet sur elle-même, profite de l’impulsion pour faire tournoyer son bâton si rapidement qu’il siffle en fendant l’air, avant de s’écraser sur le crâne de l’homme. Elle a juste le temps de retenir un peu son coup, elle n’a aucune envie de le tuer ou de le blesser gravement. Malgré ça, l’homme s’écroule, sans connaissance.
Le combat n’a duré qu’un très bref instant.
Plus personne ne rit. D’un geste de la main, Layna signale aux gardes qui tentent de dresser la tonnelle qu’elle n’en a cure. Aucune pluie ne pourra gâcher le spectacle qui s'offre à elle.

Le Maître d’arme claque des doigts, désigne deux de ses élèves. Ils s’avancent tout deux prudemment, cherchent leurs marques. Ils attaquent d’abord simultanément de front, mais se gênent l’un l’autre plus qu’ils ne s’entraident. Fille n’a aucun mal à esquiver leurs attaque et en profite au passage pour asséner un coup violent dans le flanc d’un des compères. Il grimace de douleur, mais reprend le combat. Les deux lascars comprennent que de face, ils ne peuvent que difficilement attaquer la gamine de concert. Aussi se séparent ils pour se placer de part et d’autre de la jeune fille. Elle ne semble nullement perturbée, chaque extrémité du bâton pointe maintenant vers chacun des deux hommes. Au moment où les deux attaquent de manière coordonnée, profitant de l’allonge que lui confère sa perche, elle place un formidable coup d’estoc qui vient cueillir le plus hardi en plein plexus. Dans le même temps, elle esquive de deux pas de côté, elle est maintenant derrière son adversaire et tournoie telle une toupie en imprimant un ample et rapide mouvement au bâton. Cette fois, elle ne retient pas son coup qui s’abat avec violence au creux des reins de l’homme qui s’écroule à son tour. Derrière elle, l’autre tente de se relever, suffoquant. Fille bondit, elle semble voler dans les airs. Avant de toucher le sol, elle décoche un formidable coup de pied au visage du malheureux qui s’écroule à nouveau. Sa tête heurte bruyamment le sol, Fille atterrit un pied de chaque côté, frôlant ses deux oreilles. Elle hurle, un cri strident, presqu'un cri d'enfant qui en d'autres circonstances aurait pu susciter rires et moqueries, mais la rage qu'il traduit est si tangible, si compacte, que certains rentrent la tête dans les épaules. Simultanément, elle abat la pointe de son bâton juste au-dessus du crâne du bonhomme, si près qu’elle lui arrache quelques cheveux au passage. Le bâton s’enfonce de plusieurs pouces dans la boue et la terre, provoquant moultes éclaboussures. L’homme la regarde, sidéré. Il sait qu’elle aurait pu le tuer. Un murmure parcourt l'assitance.

Elle se tourne vers le Maître d’arme. Quatre autres hommes s’avancent pour en découdre mais Akhan, d’un geste de la main, leur enjoint de rester à leur place.

— Inutile, j’en ai assez vu.

Il se tourne vers Dame Layna.

— Je viendrai donc vous voir en fin d’après-midi, si bien sûr cela vous convient, ma Dame.

Elle acquiesce et fait signe à Fille de la suivre.

***

La Favorite plaisante en regagnant ses appartements, manifestement plus détendue.

— Tu as l’air d’une paysanne qui erre depuis dix jours dans la campagne. Cache donc au moins ta poitrine, ta tunique ne dissimule plus rien, tu vas affoler la garde. Et demande à Dwan de faire préparer un bain.

— Maintenant ma Dame ? Vous n'avez pas encore diné, il est encore bien tôt !

— Oui maintenant.

— Bien ma Dame. Dois-je envoyer Aurore ?

— Non, tu feras l’affaire.

— Laissez-moi alors le temps de faire ma toilette, je ne suis pas présentable, vous l’avez dit vous-même.

Layna s’arrête au beau milieu du couloir, saisit les mains de Fille dans les siennes.

— Le bain n’est pas pour moi. Il est pour toi. Et celui-là, c’est moi qui te le donnerai.

— Mais … ma Dame …

— Ne discute pas, je pourrais changer d’avis. Nous avons deux ou trois heures à tuer avant l’arrivée du Maître d’arme. Je ne veux pas les gâcher.

***

Le jour touche à sa fin. La jeune fille et sa Maîtresse gisent sur l’immense lit, enlacées face à face. La courtisane hume une fois encore la délicieuse odeur de sa servante, mélange des sels de bain, des parfums et de l’odeur caractéristique qui vous trahit trop bien après quelques torrides jeux amoureux. Une légère odeur de transpiration mêlée au parfum du plus intime des élixirs.

— J’ai cru mourir de honte à l’issue du premier combat. Mais quand tu es revenue avec ce bâton, j’ai su que j’avais vu juste. Quand tu as bondi sur cet homme, j’ai vraiment cru que tu allais le tuer.

Fille reste silencieuse, elle veut profiter de cet instant d’éternité, un instant parfait. Sa Maîtresse l'a fait crier de bonheur quelques instants auparavant. Dwan a tort, Layna n'a rien d'un démon. C'est un ange, une Déesse capable de vous amener jusqu'au ciel, par delà les nuages, plus haut que les montagnes ou les oiseaux. Si elle le pouvait, Fille ne redescendrait jamais. Elle entr'ouvre les yeux. Layna s’est écartée et relevée sur un coude. Elle contemple sa servante.

— L’aurais-tu tué si je te l’avais ordonné ?

Silence.

— Tu es bien taiseuse. Tu faisais plus de bruit il y a quelques instants. Mais laisse moi maintenant j’ai à faire avec Akhan.

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