Chapitre 1

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La sonnerie marquant la fin du dernier cours de la journée retentit, me sortant quelque peu de la torpeur dans laquelle je m’étais enlisée. Je m’empresse aussitôt de ranger mes affaires dans mon sac, me doutant qu’elle est déjà là à m’attendre et sachant, ô combien elle (me) déteste (quand je la fais) attendre. Alors que j’enfile ma veste, on m’interpelle.

— Lucile ! Attends-moi !

Je serre les dents et me tourne pour faire face à Cécile qui se bat avec tous ses stylos pour les faire tenir dans sa trousse.

— Dépêche, tu sais très bien qu’elle est en bas…

— Oui, je sais, je sais…

Elle force un coup sec pour fermer la trousse, qui finalement se déchire, vomissant une gomme et un surligneur. Je soupire, partagée entre l’exaspération et l’amusement face au visage contrit de mon amie. Cécile est du genre super conservatrice : cette trousse délavée et couverte de tâches d’encres, c’est moi qui lui ai offerte en sixième.

— Ne pleure pas, son heure était venue.

— Mais… Elle était encore si jeune…

La voyant incapable de réagir, je m’approche d’elle et m’empare de l’élastique qui termine ma natte. Avec des gestes rapides, parce que l’heure tourne toujours, je saisis les fournitures qui débordent de la défunte trousse, je les force à l’intérieur et je passe mon élastique autour, au niveau de la déchirure.

— Tiens, ça tiendra jusque chez toi.

Mon amie récupère son bien avec un sourire tendre.

— Merci. En rentrant, je vais la recoudre !

Je m’esclaffe.

— Fais-lui plutôt des funérailles vikings, elle l’a bien mérité après toutes ces années de bons et loyaux services !

Cécile accueille ma suggestion avec une moue incertaine.

— Maintenant, grouille-toi ou je m’en vais sans toi !

La menace fait effet et quelques secondes plus tard, nous sortons de la salle de classe et je l’interroge.

— Pourquoi tu voulais absolument me parler avant de partir ?

— Tu n’as pas répondu à ma question ce midi.

Un nouveau soupire s’échappe de mes lèvres. Si j’avais su qu’il s’agissait de ça, je ne l’aurais pas attendue.

— Arrête de souffler, ça te vieillit ! me taquine-t-elle. Et maintenant, réponds-moi : qu’est-ce qu’on fait pour ton anniversaire ? Un ciné ? Un restaurant ? Soirée en boîte ?

Involontairement, mes muscles se contractent. Je reste silencieuse et je serre les dents. Je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais pouvoir faire. Cécile n’a de cesse de me répéter que je vais avoir dix-huit ans, que je serai majeure et libre de faire ce que je veux, etc. Mais la triste vérité est que rien ne va changer. Dix-huit n’est qu’un chiffre.

Mon silence étant mis à l’épreuve par les coups de coude et les coups d’œil insistants de mon amie, je n’ai pas le choix : je mens.

— Je vais y réfléchir. Je vais en parler avec elle.

Au regard condescendant qu’elle me jette, je déduis qu’elle n’est pas dupe. Décidément, elle me connaît trop bien.

— Je vais vraiment y réfléchir et je vais vraiment en parler avec elle !

— Mouais… Permets-moi d’en douter… Te connaissant et connaissant l’autre pimbêche…

— Si tu connais la réponse, pourquoi poser la question ?

La traversée des couloirs se fait bien trop rapidement à mon goût et alors que nous franchissons les portes du lycée, je repère sa voiture. En même temps, les voitures haut de gamme ne sont pas légion. La couleur anthracite de la carrosserie me met toujours mal à l’aise. Je salue rapidement mon amie qui détale, réaction typique d’un être humain normal en sa présence. Moi ? Je m’avance à pas rapide, résignée, avant de m’installer sur la banquette arrière – elle n’aime pas m’avoir à côté d’elle.

— Bonsoir maman.

— Il faut 3 minutes pour aller de ta classe à l’entrée, ça fait presque 8 minutes que je t’attends.

Sa voix est froide, mais moins cassante que d’habitude, serait-elle de bonne humeur ?

— Je discutais avec Cécile, désolée.

Son regard vairon me juge dans le rétroviseur, je lui soumets un visage aussi confus que possible. Aucun commentaire. Est-ce un mauvais présage ou est-elle réellement de bonne humeur ? J’avoue ne jamais savoir comment interpréter ses réactions. Lorsqu’elle détourne les yeux et démarre la voiture, je sens mes épaules se défaire d’un peu de tension.

Le silence dans l’habitacle est absolu, tout juste brisé par mon souffle, le crissement de mon jean sur le cuir des sièges ou encore l’activation des clignotants alors que nous quittons le parking. De ma fenêtre, j’aperçois les bus que prennent mes camarades. Comme souvent des regards admiratifs et envieux se tournent sur la voiture. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que moi aussi je les envie derrière ma vitre teintée. J’aimerais tellement m’asseoir sur ces sièges vétustes, poussiéreux et inconfortables avec des amies et échanger des ragots, parler de sorties, de cinéma, de garçons… Un virage m’arrache à ma contemplation et me renvoie à ma réalité : un environnement riche, silencieux et austère. Je me retiens de soupirer.

Alors qu’un feu rouge nous oblige à nous arrêter, un élan de courage (ou de folie ?) me saisit.

— J’aimerais sortir avec des amies pour mes dix-huit ans, annoncé-je d’une voix optimiste.

Le regard que Solange me lance dans le rétroviseur me refroidit et me fait regretter mon audace.

— Tu as des amies, toi ?

Voilà le ton cassant qui manquait tout à l’heure. Si elle était de bonne humeur, à présent elle ne l’est plus. Bien joué moi… Faut vraiment que j’arrête d’écouter Cécile… Le pire c’est que je ne peux m’empêcher de répondre, malgré l’effroi.

— Oui j’en ai.

— En dehors de la black ?

Je me mords la joue. Je déteste quand elle réduit mon amie à cette appellation, d’autant qu’elle a le don de mettre tellement de dégoût dans sa voix ; presque autant que lorsqu’elle prononce mon prénom.

— Oui.

— Qui ?

— Tu ne les connais pas.

— C’est censé me rassurer ?

Je reste silencieuse à sa question que je sais rhétorique. Les choses prennent une mauvaise tournure beaucoup trop vite et m’irrite plus que cela ne le devrait. Le fait est qu’elle a visé juste, encore une fois : je m’entends bien avec mes camarades, mais ce sont juste des camarades de classe… Cécile est ma seule véritable amie, la seule qui n’a pas été repoussée pas les contraintes imposées par ma génitrice.

— Des garçons et des filles ?

Je sais que c’est une question piège et pourtant je m’y engouffre. De toute façon, mentir ne mène à rien avec elle. Elle finit toujours par tout savoir.

— Oui.

— Tu sais ce que je pense de toi avec autant de monde et de garçons ?

— Oui.

Elle s’apprête à reprendre, mais je ne lui laisse pas le loisir de me répondre. Dix-huit ans que je subis ses règles stupides… et j’ai certainement passé trop de temps à discuter avec Cécile…

— Je trouve d’ailleurs que c’est plutôt hypocrite de la part d’une personne qui enchaîne autant les partenaires.

À peine ai-je prononcé ces mots que je les regrette. Mon sang se change en glace dans mes veines : le regard que me lance Solange est meurtrier. Bon sang, mais qu’est-ce qui m’a pris ?

Le feu passe au vert, elle détourne les yeux et reprend la route comme si de rien n’était.

Le silence étouffe l’habitacle. Je n’ose pas le rompre. Pas même pour m’excuser, de toute façon ça ne servirait à rien. Mes mains deviennent moites et froides d’appréhension. Je me sens comme une enfant de cinq ans qui vient de faire la pire bêtise de l’histoire.

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