D'entre les morts

6 minutes de lecture

Layna, pâle comme un linge, ne pouvait quitter des yeux le corps ensanglanté de la jeune fille. A ses côtés, le Légat adressa un signe de tête à l'homme en noir, entérinant ainsi sa victoire tandis que dans la tribune de gauche, un homme bousculait les spectateurs et se précipitait dans la fosse. Il parvint aux côtés de la malheureuse en même temps qu'un renoueur accompagné de deux esclaves s'agenouillait auprès du corps inerte. Mais déjà, le guérisseur se relevait, il intima l'ordre aux deux sbires d'emporter la carcasse désarticulée de la jeune fille. Ils n'avaient pas encore quitté la fosse que déjà, les concurrents suivants entraient dans l'arène sous les vivats. La foule avait déjà oublié celle qui il y avait un instant encore, la faisait vibrer. Pas un regard pour sa dépouille, tous n'avaient d'yeux que pour les valeureux combattants.

Sous une tonnelle de la zone d'attente, ce fut sans ménagement aucun qu'ils la déposèrent sur une épaisse table de soins, déjà toute maculée du sang des autres candidats malchanceux. Une nuée de mouches interrompues en plein festin marqua sa désapprobation sans toutefois s'éloigner du macabre banquet. Le renoueur tenta vainement de les chasser. L'homme était âgé, son beau visage creusé de profondes rides témoignait d'une vie longue et probablement bien remplie. Sa belle et longue chevelure blanche et soignée évoquait la sagesse et l'expérience. Elle contrastait toutefois avec sa toge négligée, barrée de taches de sang et couverte de poussière. Une odeur de mort flottait autour de la table. Ou était-ce l'homme qui empestait ainsi ? Seth le pressa, le houspillant au point que le renoueur, excédé, lui intima l'ordre de s'éloigner.

— Laissez-moi donc respirer et faire mon travail !

Il s'empara du fin poignet, jaugea le poul.

— Elle vit.

Seth, fou d'espoir, s'avança, hésita, recula.

— Aidez moi à la débarrasser, lança le rebouteux.

La cuirasse de cuir épais qui protégeait le corps de la jeune fille était fendue à hauteur du ventre sur toute sa largeur, révélant une plaie ensanglantée. Avec l'aide de l'assistant maître d'armes, l'homme entreprit d'en découper les liens, révélant le gambisson maculé de sang. Il lui fallut le découper sur toute sa longueur pour libérer le tronc de la jeune fille. Ce fut sans ménagement qu'il tailla dans l'épais tissu. Il lui fallut cependant un moment avant d'en venir à bout. L'homme en écarta alors les pans. Une fine tunique, ultime rempart à la pudeur, recouvrait le corps inerte. Au milieu de la poitrine, un pendentif grand comme une main, orné de deux symbôles. Le renoueur trancha le lacet de cuir qui ceignait le cou délicat, libérant l'étrange et improbable amulette. D'un geste, il déchira ensuite la fine tunique, révélant entre les deux seins menus une tache rectangulaire violacée.

— Cette ... chose ... lui a sauvé la vie en absorbant l'estoc, fit le médecin en désignant la plaquette. Mais les os ont du subir un choc conséquent.

Un gémissement. Fille cligna des yeux. Seth, fou de joie, s'empara de sa main. Elle entrouvrit les paupières et tenta de dire quelque chose. Sa voix était si faible qu'il dut tendre l'oreille. Il s'approcha encore, lui fit répéter.

— Où ... où étiez-vous resté ?

Il ne comprenait pas le sens de sa question, supposa qu'elle divaguait, tenta de la rassurer.

— Tout ira bien. Tu as eu beaucoup de chance. Cette chose t'a sauvée.

Elle tendit la main vers l'amulette, tenta de se relever pour l'attraper. Son geste s'acheva dans une grimace de douleur.

— Restez tranquille jeune fille. Vous avez une jolie plaie au ventre, elle est profonde et court sur près d'un pied. Je vais devoir vous recoudre.

L'homme lui administra une épaisse potion au goût infect. Elle protesta mais il la forçait à l'avaler. Tandis qu'il ordonnait à un assistant d'accélérer la préparation de ses instruments, elle se sentit déjà cotonneuse. Quand il approcha l'aiguille de la plaie, Seth manifesta son inquiétude, mais le soigneur ne se laissa pas démonter.

— Je vais recoudre les deux lèvres de la plaie. C'est une technique que j'ai apprise dans les Terres Orientales.

Devant le regard sidéré de Seth, il poursuivit.

— C'est infiniment moins douloureux que la cautérisation, et sous l'effet de cette potion elle ne sentira probablement pas grand chose. Mais surtout, cela laisse des traces bien moins disgracieuse que la brûlure au fer. Cela me semble appréciable pour une jeune fille.

Seth ne savait que penser. C'était sorcellerie, pensait-il. Seul le feu pouvait refermer pareille plaie. Perdu et anéanti, il s'en remit au guérisseur. Le maître d'armes observa, fasciné, les mains sûres et habiles recoudre les chairs comme s'il se fut agi de deux pièces de cuir souple. Une fois terminé, l'homme appliqua un cataplasme de sa composition puis examina la rougeur sur le torse de la jeune fille. Elle tendait déjà vers le violet.

— J'en ai terminé. La tache va bleuir mais se résorbera au bout de quelques jours. Elle ne gardera de cette mésaventure qu'une belle cicatrice au niveau du ventre. Les dieux étaient définitivement avec elle aujourd'hui. Il faudra veiller à nettoyer la plaie tous les jours. Si la purulence s'en empare, votre amie risque au mieux la fièvre, au pire un pourrissement fatal.

Ce faisant, il jeta un dernier coup d'oeil à la mystérieuse plaquette. Mais Fille s'y agrippait comme à un livre sacré et déjà, la dissimulait sous les restes de sa tunique lacérée.

***

— Vous m'avez abandonnée.

La phrase avait jailli sur un ton chargé de reproches tandis qu'ils cheminaient clopin-clopant vers le château. Tous les cent pas, il leur fallait s'arrêter pour permettre à Fille de reprendre son souffle. La potion n'avait pas fait effet très longtemps et si la sensation de brûlure sur la plaie était supportable, la douleur qui lui vrillait la poitrine au moindre faux mouvement lui arrache des grimaces.

— Que racontes-tu donc ? J'étais là à chaque instant. Je n'ai pas perdu une miette de tes combats.

— J'ai ... j'ai cru que vous aviez disparu. Je ne vous ai pas vu.

Il sourit, d'un sourire doux et appaisant.

— J'étais pourtant bien là. Je t'ai vue te débarasser de ton premier adversaire en un tournemain. J'étais là aussi quand tu as fait voler en éclat la moitié de la mâchoire du second. Le pauvre n'est pas prêt de festoyer ni de chanter.

Elle fronça les sourcils.

— Cela n'a rien de glorieux ni d'amusant. Savez-vous s'il a survécu ?

— Je n'en sais fichtre rien. Peut-être eut-il mieux valu qu'il trépasse.

Elle se renfrogna encore. Seth, lui, évoquait la foule en liesse, les cris ravis des jeunes gens, les remarques grivoises des aînés, les exclamations admiratives des spectatrices, le frisson qui avait parcouru l'assemblée quand l'épée meurtière avait entaillé sa chair. La sidération lors de l'estocade finale. Fille ne disait mot. Ce ne fut que quand enfin, ils rejoignirent le château qu'elle sortit de son mutisme.

— Dame Layna va me répudier.

— Au diable Dame Layna ! Tu as échappé par deux fois à la mort en l'espace de quelques respirations. Il s'en est fallu d'un pouce pour que tu ne finisses éviscérée ou clouée au sol comme un insecte.

— Peut-être. Mais j'ai failli.

— Tu as failli avec panache. Une défaite tragique peut être plus belle qu'une victoire laborieuse.

— C'est ridicule. C'est faux et vous le savez. Vous me disiez encore à l'instant que ce chevalier noir m'avait clouée au sol comme un cloportre. Même ma défaite était laborieuse. Je n'y vois aucune gloire.

C'était Seth maintenant qui ne trouvait pas les mots. Il décida d'abdiquer, la jeune fille n'avait pas encore le recul nécessaire pour relativiser son échec. Tous deux savaient d'ailleurs à quoi il était dû, mais le maître d'armes ne tenait pas à retourner littéralement le couteau dans la plaie. Ils auraient tout le loisir d'en tirer plus tard les leçons.

Ils rejoignirent enfin la poterne du corps de logis. Fille s'acquitta péniblement des volées d'escaliers qui les séparaient des logements des domestiques. Chaque marche était une épreuve. La douleur qui lui comprimait la poitrine l'empêchait de respirer correctement. Ce fut le souffle court qu'elle atteignit l'étage des serviteurs. Elle parcourut le dernier couloir à un train de sénateur. Dwan les accueillit, le visage grave. La défaite avait un goût bien amer, mais il se réjouit que sa protégée s'en tire à si bon compte. Devant l'insistance de Seth, il tenta d'opposer sa bienveillance, arguant du fait que Fille avait besoin de repos, mais le maître d'armes insistait. C'est Fille qui le congédia. Elle n'avait envie que d'une chose : dormir. Et ruminer sur son sort. Seule.

— Bien. Je me rallie à ta volonté. Je passerai chez l'apothicaire et tenterai de me procurer de quoi refaire ton cataplasme.

Mais Dwan, encore une fois, le rassura. Il veillerait à ce que l'apothicaire et le médecin personnel du Légat gardent un oeil attentif sur la jeune fille.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire J. Atarashi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0