Chapitre 6-2 : Alerte

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  Le temps que je redescende, il avait déjà placé le petit buffet devant la porte, fermé tous les volets, et il était en train de basculer la table sur le côté. Je vins lui prêter main forte et nous la déposâmes devant l'une des fenêtres. On fit de même avec l'étagère à provision, puis je l'emmenai dans la chambre de ma seanmhair. Son lit se retrouva devant la petite porte menant sur le jardin et le coffre contenant ses vêtements, sur le buffet devant la porte principale. Je donnai ensuite au cheval de quoi manger et boire et, seulement après, nous montâmes dans ma chambre. Je n'eus pas le temps de prononcer un mot que l'asperge banda son arc et ouvrit la petite fenêtre la plus proche.

  –Ne bougez pas d'ici, nous conseilla-t-il.

  Puis, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, il se glissa par l'ouverture et se hissa sur le toit. Plusieurs secondes de silence avec les coups de cloche pour fond sonore s'écoulèrent avant qu'un raclement de gorge me tire de mon hébétude.

  –Donc, ce charmant lad(1) ?

  Je roulai des yeux.

  –Il a rien de charmant, marmonnai-je en rejoignant Seanmhair sur mon lit. C'est juste une asp- un type que Fearghus m'a demandé de conduire à la forge puis à la sortie du village. Nous étions sur le pont quand les cloches ont retenti.

  Ses lèvres se plissèrent.

  –S'te plaît, lassie, me dis pas qu'tu lui as d'mandé 'te ram'ner ici alors que vous d’viez vous mettre à l'abri.

  –Non, pas du tout ! Je lui ai dit de rentrer dans une maison et de se cacher, mais je pouvais pas rester avec lui. Je pouvais pas te laisser seule. Tu es la dernière personne qui me reste, seanmhair. S'il t'arrive malheur, je...

  L'émotion m'empêcha de poursuivre. D'un coup, tout ce que j'avais ressenti au son des cloches rejaillit. Mes yeux s'embuèrent, mon souffle se détraqua, mon pouls s'emballa.

  –Ali...

  Alors que je ravalais un sanglot, ma seanmhair passa un bras autour de mes épaules et amena ma tête contre ses cuisses. Fermant les yeux, j'enfouis mon visage dans le tissu de sa robe et m'y accrochai plus fermement qu'un naufrager à son radeau.

  –J'ai eu si peur...

  –Je sais, mo ghrian dorcha, je sais... Moi aussi.

  On resta un moment ainsi, sans rien dire. Elle ne faisait que passer une main dans mes cheveux, comme quand j'étais petite, mais ce simple geste m'apaisait plus sûrement que n'importe quelle parole.

  Elle avait presque chassé les tremblements qui m'agitaient lorsqu'elle reprit la parole.

  –Donc, si j’résume : quand t'a dit à c'garçon qu'tu voulais rentrer, y t'a proposée de t'em'ner malgré l’danger. (J'opinai, toujours allongée sur son giron.) Et pourtant, tu l'trouve pas charmant ? (Elle poussa un profond soupir) Ah la la, les lass d'nos jours... Vous êtes d'plus en plus exigeantes, vous savez ?

  Un rire étranglé m'échappa. Je me redressai. Son petit air espiègle de goupil soulevait un coin de ses lèvres. Je secouai la tête sans pouvoir me retenir de sourire à mon tour.

  –C'est parce qu'il est trop bien éduqué ; on a dû lui apprendre qu'il faut pas laisser les pauvres filles dans mon genre toute seule. T’as entendu comment il parle ?

  Son expression mutine retomba ; elle jeta un œil vers la fenêtre où il avait disparu.

  –Aye... Même ta mamaidh(2), l’a jamais causé 'si bien et son accent, l’était fort. C’ui-là ? (Elle secoua la tête.) Y a juste un p’tit truc. Y vient d’où ?

  –Aucune idée, je lui ai pas demandé. Mais même s’il est pas fort, je trouve qu’il ressemble au sien. Tu trouves pas ?

  –Peut-être, aye

  –Puis y a aussi ce truc, qu’il a dit, quand la bête a rugi…

  Je tentai de m’en rappeler, mais j'avais été tellement angoissée pour ma seanmhair que je fis chou-blanc. Cependant, plus j'essayais de me rappeler, plus le visage de ma mère m'apparaissait. Elle devait l'avoir dit, j'en étais persuadée.

  Je faisais part de cette impression à Seanmhair lorsqu'un nouvel hurlement terrifiant étouffa le son des cloches. Nous avions beau être à l'abri, tout mon corps se crispa et je la sentis faire de même. Je refermai mes doigts autour des siens, les serrant aussi fort que je le pouvais sans lui faire mal.

  Tout va bien, m'admonestai-je. Nous sommes en sécurité.

  Mais pour combien de temps ? Sur la soixantaine de victime de la bête, au moins cinq s'étaient faites massacrer chez elles. Est-ce qu'elles ne s'étaient pas barricadées assez bien ou les murs de nos maisons n'étaient finalement pas suffisants pour nous protéger ?




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(1) Equivalent masculin de lass : jeune homme

(2) Maman

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