Patience et longueur de temps ...

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(Edit 25 mars 2024 : encore un petit dépoussiérage visant à passer du présent au passé. Dans la première partie de ce chapitre cependant, avant les ***, j'en ai profité pour apporter quelques éléments de contexte à la nouvelle vie militaire de Fille, commé réclamé par quelques lecteurs.Je continuerai de travailler ce point dans les chapitres à venir). 


Satisfaite, Fille déposa la paire de bottes luisantes au pied de la porte de son nouveau maître, comme elle le faisait depuis maintenant une demi-lune. Les premiers jours, il les lui avait faites recommencer, encore et encore. Elles n'étaient pas suffisament propres, pas assez souples car pas suffisament graissées, ou encore le lustrage était-il inégal. La moindre excuse était bonne pour lui jeter en pleine figure son incompétence.

Le travail ne manquait pas mais si ce n'était la maniaquerie du Général, elle le trouvait moins ingrat qu'elle ne l'avait initialement pensé. Au final, la tâche d'une ordonnance s'apparentait grandement à celle d'un majordome, à ceci près qu'elle ne disposait pas d'une kyrielle d'employés de maison. Elle endossait donc tout à la fois le rôle du dit majordome, du valet de chambre et du valet de pied.

Elle croisa deux jeunes officiers qui se prirent un malin plaisir à la moquer.

— Si tu as fini celles du général, peut-être pourrais-tu astiquer les miennes, lança le premier.

— Quant à moi, c'est mon épée que je te verrais bien astiquer ! enchaîna le second en se plaquant la main sur les parties. 

Tous deux éclatèrent d'un rire gras. Elle les ignora.

Le lendemain de sa prise de fonction, elle s'était présentée à l'entraînement. Le maître d'armes qui en avait la charge l'avait rabrouée, arguant que sa place était aux fourneaux ou aux latrines. Fille avait tenté de s'en ouvrir à Bulgur, mais ce dernier s'était irrité de son insistance. Depuis, elle observait les leçons de loin, essuyant de temps à autre une raillerie ou une moquerie. Elle s'entraînait le soir ou la nuit, à l'écart de tous, répétant dans une vieille écurie ou parfois dans sa chambre les enchaînements qu'elle mémorisait le jour. 

Bien que sa charge commença avant l'aurore et s'achevât bien après le crépuscule, elle était libre d'aller et venir à sa guise dans Saad-Ohm, pour peu bien sûr que le service le lui autorise.

Et ce serait le cas ce soir. Le Commandeur était invité à dîner chez Jöl Aegirson, le Grand Intendant qui, en l'absence du Seigneur, reprenait à son compte l'essentiel des prérogatives administratives. Fille avait hâte d'enfin pouvoir se rendre chez le forgeron. Il lui avait promis sa nouvelle épée sous dix jours, le délai était amplement dépassé et bien qu'elle n'ait pu se libérer plus tôt, elle s'attendait à ce qu'il la lui fasse livrer.

***

Ce fut d'un pas hâtif qu'elle se dirigea vers la forge. Il fallat qu'elle ralentisse et qu'elle se calme. Elle n'avait aucune envie de s'afficher comme une jeune écervelée qui viendrait prendre livraison d'un nouveau jouet ou d'une nouvelle robe. Elle se maîtrisa, et c'est calme et sereine qu'elle frappa à l'huis. Ce dernier était habituellement ouvert, mais il se faisait déjà tard, peut-être Gunar et son maître étaient-ils en train de se sustenter. C'est le jeune homme qui vint à elle. Il ne pouvait cacher sa joie de la revoir.

— Toi par contre, tu ne vas pas être contente, lança-t-il.

— Ne me dis pas qu'elle n'est pas prête ! Où est ton maître ?

D'autorité, elle s'était avancée dans la pièce de vie. Fille était contrariée, déçue aussi.

— Calme-toi. Elle n'est effectivement pas prête. Tu devras patienter quelques jours encore, une dizaine peut-être.

Gunar lui explique qu'il n'y avait ni mauvaise volonté ni négligence dans le chef de son maître. Bien au contraire, car si durant les trois premiers jours il s'était attelé à cette nouvelle commande avec son zèle habituel, tout s'était ensuite bousculé.

— Que veux-tu dire ? Il n'a pas abandonné tout de même ?

— Bien loin de là. Mais la lame était, comme il le craignait, trop fragile. Elle s'est brisée lors des tests d'estoc.

Fille s'énervait. C'était une arme de taille qu'elle voulait, pas d'estoc.

— Lui ne l'entend pas de cette oreille. Il s'est mis en tête de forger une épée unique. Il est comme fou, persuadé que ce sera son chef d'oeuvre. Il prétend avoir eu une révélation, il lui arrive de forger jusqu'au milieu de la nuit, voire jusqu'au petit matin. Il ne travaille plus que là-dessus, négligeant tous ses autres engagements. Il m'a chargé de m'occuper seul des nouvelles commandes et refuse même de prendre le temps de rencontrer les clients. Pour tout t'avouer, il m'inquiète.

Bien que contrariée, la jeune fille accueillit la nouvelle avec optimisme. Au moins l'artisan mettait il tout son coeur dans son projet. Elle demeurait cependant inquiète, à tout instant elle pouvait quitter la ville et elle serait terriblement déçue si elle devait s'en aller sans son épée.

— Crois-moi, fit Gunar, il y travaille jour et nuit. S'il n'est pas là ce soir, c'est parce qu'il s'est rendu chez un confrère, je ne sais qui. J'ai cru deviner qu'il s'agissait d'un tanneur situé hors les murs.

Devant son silence, il ajouta :

— Je ne sais par contre pas ce que cela va te coûter, il a déjà passé sur cette lame cinq fois plus de temps qu'à l'habitude.

Elle se renfrogna, estimant qu'elle allait s'endetter bien plus qu'elle ne le pensait. Jamais elle ne parviendrait à rembourser une telle somme.

Gunar l'a invita à partager son repas. Elle accepta volontiers et s'en réjouit. Le pain était encore relativement frais mais le beurre surtout était particulièrement onctueux, sans compter la soupe chaude et si goûteuse !

Les deux jeunes gens sirotaient maintenant leurs coupes emplies d'un vin trop clair et trop fade, mais que corrigeait la chaleur de leurs échanges. Un silence nullement gênant s'installait maintenant entre eux. Ce fut Gunar qui le brisa.

— Ton maître d'armes là ...

Il marqua un temps d'arrêt, Fille se raidit.

— Seth ?

— Oui c'est ça ... Seth ... il est passé me voir par deux fois et m'a demandé de tes nouvelles.

— Que lui as-tu dit ?

— La vérité. Que je ne t'avais plus vue depuis le départ du Seigneur, c'était le lendemain de ta visite ici, lorsque tu as débarqué avec tes croquis.

Gunar allait gâcher cette belle soirée, pensa-t-elle. Bien qu'elle ait eu dans l'idée d'aller dire à Seth ses quatre vérités, elle ne se sentait pas encore capable de l'affronter. Elle avait d'ailleurs donné des consignes claires à la garde et au planton des quartiers du Général. Si le maître d'armes adjoint souhaitait la voir, elle n'était pas disponible. Il faudrait pourtant qu'un jour, ils aient une explication. Elle maudit sa lâcheté. Et la traîtrise de Seth par la même occasion. Mais déjà, Gunar rebondissait.

— Penses-tu que le Commandeur puisse quitter la ville ? fit-il.

— Il devra bien le faire un jour ou l'autre. Je crois comprendre qu'en l'absence de notre Seigneur, il en retarde le moment. Mais il ne pourra le faire éternellement. La levée de l'Ost nécessite de réorganiser les garnisons au moins dans le nord, je doute qu'il laisse faire sans au moins se rendre compte par lui-même. Il voudra superviser tout cela.

— Je prie pour que ce jour n'arrive que très tard. Ton départ ne m'enchanterait guère.

Le ton était grave et l'ambiance un peu lourde. Bien que touchée par les paroles de son ami, Fille se sentait un peu mal à l'aise. Le jeune homme s'en rendit probablement compte car très vite, il embraya sur le ton de la plaisanterie :

— D'autant que tes cheveux commencent à repousser, dit-il en faisant allusion au fin duvet foncé qui recouvrait maintenant le crâne de la jeune fille.

Elle rit de bon coeur. Bien que les premiers jours elle ait éprouvé un petit choc en découvrant son reflet dans le miroir, elle s'était habituée à sa nouvelle apparence. Gwendolyn, la lavandière, lui avait même suggéré quelques conseils pour en tirer parti.

— Tu as raison de me le rappeler. Il faut absolument que je passe chez le barbier pour raser tout ça.

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